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Un meurtre commis dans une Amérique paisible révèle les recoins sombres de la nature humaine


En août 2021 apparaît Blizzardun premier roman. Un manuscrit envoyé par la poste et un phénomène naît, un succès critique et de librairie, suivi d’une ribambelle de prix littéraires. Son auteure Marie Vingtras est découverte et devient écrivaine. Elle revient pour cette rentrée littéraire avec Les âmes féroces à L’Olivier, un récit qui décortique les pires pensées d’hommes et de femmes pris au piège d’un meurtre qui sera le dévoilement de tout courage ou de toute lâcheté. Un meurtre, la recherche du tueur et l’équilibre précaire de la ville s’effondre. Le coupable n’est peut-être pas celui que tout dénonce… En librairie le 19 août 2024. Pour Les âmes féroces Marie Vingtras a reçu, mardi 24 septembre, le Prix Fnac Roman 2024.

L’histoire : Dans la petite ville de Mercy, quelque part dans un État américain, Léo, un jeune adolescent, est retrouvé assassiné. Rien de violent ne se passe jamais à Mercy, mais cette tranquillité cache des arrangements avec le passé. La shérif, Lauren Hobler, est désemparée face à ce meurtre. C’est le printemps, le climat est doux, il fait bon vivre ici et rien n’aurait dû contrarier les habitants de la ville. Qui est l’assassin de Léo ? En quatre saisons et quatre personnages, le lecteur se lance dans une enquête, dans les rues, derrière les façades des maisons propres, au lycée entre filles populaires et timides, chez un ancien écrivain à succès exilé de force et au plus profond de l’âme de ces familles américaines qui semblent n’avoir jamais eu de mauvaises pensées.

Les âmes féroces s’annonce comme un thriller dans l’Amérique des clichés. Un meurtre d’adolescent dans une petite ville sans histoire. Un enquêteur qui doute et s’effraie de la vérité, et une ville qui guette derrière ses fenêtres les impasses des voisins. Mais Marie Vingtras déjoue ces fameux clichés avec ruse, elle expulse, par une construction astucieuse, tous les attributs du polar. Les âmes féroces est un roman polyphonique à quatre voix pour autant de personnages.

Quatre chapitres pour quatre saisons et leur météo. Quatre personnages et leurs tourments. Chacun avec son style, chacun avec son désespoir. Chapitre un, la lumière du printemps éclaire les doutes du shérif. Chapitre deux, la chaleur de l’été écrase l’ancien écrivain à succès poursuivi par sa culpabilité. Chapitre trois, c’est l’automne, l’ancien meilleur ami de Léo révèle des secrets de famille. Enfin, chapitre quatre, ce sera l’hiver sombre du père de la victime et son désarroi. Le tour se joue comme dans quatre scénarios d’une même histoire, avec les lumières changeantes du paysage.

Quatre chapitres et quatre styles. Comme le temps des saisons, l’écriture varie selon les personnages. Elle devient thriller pour l’enquêteur, littéraire pour l’écrivain, adolescente pour le jeune ami et profonde et ennuyeuse pour le père qui a perdu sa fille. Marie Vingtras réussit ainsi à tenir en haleine le lecteur, avide de résoudre l’énigme, mais plongé dans les tribulations de chaque personnage.

Loin de toute agitation, Mercy, ville sans histoire, ne peut cacher que des tendances inquiétantes. La ville respire le bonheur, mais comme le rêve le shérif au cours de ses voyages, « Au sud, c’était des champs et des forêts. (…) On aurait pu croire qu’il n’y avait pas d’êtres humains à des kilomètres à la ronde. C’était sans doute ce que les gens recherchaient ici, vivre à l’abri des regards, mais je n’étais plus tout à fait sûr que ce soit sain. »

Marie Vingtras dresse d’abord le portrait d’une ville, d’une ville de 3 974 habitants avant la mort de Léo. Les 3 973 restants se crispent, cette mort va bouleverser leur confort. Et quand le shérif descend les petites avenues, ce sont de lents travellings qui dessinent l’esprit de la ville, l’inquiétude guette. Et cette phrase d’un des personnages, exilé d’un New York intellectuel et qui tente d’attirer les jeunes vers les rayons de sa bibliothèque : « Quelle était cette ville dont les habitants détestaient tant la littérature ?

Mais son enquête piétine, elle est lesbienne et vit avec une femme qui a été blessée par son ex-mari violent. Le regard sur les hommes de l’Ouest américain n’a pas changé. Pour eux, cette shérif, Lauren Hobler, est une erreur de casting et son incapacité à résoudre le meurtre est un signe d’incompétence féminine. La loi doit être masculine et virile. Cela pourrait être un cliché du Far West d’antan, mais sous la plume de l’auteure, le lecteur reconnaît aisément l’Amérique que Trump rassemble de meeting en meeting républicain.

« Des femmes qui marchent le long des murs, dont les mouvements ne sont ni amples ni fluides, car elles ne doivent pas réveiller la bête qui dort à côté d’elles. » La violence est sourde, impalpable, cachée derrière les échecs de la vie, les jalousies sournoises. Petit à petit, le paradis de Mercy se fissure et à travers les fissures, le lecteur voit avec horreur la vérité de chacune.Ce n’est pas vraiment comme ça que ça se passe et s’ils prenaient la peine de regarder autour d’eux, ils verraient que le malheur est comme de l’eau qui s’infiltre dans ma charpente, elle se glisse dans tous les espaces libres et quand la pression est trop forte, tout finit par céder. »

Marie Vingtras, dans son premier roman, ne cachait pas son goût pour le cinéma américain. Cette fois encore, on pense aux frères Coen, et Fargo, pour leur acidité lors de la découverte du corps, entre maladresse et terreur devant le cadavre. Parfois, l’imagerie de Véritable détective pour ses enquêtrices qui sont regardées d’un mauvais œil par les hommes du quartier. On retrouve un brin de Samuel Fuller dans la violence de la prison où séjourne Benjamin, le coupable idéal. Les années lycée de Leo et Emmy ressemblent plus à un film de Gus Van Sant qu’à la série acidulée Joie.

Voyage en Amérique, et immersion universelle dans les méandres et la face cachée des ténèbres humaines, Les âmes féroces sont parfaits pour une rentrée littéraire, pour une année d’élections présidentielles américaines et pour douter de la bonne foi de ses voisins, amis ou proches.

Couverture du roman de Marie Vingtras

« Les âmes féroces » de Marie Vingtras (Éditions de l’Olivier, 267 pages, 21,50 euros)

Extrait :

« Je ne l’ai pas vu venir. Rien n’avait changé dans l’air, il n’y avait aucun signe avant-coureur, aucun indice. Une vie de moins ne fait pas dérailler le cours du monde. À ce moment-là, je me demandais simplement où je pourrais emmener Janis pendant quelques jours pour lui changer les idées, et je ne pensais qu’à la pêche, ce qu’elle n’allait pas aimer. Pour être honnête, je ne sais jamais vraiment ce qui la satisferait. Quand j’ose lui poser la question, elle me répond tu le sais bien et ce que je sais, c’est que résoudre ce problème n’est pas dans mes capacités, alors je lui mens et je lui dis que nous trouverons une solution. Si la lâcheté est un défaut masculin, Dieu s’est vraiment égaré avec moi. J’étais dehors, profitant du soleil dont mon bureau sans fenêtre me privait, les yeux fermés juste assez pour laisser entrer un rayon de lumière et j’essayais de respirer profondément. :inspirez en gonflant le ventre au maximum, puis expirez le plus lentement possible en laissant échapper un son monotone comme le sifflement d’un serpent. La colère était censée disparaître et si Janis le croyait, j’étais d’accord avec ça aussi. Je laissais le soleil me réchauffer doucement, je me sentais presque bien. Il était 15 heures, c’était le 26 avril. 2017. La date restera gravée dans ma mémoire, à moins que qu’elle ne soit pas chassée par une autre date encore pire. Avec les humains, on ne peut jamais être sûr de rien.

Grb2

Jewel Beaujolie

I am a fashion designer in the past and I currently write in the fields of fashion, cosmetics, body care and women in general. I am interested in family matters and everything related to maternal, child and family health.
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