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un candidat a-t-il le droit de mentir sur le programme de ses adversaires ? – Libération

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Élections législatives 2024cas

La question est relancée (notamment) par les contrevérités contenues dans un tract du député RN sortant Julien Odoul. En revanche, les candidats disposent de plusieurs moyens d’agir, mais ils doivent généralement attendre la fin de l’élection.

En campagne pour sa réélection, le député RN sortant Julien Odoul distribue aux habitants de sa circonscription de l’Yonne un tract qui est destiné à être « contre Mélenchon et l’extrême gauche ». Un document truffé de contrevérités, de citations tronquées, d’approximations et autres exagérations sur les mesures promises par le Nouveau Front populaire (l’alliance de la gauche), comme VérifierActualités l’a démontré. Ce type de pratique, malheureusement fréquent, soulève une question : une personnalité en lice pour une élection a-t-elle le droit de mentir sur le programme de ses concurrents ?

En général, « Les candidats bénéficient des principes de liberté de la presse et de liberté d’expression »» demande Guy Prunier, ancien chargé de mission au Conseil constitutionnel, rejoint par VérifiezActualités. Romain Rambaud, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, le rejoint : « En droit électoral, la liberté d’expression est particulièrement forte. On a le droit à une certaine exagération. Ce qui peut cependant être réprimé, ce sont les abus de ces libertés. Mais en général, les actions dans ce sens n’interviennent qu’une fois les élections passées.

« Il n’y a pas un arbitre qui vient siffler chaque faute »

Donc, « il est assez rare de pouvoir empêcher la communication d’un document de propagande électorale avant le déroulement du vote », souligne l’avocate Alexandra Aderno, spécialisée entre autres en droit électoral. Deux recours restent néanmoins possibles. Premièrement, si dans le cadre de sa campagne, le candidat tient des propos insultants ou diffamatoires à l’égard de ses adversaires politiques, ceux-ci peuvent saisir le juge judiciaire, et plus particulièrement le juge des référés, pour faire cesser immédiatement ces comportements. Mais cela suppose que deux conditions soient remplies. Premièrement, l’insulte ou la diffamation doit être « dirigé contre quelqu’un en particulier »pas contre une cible aussi générale que « l’extrême gauche » ou encore le Nouveau Front populaire, note Romain Rambaud. Ensuite, le juge doit s’estimer compétent pour connaître du dossier. Cependant, souligne le professeur, « Avant les élections, les juges judiciaires se déclarent généralement incompétents en matière électorale. »

Autre recours possible : le « saisine des fausses nouvelles » qui découle de l’article L.163-2 du code électoral, instauré avec une loi de 2018 pour lutter contre la manipulation de l’information. Ce texte « prévoit notamment que le juge des référés pourra être saisi pour diffusion de fausses nouvelles susceptibles d’altérer la sincérité du vote diffusée via un service de communication en ligne », indique Sophie Briante-Guillemont, docteur en droit et auteur d’une thèse sur le contentieux électoral. Là encore, ce recours est limité à des cas bien précis. Donc, « cette procédure est réservée aux allégations répondant à trois conditions cumulatives : elles doivent être artificielles ou automatisées, massives et délibérées »et ajoute que « leur inexactitude doit être tout à fait manifeste », explique Sophie Briante-Guillemont. Le tract de Julien Odoul n’est donc pas du tout concerné : « Il semble qu’il s’agisse davantage d’un simple document de propagande diffusé sur le marché que d’une vaste manipulation sur les réseaux sociaux. »

Les moyens d’agir contre les fausses allégations sont donc particulièrement limités à l’approche des élections. Une fois l’élection tenue, les personnes visées par ces mensonges peuvent se tourner vers le juge électoral, qu’est le Conseil constitutionnel pour ce qui concerne l’élection des parlementaires. On parle de « contentieux électoraux », et une de ses spécificités est justement d’intervenir a posteriori. Lors d’une campagne, « il peut y avoir des fautes, mais il n’y a pas d’arbitre qui vient siffler à chaque fois que cela arrive pour suspendre le match, il faut attendre la fin du match », est un illustre docteur en droit de l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

La petite différence de voix, un critère déterminant

Les candidats malheureux devront alors contester la validité même de l’élection, arguant notamment que les propos tenus étaient de nature à altérer la sincérité du vote. Avant de déterminer si ces manœuvres ont réellement influencé le résultat de l’élection, le juge électoral conditionnera la recevabilité du recours au constat « dans la circonscription en question, une petite différence de voix entre les candidats dont l’un a fait l’objet de mensonges », précise Alexandra Aderno. En effet, ajoute Sophie Briante-Guillemont, «Plus les élections sont remportées avec une faible marge de voix, plus ce type de manœuvre risque d’avoir du poids.» Concernant le tract de Julien Odoul, « le fait qu’il ait été autant critiqué et largement dénoncé » pourrait conduire à la conclusion inverse : « Le Conseil constitutionnel peut tout à fait considérer que, malgré la courte campagne, les électeurs ont eu le temps d’être avertis par les médias et les autres candidats du contenu mensonger de ce document, donc sans porter suffisamment atteinte à la sincérité du scrutin. »

L’autre action possible après coup est celle prévue à l’article L.97 du code électoral, qui « sanctionne la diffusion de fausses informations visant à détourner les votes ou à inviter à s’abstenir de voter », résume Alexandra Aderno. Nous avons donc affaire à un délit, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, qui implique le dépôt d’une plainte ou d’un signalement, et une procédure devant le juge pénal. Les prévenus ne sont pas nécessairement des candidats, mais potentiellement toute personne ayant manœuvré pour détourner les votes ou encourager l’abstention. L’efficacité de ce recours est entravée par les délais inhérents aux procédures pénales : les faits sont jugés bien après l’élection. Jusqu’au procès, les victimes de cette désinformation ne peuvent rien faire, si ce n’est conserver des preuves (le tract en question, les canaux par lesquels il a été diffusé, etc.).

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