Sciences et technologies

Un corps retrouvé en France révèle qu’il n’y avait pas une, mais au moins deux lignées au moment de leur extinction

Le scénario semblait simple et bien établi. Les derniers Néandertaliens tiraient leur révérence suite à l’arrivée de Sapiens sur les territoires européens, il y a 40 à 45 000 ans. Ces derniers Néandertaliens étaient représentés par une population unique, très homogène, que la génétique avait reconnue à travers l’Europe, en Espagne, en France, en Croatie, en Belgique et en Allemagne. Les études génétiques étaient concluantes ; une population unique, très homogène dans sa biologie, allait laisser la place aux nouveaux arrivants de Sapiens. En une poignée de millénaires, quelque part entre 45 et 42 000 ans, la cohabitation des deux humanités allait entraîner le remplacement de cette population néandertalienne européenne.

Ce mercredi 11 septembre, notre équipe de la Grotte Mandrin annonçait dans le magazine Génomique cellulaire une découverte qui redessine en profondeur notre connaissance des derniers Néandertaliens. Cette fois, il s’agit de la découverte d’un corps néandertalien. Le premier en France depuis 1978. C’est dans cette même grotte qu’a été découverte en 2022 la plus ancienne migration Sapiens d’Europe. Et entre 2022 et 2023, trois publications scientifiques internationales de notre équipe de recherche questionneraient nos conceptions de ce moment singulier de l’histoire de l’humanité, redéfinissant non seulement le moment de l’arrivée de ces populations Sapiens, mais redessinant leurs connaissances techniques, établissant leurs origines au Levant méditerranéen et proposant une redéfinition profonde de ce moment singulier de l’histoire européenne.

Et si l’histoire des populations Sapiens en Europe était à repenser complètement ?

Une lignée néandertalienne totalement méconnue

Notre étude ne se limite pas à la simple annonce de la découverte remarquable d’un corps néandertalien mais présente le résultat de près de 10 ans de recherche autour de ce corps révélant l’existence d’une lignée néandertalienne totalement inconnue au sein des dernières populations néandertaliennes d’Europe, changeant profondément notre compréhension de cette humanité au moment de leur extinction.

Les premières dents ont en effet été découvertes en 2015. Elles se trouvaient au sol à l’entrée de la grotte, à peine recouvertes de quelques feuilles. Un peu comme si l’on rencontrait un Néandertalien en se promenant dans les collines… Le corps appartient aux occupations archéologiques les plus récentes de la Grotte Mandrin, datées de 42 à 45 000 ans. Ces niveaux archéologiques sont directement exposés au sol actuel à l’entrée de la cavité. Mais ces premières dents apparaissent dans un sable fragile. Le moindre coup de pinceau risque de déplacer les précieux restes, empêchant de reconnaître leur position précise dans le sol.

J’ai alors décidé de retirer le corps… à la pince. Grain de sable après grain de sable… L’opération durera 9 ans. Et elle n’est toujours pas terminée… L’immense effort sur le terrain permettra de récupérer les plus infimes restes à leur position initiale. La multiplication des relevés tridimensionnels permettra ensuite à l’équipe de reconstituer progressivement la position très précise de chacun des restes dans le sol.

Aujourd’hui, 31 dents ont été retrouvées, les os de la mandibule, des fragments de crâne, des phalanges et des milliers de minuscules os appartenant à notre Néandertalien surnommé Thorin, en hommage aux écrits et pensées de JRR Tolkien, Thorin étant l’un des derniers rois nains sous la montagne et le dernier de sa lignée. Le Thorin de Mandrin est quant à lui… L’un des derniers Néandertaliens… Pourquoi le corps de Thorin gisait-il à l’entrée de la cavité ? Comment a-t-il pu être conservé pendant des dizaines de millénaires ? Comment ce corps est-il parvenu jusqu’à nous ? A-t-il été enterré ?

Des questions vertigineuses

Que fait-on quand on se retrouve face à un corps néandertalien ? Surtout quand cela fait presque un demi-siècle qu’une telle découverte n’a pas eu lieu en France… Beaucoup plus profondément, « Le Dernier Néandertalien » a exposé les innombrables questions qui se posent autour de la notion même d’extinction de l’humanité, notion qui donne le vertige et que l’on ne sait pas vraiment remettre en question. Comment pourrait-on ? Les Néandertaliens se sont-ils éteints comme les dinosaures suite à un bouleversement naturel qui a balayé tout leur univers ?

Les théories sur les Néandertaliens liées au changement climatique, aux explosions volcaniques, aux radiations cosmiques ou aux épidémies dévastatrices ont fleuri ces dernières années. Mais à mon avis, les humains ne meurent pas de cette façon. Pour comprendre cette étonnante équation du remplacement des Néandertaliens par Sapiens, nous devons d’abord comprendre ce qu’étaient les Néandertaliens. Et ce que sont les Sapiens. Et la nature des deux créatures – à bien des égards, Sapiens est également une énigme remarquable – nous échappe profondément.

Revenons à Thorin et aux derniers Néandertaliens. L’étude publiée dans Génomique cellulaireque je co-dirige avec Tharsika Vimala et Martin Sikora, généticiens des populations à l’Université de Copenhague au Danemark, et Andaine Seguin-Orlando, paléogénomiste à l’Université de Toulouse, révèle l’impensable : la population de Thorin appartient à une lignée néandertalienne jusqu’alors inconnue parmi les Néandertaliens qui auraient peuplé l’Europe au cours de leurs derniers millénaires d’existence.

Bien que ces populations néandertaliennes d’Europe présentent une grande homogénéité génétique, la population de Thorin se distingue des Néandertaliens classiques depuis plus de 50 millénaires. Aucun échange génétique direct n’a été observé entre la population de Thorin et les Néandertaliens européens classiques depuis le 105et millénaire et jusqu’à l’extinction de ces populations ! Une divergence profonde. Inattendue. L’étude génétique permet ainsi de repositionner précisément dans le temps cette histoire singulière montrant cet incroyable isolement de ces populations et le moment lointain de leur divergence.

Et là, en plus, l’équation Sapiens/Néandertal en Europe est à repenser en profondeur. Dans ce moment étonnant où une humanité remplace l’autre, il n’y a plus deux protagonistes mais au moins trois. Et peut-être plus, les analyses génétiques de Thorin révélant l’existence d’une lignée fantôme, une autre population néandertalienne, encore inconnue, et qui semble se promener en même temps sur les territoires européens.

Mais comment imaginer des processus d’isolement entre populations humaines, pendant 50 millénaires, alors que ces populations sont situées à moins de deux semaines de marche les unes des autres ? C’est pourtant à cela que Thorin nous confronte. Des processus évolutifs, culturels et sociaux qui seraient impensables si on les transposait aux populations Sapiens telles que nous les connaissons à travers l’anthropologie culturelle, l’histoire et l’archéologie. Quelque chose semble distinguer profondément les manières d’être dans le monde des Néandertaliens et des Sapiens. Quelque chose de bien plus profond que de simples questions culturelles ou territoriales, nous renvoyant de front à l’énigme néandertalienne et, sans doute aussi, à notre incapacité à affronter des manières d’être humaines si éloignées de nous.

Parallèlement, notre étude révèle que Thorin a des liens avec un autre Néandertalien situé à 1 700 km de là, sur le rocher de Gibraltar. Ce crâne découvert au milieu du XIXe siècleet Le Néandertalien du 19e siècle avait révélé en 2019 un peu de sa génétique. Il était considéré comme un ancien Néandertalien qui aurait vécu il y a 80 à 100 millénaires, mais nous révélons que ce Néandertalien de Gibraltar, surnommé Nana, datait précisément de la même période que Thorin, dans les derniers millénaires d’existence de ces populations.

Et maintenant, il faut tout réécrire. Repenser les premiers Sapiens, leurs relations non pas avec les Néandertaliens mais avec des populations biologiquement très différenciées qui, bien qu’apparaissant culturellement particulièrement diverses, pourraient s’éteindre sans rien changer à leurs manières millénaires de concevoir le monde.

La créature s’éteindrait, restant ce qu’elle a toujours été. Comme une expérience humaine sans avenir. Mais alors, comment meurent les hommes ? Les recherches continuent, et l’histoire semble de plus en plus fascinante…


Pour aller plus loin : Ludovic Slimak a publié « Le Dernier Néandertal » chez Odile Jacob en mai 2023. L’ouvrage retrace pas à pas l’enquête entourant la découverte de ce corps.

Jewel Beaujolie

I am a fashion designer in the past and I currently write in the fields of fashion, cosmetics, body care and women in general. I am interested in family matters and everything related to maternal, child and family health.
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