Et soudain, Claude Guéant a disparu. Son manteau sous le bras, cartable à la main, l’ancien chef de cabinet du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, lui-même nommé par la suite ministre puis secrétaire général de l’Elysée sous le même Sarkozy, a profité de la suspension d’audience pour prendre leur cliques et claquements. Ce jeudi 16 janvier, à 18h45, l’accusé, qui comparaît au procès du prétendu financement libyen de la campagne de son ancien patron en 2007, n’est que l’ombre de lui-même. Il a passé près de cinq heures à la barre du tribunal, assis, comme le suggérait le président, bombardé de questions des juges et des trois représentants du Parquet national financier. C’est la veille de son 80e anniversaire.
« Claude Guéant souffre de maladies graves, mais tient à être présent depuis l’ouverture des débats »a rapporté son avocat après la reprise. L’audience avait vu au fil des heures, l’ancien homme clé de l’Elysée couler, doucement attiré au fond par les questions simples et efficaces de la présidente, Nathalie Gavarino, puis réprimandé avec force par les procureurs. Ce sont les conditions d’un voyage dans la Libye du colonel Kadhafi en septembre 2005, et d’un repas dans un restaurant près de Tripoli, qui l’ont amené à passer cet après-midi-là au grill, sous les yeux de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux, l’ancien ministre de la Défense. Les autorités locales en 2005.
Rien ne va plus dans ce mystérieux voyage, que l’accusation soupçonne d’avoir servi à préparer le financement de la future campagne du candidat Sarkozy à l’Elysée, deux ans plus tard. Le haut responsable a pris l’avion sans être accompagné d’un conseiller ni même d’un agent de sécurité dans ce pays qui n’a pas ensuite été réintégré dans le concert des nations. Et surtout, une rencontre soulève toutes les questions : un dîner avec le diable, le beau-frère du Guide, Abdallah Senoussi, un homme condamné par contumace par la cour d’assises spéciale de Paris à la réclusion à perpétuité pour son rôle dans l’attentat qui fait 170 morts, dont 54 Français, en septembre 1989, lorsque l’avion DC-10 de l’UTA explose au-dessus du Niger.
Le tribunal veut d’abord comprendre comment a été organisé ce déplacement, que Claude Guéant présente comme nécessaire à la visite de Nicolas Sarkozy quelques semaines plus tard. « Est-ce habituel que le chef de cabinet fasse ce genre de déplacement »interroge le président. Le haut responsable concède, en tant que chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, « C’est le seul voyage qu'(il) a fait en tant que précurseur ». Pour justifier l’intérêt d’une telle démarche, Guéant assure que « La Libye était un partenaire possible d’une grande efficacité contre le terrorisme et l’immigration clandestine ». Et vu son CV, l’ancien directeur de la police nationale, était le « mieux informé » sur ces sujets.
Une première particularité interroge le président du tribunal, pourquoi Claude Guéant s’est-il rendu seul en Libye ? Le procureur national financier Quentin Dandoy rappelle au prévenu qu’une note de l’intermédiaire et homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, datée du 22 septembre, recommandait justement que « CG » – les initiales du chef de cabinet – s’y rende le plus discrètement possible. , sans compagnie. Claude Guéant, dont la voix devient de moins en moins audible au fil des questions, affirme que ce document n’est qu’un « aide-mémoire » du sulfureux intermédiaire franco-libanais. Sous-entendu, cela n’a pas beaucoup de valeur.
Claude Guéant continue de mentir, mais on ne comprend pas. Pourquoi Takieddine, aujourd’hui en fuite au Liban depuis sa condamnation par le tribunal judiciaire de Paris dans une autre affaire, qui n’est pas représenté à l’audience, a-t-il participé à l’organisation du fameux voyage ? L’intermédiaire emmène le Guéant faire une virée dans les rues de Tripoli pour un dîner « piège »a déclaré aujourd’hui l’ancien ministre devant le tribunal. Il assure, le répète, qu’il ne savait pas qu’il allait se retrouver nez à nez avec Abdallah Senoussi, un chef terroriste recherché par la justice française. Le président Gavarino l’interroge pour comprendre l’improbable.
» – C’est (Ziad Takieddine) qui t’appelle en te disant « tu veux rencontrer quelqu’un d’important », il ne t’en dit pas plus ?
– Non, répond Claude Guéant
– Tu ne lui poses pas la question ?
– Je n’avais aucune raison de soupçonner le piège
– Dans la voiture, tu ne lui poses pas la question ? Le trajet dure entre 10 et 30 minutes…
– Je ne l’ai pas fait. »
Le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur affirme ne même pas connaître le visage du client qui l’attend au restaurant. Mais, demande désormais le procureur Quentin Dandoy, pourquoi ne s’est-il pas levé en découvrant la soi-disant surprise de Ziad Takieddine ? « Je pense que si j’étais parti, les Libyens l’auraient très mal pris »tente Claude Guéant. Une réponse insuffisante pour le parquet.
« – Mais finalement Monsieur Guéant, c’était peut-être aux Libyens de se sentir mal à l’aise, et à la France de dire que c’est inacceptable, rétorque le représentant du ministère public étonné
– Je crois que vous n’êtes pas préparé à l’exercice de la diplomatie, dit Claude Guéant d’un air moqueur.
– Quand avez-vous discuté avec lui des 54 de nos compatriotes décédés ?
– Je n’ai pas évoqué ce sujet
– Tu ne t’es pas dit que tu pourrais aborder ce sujet à un moment donné entre les mezzés et le riz au lait ?
– Vous avez raison, je n’ai pas évoqué la terrible disparition de nos compatriotes.
Au cours de l’enquête, Guéant avait évoqué l’échange avec Senoussi comme un simple « bavarder ». Il prétend ne pas vraiment se rappeler si, entre les « mezzés et riz au lait », Un point central a été abordé : la volonté des Libyens de voir disparaître le mandat d’arrêt international contre Senoussi, qualifié de sujet « d’obsession » pour Kadhafi. Une des contreparties du pacte corruptif, selon la thèse du parquet, que les prévenus tentent de nier à tout prix. A la reprise de l’audience lundi, Claude Guéant doit être interrogé par les proches des victimes de l’avion DC10, constitués parties civiles à l’audience.
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