« Un double standard, très agaçant »… L’affaire Jannik Sinner embarrasse les experts antidopage
C’est une double information contradictoire qui met en émoi le monde de la petite balle jaune, jusqu’ici en sommeil, avant le début du dernier Grand Chelem de la saison, l’US Open, dans moins d’une semaine. Mardi, l’Agence nationale d’intégrité du tennis (ITIA) a annoncé avoir blanchi Jannik Sinner, numéro 1 mondial, contrôlé positif à deux reprises en mars dernier au clostebol, un stéroïde anabolisant interdit par l’Agence mondiale antidopage (AMA).
Ces deux tests, tenus secrets, ont été réalisés en marge du Masters 1000 d’Indians Wells. L’Italien de 23 ans a affirmé avoir été contaminé involontairement par son physiothérapeute qui, ayant subi une petite blessure à un doigt, avait utilisé un spray cicatrisant contenant cette substance interdite, avant de le masser. Cela a conduit à une « contamination transdermique à son insu », selon l’ITIA, qui a donc accepté de le blanchir après une enquête d’un tribunal indépendant, confirmant que Sinner n’avait commis « aucune faute ou négligence ».
Une décision perçue comme une prime à la clémence dénoncée par plusieurs joueurs, à l’image de l’Australien Nick Kyrgios, du Français Lucas Pouille ou encore du Canadien Denis Shapovalov. Tous protestaient contre une inégalité de traitement, la même instance s’étant montrée beaucoup moins conciliante sur des cas similaires ces dernières années.
Deux poids, deux mesures
Comme en juillet 2023 avec le Suédois Mikael Ymer suspendu dix-huit mois pour non-respect de ses obligations de localisation dans le cadre de la lutte contre le dopage. Nicolas Jarry, joueur chilien, avait été banni du circuit onze mois en 2019 après avoir été contrôlé positif à des substances anabolisantes. Comme Jannik Sinner, il s’était défendu en expliquant qu’il n’avait jamais tenté de se doper et qu’il avait été victime d’une contamination. Reconnu non coupable de « faute ou négligence significative », le géant sud-américain avait néanmoins été interdit de jeu pendant près d’un an.
« Pour les experts et les scientifiques, c’est très agaçant d’intervenir dans un dossier où la juridiction en place est respectée et de se retrouver dans un autre où rien n’est respecté. Il y a une incohérence, un deux poids deux mesures difficile à comprendre », regrette Gérard Dine, médecin spécialisé dans les questions liées au dopage, qui a notamment travaillé comme expert dans l’affaire Simona Halep, l’un des dossiers les plus emblématiques de ces dernières années.
« Il aurait dû être provisoirement suspendu »
La joueuse roumaine, ancienne numéro 1 mondiale, a dû lutter pendant plusieurs mois pour prouver le caractère involontaire de sa contamination positive au roxadustat en 2022. Cela lui a valu une suspension de quatre ans infligée par l’ITIA, avant d’être réduite à neuf mois en mars 2024 par le Tribunal arbitral du sport (TAS).
» « La gestion du dossier de Sinner pose question, car l’ITIA n’a même pas entamé de procédure de sanction, alors qu’elle aurait dû le faire, poursuit l’expert. C’est la logique juridique qui a été mise en place par la Fédération mondiale de tennis, sous couvert de l’Agence mondiale antidopage. Il aurait donc dû être suspendu provisoirement pour six mois, le temps de faire reconnaître son innocence. » »
Pour le spécialiste, il ne s’agit probablement pas d’un dopage volontaire de la part de Sinner, car il faudrait être complètement naïf (ou stupide) pour prendre un produit facilement détectable dès le premier test urinaire.
« Dans ce cas, ce n’est pas forcément l’aspect scientifique qui doit compter le plus, car vu la dose, il s’agit probablement d’une contamination », insiste-t-il. « Il faut simplement tenir compte de l’exemplarité et de la respectabilité des structures impliquées en traitant tous les sportifs sur un pied d’égalité », conclut-il, s’inquiétant des conséquences d’une telle décision sur la crédibilité des organismes et experts impliqués dans la lutte contre le dopage.