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Un internaute a-t-il découvert un délit d’initié avant l’annonce d’un potentiel rachat d’Ubisoft par le géant chinois Tencent ? – Libération

Un ordre d’achat de plus de 200 000 actions, équivalent à plus de 2,5 millions d’euros, a été passé 45 minutes avant la publication d’un article de « Bloomberg » qui a fait exploser le cours de l’action.

L’information provient du magazine financier américain Bloomberg : la famille Guillemot, qui contrôle l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft, et le géant chinois Tencent « discuté avec des conseillers pour explorer les moyens de stabiliser Ubisoft et d’augmenter sa valeur » selon « des sources qui ont demandé à ne pas être identifiées ». Concrètement, « une des possibilités envisagées consisterait à s’associer pour radier la société de la bourse ». Autrement dit, avec le soutien financier du géant chinois, la famille Guillemot, et notamment Yves Guillemot, président du conseil d’administration d’Ubisoft, pourraient racheter les actions de la société afin qu’elle ne soit plus cotée. Tencent deviendrait donc un peu plus qu’un partenaire privilégié, d’autant que la société chinoise détient déjà directement 9,2% du capital d’Ubisoft et 49,9% de la holding familiale Guillemot qui contrôle l’éditeur de jeux vidéo.

Quoi qu’il en soit, cette annonce a fait bondir le cours de l’action d’environ 30 %, soit la plus forte hausse quotidienne depuis la cotation de la société.

Et c’est justement juste avant cette hausse spectaculaire que Nicolas Chéron, stratège boursier indépendant, a repéré une activité qu’il jugeait inhabituelle, comme il l’a raconté sur X (ex-Twitter). Épaulé par des captures d’écran de la plateforme Prorealtime, qui permet de suivre les marchés financiers en direct.

« Ce qui s’est passé est assez fou : à 14h57, soit environ 45 minutes avant la mise en ligne de l’article. Bloombergil y a eu environ 225 000 titres Ubisoft échangés en moins d’une minute, il explique à VérifiezActualités. Quelqu’un a acheté toutes les commandes de la vente en même temps. Au total, cela fait 2,4 millions. Et comme ces 200 000 titres se sont écoulés en une trentaine de secondes, il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une seule commande et d’une seule personne derrière.

Or, selon lui, « sur une telle action, il n’y a jamais un volume aussi puissant en séance », car acheter autant et si rapidement augmente automatiquement le prix d’achat moyen : « Personne n’achète 200 000 actions Ubisoft d’un seul coup en trente secondes, quel qu’en soit le prix. Cela n’arrive jamais. Quel est l’intérêt pour un acheteur qui veut accumuler de tout acheter d’un coup ? Pour qu’il puisse entrer progressivement. Face à ces ordres d’achat, la valeur du titre a augmenté rapidement, avec une hausse de 9%. Mais comme cette pression acheteuse n’a pas duré, le titre est finalement revenu à son cours initial en quelques minutes. Contactés, plusieurs spécialistes des marchés financiers confirment qu’un volume d’achat aussi soudain sur une valeur comme Ubisoft est inhabituel.

Et cet achat massif et soudain, quel qu’en soit le prix, est d’autant plus surprenant qu’avant le vendredi 4 octobre, le titre était en véritable « spirale infernale », comme détaillé les échos : il avait perdu « plus de la moitié de sa valeur depuis le début de l’année, mais surtout 80% sur trois ans et près de 90% sur cinq ans ». En cause, plusieurs déceptions commerciales ces dernières années, et l’annonce du report de la sortie du prochain Assassin’s Creed, franchise phare de l’éditeur.

Puis, à 15h45, tout s’est précipité : l’information publiée par Bloomberg entraîner un grand nombre de commandes d’achat et une flambée des prix. « Nous n’avons aucun moyen de savoir si la personne (qui a acheté 45 minutes avant) a vendu ou non depuis, poursuit ce spécialiste boursier. Si elle a des informations sur une vente, elle les gardera probablement au chaud. Elle peut facilement revendre à +50%, soit un million d’euros empoché.»

Anomalie et proximité

Une situation qui pourrait cacher un délit d’initié, un délit qui consiste à utiliser des informations confidentielles pour réaliser des gains (ou éviter des pertes) sur les marchés.

« Il y a deux critères qui vont nous faire soupçonner un délit d’initié : l’anormalité et la proximité. Le premier critère consiste à observer une transaction anormale par rapport aux transactions des jours précédents, notamment en termes de volume. La seconde est de voir s’il y a une proximité entre cette opération et une annonce importante. expliquer à VérifierActualités Yamina Tadjeddine, professeur d’économie à l’Université de Lorraine. Selon elle, il y a donc toutes les chances qu’une enquête soit ouverte dans le cas d’Ubisoft. « Le temps d’enquête peut alors être assez long. Il s’agit de retrouver la ou les personnes impliquées, puis éventuellement d’établir un lien entre elles avec une tierce personne ayant eu accès à l’information.»

« S’il s’agit d’un délit d’initié, celui qui l’a fait était un peu maladroit, le juge Nicolas Chéron. Cela fait penser à quelqu’un qui a l’information chez Ubisoft ou Tencent, quelqu’un de « proche du dossier » comme on dit, et qui s’achète ou demande à quelqu’un d’autre d’acheter. Il serait très intéressant que l’Autorité des marchés financiers demande à (la bourse) Euronext, qui a acheté 200 000 actions juste avant la publication de Bloomberg

Contactée, l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui assure « bon fonctionnement des marchés », indique seulement « ne commentez pas certaines sociétés cotées ». Une source proche du dossier précise de son côté que l’AMF est toujours plus « vigilant » Dans « périodes de forte activité ou de grande actualité sur une valeur » et que l’ouverture d’une enquête ne fait jamais l’objet d’une annonce publique.

A noter qu’Ubisoft a déjà connu un cas de délit d’initié ces dernières années : trois dirigeants de l’entreprise ont été condamnés en 2016 pour avoir vendu des titres, en 2013, juste avant l’annonce du report d’un jeu majeur.

VérifierActualités mettra à jour cet article en fonction des développements futurs.

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Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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