« Un grand pas en avant » contre Alzheimer : le professeur Sylvain Lehmann du CHU de Montpellier explique le fonctionnement du test sanguin rapide
Plus de 900 000 personnes sont touchées par la maladie d’Alzheimer en France. A quelques jours de la journée mondiale de mobilisation du 21 septembre, le professeur Sylvain Lehmann et son équipe du laboratoire de biochimie protéomique clinique du CHU de Montpellier déploient auprès des médecins spécialisés un test sanguin rapide qui a fait ses preuves dans un protocole de recherche sur 300 patients. Une avancée majeure, sachant que 225 000 nouveaux diagnostics sont posés chaque année.
Après avoir identifié l’un des marqueurs de la maladie d’Alzheimer, le PTAU-217, Sylvain Lehmann et son équipe ont travaillé avec des industriels pour mettre au point un test sanguin rapide de dépistage de la maladie. Testé dans le cadre d’un protocole de recherche sur 300 patients à Montpellier, Nîmes et Perpignan, le test est désormais à disposition des spécialistes de la maladie. Les premiers prélèvements sanguins arrivent au CHU de Montpellier.
Où en est le test sanguin pour la maladie d’Alzheimer, sur lequel vous et votre équipe travaillez depuis des années ? Il est prévu de le mettre à disposition des médecins en 2025 ?
Ce mois-ci, nous commençons à faire des dosages pour les équipes des CHU de Montpellier, Nîmes et Perpignan, cela avance plus vite que prévu : j’avais dit « pas avant 2025 ». Nous commençons à recevoir et analyser les échantillons sanguins envoyés par les services cliniques.
Une phase de recherche, sur une cohorte de 300 patients, nous a permis de valider le test, qui est fiable à près de 90%.
Il existe des marqueurs sanguins qui permettent d’identifier la maladie d’Alzheimer dix ans avant l’apparition des premiers symptômes.
Des problèmes éthiques ont souvent empêché ces diagnostics précoces…
On a depuis longtemps dépassé ce débat… le test ne sert pas à prédire l’apparition de la maladie, on ne fait pas de dosage avant l’apparition des signes.
Le test est accessible aux spécialistes, pas encore aux généralistes, même si la pression est forte pour qu’il progresse. Il s’agit d’une aide au diagnostic, avec d’autres examens biologiques, l’imagerie, dans le cadre d’une prise en charge multidisciplinaire.
Le but de cet examen est d’éviter de devoir faire une ponction lombaire, un examen douloureux et invasif.
Comment ça marche ?
Nous faisons des mesures de la protéine PTAU-217, que l’on retrouve aussi dans le cerveau des patients. Nous avons les résultats dans quelques heures. Cette semaine, nous faisons une trentaine de mesures, nous n’en voulons pas plus. Nous sommes en phase de mise en place, avec des médecins qui connaissent la maladie et qui connaissent ces tests, à Montpellier, Nîmes et Perpignan.
« On n’est pas loin des tests de routine »
Le test a été développé au CHU de Montpellier ?
Le marqueur, PTAU-217, l’un des marqueurs d’Alzheimer, a été identifié dans mon laboratoire il y a cinq ans. Nous n’avons pas breveté nos recherches. Les industriels ont développé le test autour de lui, et nous l’avons utilisé pendant longtemps à des fins de recherche, avec des technologies qui étaient lourdes, comme la spectrométrie de masse. Aujourd’hui, nous ne sommes pas loin des tests de routine. Au départ, nous travaillions avec des start-up. Aujourd’hui, nous travaillons avec de grandes entreprises, comme le japonais Fujirebio. D’autres arrivent sur le marché, comme Roche.
Nous sommes en phase de mise en œuvre. Nous sommes parmi les premiers en France à le faire, si ce n’est les premiers. Notre projet a été financé (NDLR : notamment avec le soutien de la Fondation pour la Recherche Médicale), nous sommes prêts.
Qu’est-ce qui va changer dans les soins ?
De nouveaux traitements, comme le lécanemab, une immunothérapie anti-amyloïde, proposée par perfusion et compliquée à administrer, sont disponibles depuis plusieurs mois, ce qui change complètement la donne.
Un diagnostic précoce permet de proposer ces traitements. Ils ne sont pas encore autorisés en Europe, qui estime que le rapport efficacité/risque pourrait être meilleur, mais on s’y prépare.
En attendant, un diagnostic précoce et plus précis peut éviter l’hypothèse d’une autre pathologie.
Pendant ce temps, la France prend-elle du retard en matière de traitement ?
Dans de nombreux pays, sauf en Europe, la prise en charge des patients diagnostiqués précocement est complètement bouleversée par l’arrivée de ces nouveaux traitements.
Uniquement pour les personnes présentant des symptômes
La question du diagnostic des personnes « à risque », sans symptômes, va se poser très vite ?
C’est une vraie question, nous n’en sommes pas encore là. Il faut d’abord se demander ce que nous ferons si nous détectons la protéine chez quelqu’un qui ne présente aucun signe d’Alzheimer.
Le risque est que l’on détecte des personnes qui n’ont pas besoin de traitement.
Cette prise de sang est-elle un tournant dans la maladie d’Alzheimer ?
Il s’agit d’un grand pas en avant : réaliser des analyses sanguines permettant d’avoir un aperçu de ce qui se passe dans le cerveau pour la maladie d’Alzheimer est une avancée majeure.