L’ONG Oxfam publie mardi 30 avril son rapport annuel. Il dénonce les écarts salariaux « indécent » entre salariés et patrons du CAC 40, Teleperformance, Carrefour et Stellantis sont en tête. « 130 fois plus, ce n’est pas raisonnable par rapport aux efforts déployés par chacun »insiste Cécile Duflot. Le groupe Teleperformance, numéro un mondial des centres d’appels, figure en tête du classement des ONG ; son PDG, Daniel Julien, gagne 1 453 fois plus que le salaire moyen de son groupe. Carrefour arrive en deuxième position, son PDG, Alexandre Bompard, gagne 426 fois plus que le salaire moyen du groupe. Et Stellantis occupe la troisième place, son PDG, Carlos Tavares, gagne 341 fois plus.
Pour réduire ces écarts, « nous avons besoin d’une loi », plaide Cécile Duflot. Elle dit notamment « D’accord » avec Carlos Tavares. Interrogé sur sa rémunération cette année, le PDG de Stellantis a déclaré : « faites une loi, changez la loi et je la respecterai ». « Je pense qu’il y a un certain nombre de grands patrons qui ne sont pas hostiles à cette démarche »estime le directeur d’Oxfam France.
Franceinfo : Votre ONG publie ce rapport chaque année, avec un écart qui se creuse au fil des années ?
Cécile Duflot : Avec un écart qui est fou ! 130 fois plus, ce n’est pas raisonnable au regard des efforts déployés par chacun. Et ce qui est le plus inquiétant, c’est que si cet écart se creuse, c’est parce que les dirigeants sont remerciés par les actionnaires pour la distribution massive de dividendes. Et si cette distribution de dividendes a lieu, c’est au détriment des salariés.
On pourrait vous dire que la rémunération des managers augmente parce qu’ils atteignent leurs objectifs.
Ils ont des objectifs au bénéfice des actionnaires, c’est ce que je disais. Et c’est là que le système tourne mal. Ce n’est plus l’intérêt de l’entreprise qui est en jeu, c’est l’intérêt des actionnaires et un intérêt souvent purement financier et à très court terme.
Vous avez Teleperformance, Carrefour et Stellantis sur le podium. Ce n’est pas le même trio de tête que l’année dernière, est-ce que ça change chaque année ?
Étonnamment – ou pas – Alexandre Bompard, le patron de Carrefour, est deuxième sur le podium, alors que les prix alimentaires ont énormément augmenté et que les salaires dans le secteur ont été très contraints, y compris chez Carrefour. Et qu’il mène une politique sociale qui est une politique totalement aberrante, du moins pour les intérêts des salariés, puisqu’il milite pour que les franchises de magasins retirent aux salariés les avantages du groupe. Dans le même temps, il augmente massivement son salaire. L’intérêt de l’actionnaire est donc de faire pression sur les salariés. C’est inacceptable.
« Je pense que cet écart salarial chez Carrefour et la position d’Alexandre Bompard illustrent la nécessité de réguler ces écarts salariaux et d’avoir un salaire maximum. »
Cécile Duflotsur franceinfo
Carrefour vous indique que vos calculs ne correspondent pas « à n’importe quelle réalité » car il relie la rémunération d’Alexandre Bompard à celle de ses plus de 300 000 salariés à travers le monde, malgré les différences de pouvoir d’achat selon les pays. Que répondez-vous à cet argument ?
C’est un débat intéressant, ouvert depuis longtemps par les ONG, mais aussi plus récemment par Michelin, une entreprise privée, qui souhaite que tous ses salariés reçoivent un salaire décent. Alors si Alexandre Bompard justifie son salaire en expliquant qu’il parvient à exploiter davantage les salariés en réduisant leurs salaires dans un certain nombre de pays, on voit bien que la justification elle-même montre à quel point nous avons raison, c’est-à-dire de dans quelle mesure ces écarts salariaux sont inacceptables et insupportables.
Le PDG de Stellantis, Carlos Tavares, est interrogé sur sa rémunération cette année. Il dit lui-même : « Faites une loi, je la respecterai ».
Nous sommes d’accord avec Carlos Tavares. Et d’ailleurs, je pense qu’il y a un certain nombre de grands patrons qui ne sont pas hostiles à cette démarche. Personne n’a besoin de gagner en quelques heures ce qu’un salarié gagne en un an, tout simplement parce qu’il y a des gens qui ont le sens des proportions. On ne met pas tous les patrons du CAC 40 dans le même panier, mais c’est vrai qu’ils se comparent les uns aux autres. Alors il dit à juste titre « nous avons besoin d’une loi ». C’est bien, c’est ce qu’ils disent. Avant l’existence du salaire minimum, il n’y avait pas de loi. Elle date de 1950.
« On peut très bien imaginer, aujourd’hui, une loi qui fixe un salaire maximum et notamment dans toutes les entreprises qui bénéficient d’aides publiques. »
Cécile Duflotfranceinfo
Une loi à l’échelle française ou européenne ? Que penses-tu qu’elle devrait dire ? ?
Nous sommes favorables à une régulation internationale, européenne, mais elle peut aussi être d’abord française. Nous l’avons fait sur le devoir de vigilance, c’est-à-dire l’obligation pour les entreprises de faire attention à la manière dont travaillent leurs sous-traitants. Nous l’avons fait d’abord en France, cela se généralise au niveau européen, nous pouvons donc très bien être pionniers dans ce domaine.
Il existe de nombreuses disparités et écarts de rémunération. Mais l’échelle n’est pas toujours la même, elle ne se compte pas toujours en milliers ?
Non, et notamment dans les PME, ce n’est pas du tout de cet ordre-là. Mais ce que nous voulons souligner, c’est justement que le CAC 40, qui tire une partie de l’économie et qui concerne aussi beaucoup d’emplois car on parle de très grandes entreprises, est déraisonnable. de deux façons. S’agissant d’une politique sociale et de lutte contre les inégalités, en augmentant ces inégalités, en distribuant la valeur créée par les salariés, massivement aux actionnaires, dans cette espèce de pacte faustien, avec une augmentation des rémunérations des grands patrons. Mais en même temps, ils n’investissent pas suffisamment dans la transformation écologique de leur modèle, dans la transition énergétique de leurs activités et suivent donc une logique très court-termiste. Nous voulons donc ramener la régulation et la mesure, même si cela signifie une obligation… D’ailleurs, Carlos Tavares le dit bien, probablement, nous ne pouvons pas en décider nous-mêmes.
« S’il s’agit d’une obligation légale, Carlos Tavares s’y conformera et c’est très bien. Ce débat doit être porté par les dirigeants politiques, par Bruno Le Maire.»
Cécile Duflotfranceinfo
Dans ce rapport, vous mettez également en avant les inégalités hommes-femmes chez les patrons du CAC 40.
Oui, tout d’abord, on souligne qu’il y a plus de patrons du CAC 40 qui ont « Jean » dans leur prénom que de femmes. Cette situation dure depuis longtemps, elle perdure et elle n’avance pas. Et cela en dit aussi long sur le fait que la manière dont nous dirigeons ces très grandes entreprises dépend de nous. Et il nous semble absolument important d’aller au-delà des obligations qui ont été faites en matière de parité au sein des conseils d’administration. Car créer de la diversité et lutter contre les inégalités, c’est le faire à tous les niveaux, y compris au sommet des entreprises.
Vous demandez également une taxe sur les superprofits. Le débat revient régulièrement. Bruno Le Maire, le ministre des Finances, a fermé la porte en affirmant qu’il y avait suffisamment d’impôts en France. Le regrettez-vous?
C’est irresponsable.
« En même temps, Bruno Le Maire dit qu’il faut faire des économies sur les chômeurs, sur la santé… C’est indécent et ça crée une grande tension dans le pays. »
Cécile Duflotsur franceinfo
Nous avons vu ce qui s’est passé avec le mouvement contre la réforme des retraites, qui était une réforme financière. Tout le monde l’a bien vu. Alors dire qu’on va faire payer les plus pauvres et toutes les classes moyennes, mais laisser les super profits tomber dans les mains des actionnaires via les dividendes, alors même que ces entreprises ont été massivement aidées pendant la crise du Covid – et nous avons soutenu cette politique de rachats d’actifs, chômage partiel massivement subventionné, cela veut dire que quand on rentre dans une bonne situation et quand on bénéficie de profits indécents, on redistribue.