Nicolas Sarkozy aurait-il bénéficié des services d’une équipe désastreuse œuvrant pour obtenir la rétractation de Ziad Takieddine, témoin clé dans l’affaire du financement illégal présumé de sa campagne de 2007 ? C’est une affaire rocambolesque dans l’affaire racontée par « Enquête complémentaire » le 11 avril 2024 : l’opération « Sauver Sarko ». Plusieurs acteurs de ce fiasco apportent des témoignages exclusifs, dont voici quelques extraits.
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Affaires du bismuth, Bygmalion, financement présumé libyen de la campagne de 2007… ce dernier dossier, peut-être le plus sensible de ceux concernant Nicolas Sarkozy, est notamment soutenu par les accusations d’un intermédiaire franco-libanais, Ziad Takieddine. Mais en novembre 2020, il se rétracte médiatiquement.
Un coup de théâtre après onze années d’enquête tentaculaire, alors que treize personnes, dont l’ancien président, sont sur le point d’être jugées. Cette volte-face aurait-elle pu être télécommandée ? Documents, audiences et écoutes téléphoniques semblent découvrir une armoire sombre, manœuvrant pour Essayez de blanchir publiquement Nicolas Sarkozy. Ziad Takieddine puis il revint à ses accusations initiales. Il prétend qu’un marché pour lui aurait été proposé. Cette rétractation aurait-elle été fabriquée de toutes pièces pour venir en aide à l’ancien président ? Et si oui, à quel prix ?
Après des mois de négociations, certains des inculpés dans cette affaire ont accepté de témoigner au Complément d’enquête et de dévoiler leur version de ce qu’ils appellent l’opération « Sauver Sarko ».
Mimi Marchand, « la reine des paparazzi »
Ce petit groupe, que l’ex-président a qualifié devant un juge de « bande de pieds nickelés », serait composé d’une dizaine de personnes : une vieille connaissance du « Complément d’enquête », la « reine des paparazzi » Mimi Marchande ; un proche de Nicolas Sarkozy, de l’homme d’affaires millionnaire David Layani ; un riche marchand de biens immobiliers aujourd’hui décédé, Pierre Reynaud… mais aussi deux hommes connus de la justice pour diverses arnaques : le scénariste Thomas NLend, et surtout Noël Dubus, un aventurier à tendance barbouze fiché à la DGSE.
Un one-man band façon barbouze
Libre sous contrôle judiciaire dans le cadre de sa mise en examen pour subornation de témoin, celui qui sera l’orchestrateur de cet imbroglio a livré au « Complément d’enquête » ses confidences sur l’organisation de l’opération. A sa demande, son visage reste dans l’ombre.
C’est à l’été 2020 que Noël Dubus aurait été approché par« des gens qui voulaient savoir si Ziad pouvait, moyennant une somme d’argent, revenir sur son premier témoignage ». Selon lui, Ziad Takieddine, en grande difficulté financière, aurait accepté. Ensuite, Noël Dubus aurait rencontré Michèle dite « Mimi » Marchand, patronne d’une agence de photographie et proche de Carla Bruni, l’épouse de l’ancien président, par l’intermédiaire du scénariste Thomas NLend. Il se dit tenté par la perspective d’un scoop.
22 octobre 2020 : décollage pour Beyrouth
Le 22 octobre 2020, le départ est donné par Noël Dubus et Michèle Marchand : décollage immédiat et en première classe pour Beyrouth, où Ziad Takieddine s’est réfugié après sa condamnation dans l’affaire Karachi. L’interview choc sera réalisée par un journaliste de Paris-Match que Mimi Marchand embarque avec elle. S’en suivra une séance photo et vidéo, avec un photographe qu’elle aura choisi.
Opération « Save Sarko » : décollage pour Beyrouth
Opération « Save Sarko » : décollage pour Beyrouth
(ENQUÊTE COMPLÉMENTAIRE / FRANCE 2)
Thomas NLend dit avoir suivi l’avancée des opérations en temps réel depuis Paris : « Je sais d’une manière générale ce qui se passe. Je sais que l’entretien se passe bien, et qu’ils ont ce qu’ils veulent. (…) Il dira textuellement : « Je n’ai pas donné d’argent, ni directement ni indirectement, à Nicolas Sarkozy ». Selon Ziad Takieddine, « 4 millions, 5 millions » lui aurait été proposé pour ce revirement. D’où viendrait cet argent ?
Une rétractation valant des millions ?
Pierre Reynaud, l’un des financiers présumés de l’opération « Save Sarko », a accepté de livrer au magazine une interview exclusive – quelques mois avant d’être tué par un cancer. Contrairement à ce qu’affirment Ziad Takieddine et Noël Dubus, il dément avoir proposé plusieurs millions d’euros pour ce revirement. Ce personnage aux allures d’Audiard se vantait partout d’être un ami intime de Nicolas Sarkozy… mais a confié à « Complément d’enquête » qu’il ne le connaissait pas.
Opération « Sauver Sarko » : « Vous ne pouvez pas renier vos amis »
Opération « Sauver Sarko » : « Vous ne pouvez pas renier vos amis »
(ENQUÊTE COMPLÉMENTAIRE / FRANCE 2)
Opération « Sauver Sarko » : « Vous ne pouvez pas renier vos amis »
Opération « Sauver Sarko » : « Vous ne pouvez pas renier vos amis »
(ENQUÊTE COMPLÉMENTAIRE / FRANCE 2)
Nom de code «Zébulon»
La police a découvert que tout au long de l’opération « Sauvons Sarko », Mimi Marchand, Noël Dubus et les autres ont fréquemment évoqué l’ancien président dans leurs échanges de SMS, mais sans jamais citer son nom. « Ils l’appelaient Zabulon (du nom d’un « personnage de dessin animé un peu énergique »), révèle Thomas NLend, ou encore « Inès », un prénom dont la sonorité est proche de « NS », les initiales de Nicolas Sarkozy.
Opération « Sauver Sarko » : « Zébulon » était-il au courant ?
Opération « Sauver Sarko » : « Zébulon » était-il au courant ?
Ainsi ce texte envoyé à Mimi Marchand : « Rassurez Zébulon que tout va bien et que maintenant que les fonds sont là, c’est beaucoup plus facile. » Nicolas Sarkozy était-il au courant de ce qui se passait ? C’est l’une des questions au cœur de cette enquête.
Quand le scoop fait « pschitt »… la contre-attaque
La petite bande était persuadée que l’interview allait faire bouger les lignes parmi les juges, mais rien ne s’est passé comme prévu : le scoop est devenu « merdique », la majorité des médias estimant qu’il n’avait aucune valeur juridique.
Opération « Sauver Sarko » : « Encore faut-il aimer Nicolas Sarkozy pour lui rendre des services à 72 000 euros… »
Deux mois après cette offensive médiatique ratée, Noël Dubus lance alors une contre-attaque – légale, cette fois. A Beyrouth, il a organisé une « convocation interpellative ». Il s’agit d’enregistrer les déclarations de Ziad Takieddine devant notaire pour les transmettre aux juges parisiens. Selon lui, les questions de ce nouvel entretien auraient même été validées par l’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog (qui n’a pas répondu aux demandes du « Complément d’enquête »). Le coût de ce deuxième voyage au Liban, 72 000 euros, aurait été pris en charge par un nouveau « financier », l’homme d’affaires millionnaire David Layani, qui réfute ces accusations.
Ce fiasco coûte à l’ancien chef de l’Etat deux nouvelles mises en examen, pour « recel de subornation de témoin » et « association de malfaiteurs »… Nicolas Sarkozy a toujours contesté tout financement illégal de sa campagne de 2007 et a fait savoir au « Complément d’enquête », par l’intermédiaire de son avocat, qu’il était « totalement étranger à l’organisation du reportage incriminé ».
Vidéos extraites de « Opération ‘Save Sarko’ : les coulisses d’un fiasco », un document à voir dans « Complément d’enquête » le 11 avril 2024.
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