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« Un manque de courage dans la fonction publique »

Alors que France 5 invoque le délai de réserve avant les élections pour se justifier, le directeur de la compagnie de danse engagée dans la lutte contre le racisme dénonce une injonction au silence.

« Nous ne prônons les valeurs républicaines qu’en nous positionnant contre les violences, contre le racisme et contre les inégalités », Marine Brutti, directrice de (La)Horde. Photo Blandine Soulage

Par Virginie Félix

Publié le 28 juin 2024 à 19h00

CONTREcolère, incompréhension. Dans la voix de Marine Brutti, l’émotion bouillonne encore deux jours après avoir appris que France 5 annulait le documentaire (La) Horde, révolte à Marseille. Un film dédié à cette compagnie de danse insoumise et engagée, basée au sein du Ballet national de Marseille (BNM), et que la jeune femme codirige avec Jonathan Debrouwer et Arthur Harel.

Mercredi dernier en effet, dans un communiqué très succinct, la chaîne annonçait qu’elle annulait la diffusion, prévue le vendredi 28 juin à 22h40, « en raison de l’actualité politique et du respect de la période de réserve liée aux élections législatives ». « France Télévisions préfère ne pas ajouter au débat public un élément susceptible d’alimenter la polémique à moins de quarante-huit heures du scrutin, quelques minutes avant le délai de réserve en métropole et après le délai de réserve dans les territoires d’outre-mer (soit jeudi soir). minuit heure locale) » La direction du groupe nous en a informé vendredi, sans autre commentaire ni explication.

Comment un documentaire dans lequel on suit le quotidien de danseurs, au printemps 2023, alors qu’ils se préparent à une représentation au Vieux-Port de leur spectacle culte, Chambre avec vue, A-t-il ainsi pu passer sous le joug du comité d’éthique de France Télévisions chargé d’évaluer le contenu politique des programmes en période électorale ?

Bras de fer devant la caméra

Peut-être à cause du contexte tendu qui électrise la deuxième partie du film, alors que des émeutes éclatent à travers le pays, notamment à Marseille, suite à la mort du jeune Nahel, abattu par la police en juin 2023. Rattrapé autant que révolté par l’actualité qui fait écho à leur engagement, les danseurs de (La) Horde ne veulent pas se taire. Ils expriment alors leur souhait d’insérer dans leur spectacle un message dans lequel ils s’engagent, au nom du Ballet national de Marseille, « contre la violence raciste et les dérives totalitaires, pour que le système injuste entende son peuple et que les meurtres au sein de notre république cessent ».

Mais coup de théâtre, trois heures avant la représentation, le président du BNM a opposé son veto au texte, au nom de la nécessaire neutralité de l’institution. Devant la caméra du réalisateur Olivier Lemaire, un bras de fer s’est engagé entre les danseurs et le représentant de l’institution, qui s’est soldé, in extremis, par un compromis. Citation de Frantz Fanon – «Bannissons de notre terre tout racisme, toute forme d’oppression et travaillons ensemble au développement de l’homme et à l’enrichissement de l’humanité» – apparaît enfin sur l’écran géant à la fin du spectacle, tandis que les danseurs, lèvres entrouvertes dans un murmure colérique, brandissent un poing fermé.

Aujourd’hui, pour la deuxième fois, on nous dit qu’il faut se taire, alors que notre message est simplement humaniste.

Marine Brutti, réalisatrice de (La) Horde

Pour Marine Brutti, cet épisode témoigne d’une « une puissance verticale qui nous conduit au silence. » Et, à ses yeux, la déprogrammation du documentaire en est une nouvelle expression. « Il y a un an, pour des raisons institutionnelles, nous n’étions pas totalement libres de parler. Aujourd’hui, pour la deuxième fois, on nous dit qu’il faut se taire, que notre parole est problématique, alors qu’en fait notre message est tout simplement humaniste. Nous ne prônons les valeurs républicaines qu’en nous positionnant contre la violence, contre le racisme et contre les inégalités. »

Face à la décision de la chaîne, le dirigeant de l’entreprise relativise l’impact politique potentiel qu’aurait pu avoir le documentaire. « En un sens, cette déprogrammation nous donne beaucoup de crédit car je ne pense pas que la diffusion de ce film aurait pu faire la différence en période électorale. Mais c’est aussi extrêmement inquiétant de voir comment on accepte petit à petit de rentrer dans le rang et de se laisser intimider sur ce qui pourrait être éthique ou non. À force de vouloir bien faire, on devient tous des lâches. » L’argument éthique avancé par France Télévisions peine à la convaincre : « Pourquoi taire ce discours aujourd’hui pour des raisons d’éthique alors que nous avons l’impression d’être bombardés à longueur de journée de propos racistes, violents, xénophobes, antisémites, qui sont le discours de l’extrême droite ? »

Les danseurs de la compagnie ont pu exprimer collectivement cette incompréhension, jeudi 27 juin, lors d’une présentation du documentaire au Théâtre de la Criée. Face au représentant de France Télévisions venu à Marseille pour l’occasion, ils ont réitéré leur colère. Ses justifications, arguant également du contexte incendiaire lié à l’anniversaire de la mort de Nahel et aux émeutes de juin 2023, ont laissé perplexe une partie du public venu assister à la projection, comme le raconte le réalisateur du film, Olivier Lemaire, présent sur place. nous.

Une déprogrammation ironique

Il partage également  » frustration «  de (La) Horde face à la décision de la chaîne. Sans crier à la censure, il déplore la« un excès de zèle et un manque de courage de la part du service public alors que l’heure n’est pas au laxisme et aux demi-mesures, et que les diffuseurs privés n’hésitent pas à inviter même à la dernière minute des représentants de partis divers et variés, voire, pour les diffuseurs privés les plus radicaux, des représentants de l’extrême droite. » Et Olivier Lemaire souligne la cruelle mise en abîme de cette déprogrammation : « Un an plus tard, le film lui-même vit ce qu’il a filmé. Quelle ironie ! »

Le réalisateur tente de se consoler avec l’annonce d’une nouvelle diffusion promise par France 5 en septembre. « Cyniquement, cette déprogrammation va peut-être attirer l’attention sur le film, qui en tirera peut-être profit, ce qui est un peu ironique… » En attendant, vous pouvez regarder la série documentaire en quatre épisodes sur France.tv Slash La vie sur Mars (fille), qu’il a cosigné avec Tom Schembri et Raphaël Chatelain, autour des danseurs de (La)Horde. Comme une fenêtre ouverte, dans ce ciel encombré, sur une planète dansante où souffle le vent de la révolte.

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