Un appartement pour une vie
Joyce habite ici, au coeur de Val-d’Or, depuis plusieurs années. Comme d’autres, elle a une petite chambre. Mais rien n’est à elle ici, à part sa lessive et quelques effets personnels. A sa fenêtre, elle a accroché une plume.
Elle fait partie des chanceuses, car elle dort seule dans sa petite chambre. Ce n’est pas le cas de Sonny, qui partage quelques mètres carrés avec un colocataire, un étage au-dessus.
Joyce et Sonny sont deux Anishnabeg. Bien qu’elle soit née à Maniwaki, Joyce se présente comme attachée à la communauté de Kitcisakik, située au sud de Val-d’Or. Sonny, il vient de Pikogan, dans le nord.
Dans quelques semaines, ils emménageront dans un endroit bien à eux.
La Piaule travaille depuis 10 ans sur ce projet de logements abordables pour les personnes à risque de devenir sans-abri. À deux pas de l’épicerie du centre-ville, les travaux du Château Marie-Ève avancent bien pour que les 41 appartements (2 ½) soient terminés d’ici mai.
Nous avons reçu une cinquantaine de candidatures. La moitié étaient autochtones
précise Isabelle Boucher, la directrice générale de l’organisme.
Les critères de sélection étaient les suivants : les demandeurs devaient accepter d’avoir un suivi et d’entreprendre des démarches pour arrêter leur consommation, notamment. Les loyers s’élèveront à 25% de leurs revenus.
Et c’est le travail de nos intervenants de s’assurer que les locataires ont un emploi pour pouvoir payer leur loyer.
ajoute Mme Boucher.
Joyce a appris en janvier qu’elle aurait un appartement. Sachant ça, ça m’a libéré, j’ai hâte, car j’en ai marre d’être là, j’ai l’impression d’être prisonnier
dit-elle en scrutant la pièce dans laquelle elle se trouve.
Joyce pense qu’avoir un endroit à elle la rendra plus responsable, y compris prendre ses pilules toute seule.
L’Anishnabe de 45 ans souffre de cirrhose et ses reins ne fonctionnent plus bien. A La Piaule, elle doit signer une fiche de suivi dès qu’elle prend ses médicaments.
Joyce, as-tu pris tes médicaments aujourd’hui ?
demande un orateur. Joyce hoche la tête. On lui remet une feuille de papier sur laquelle elle doit apposer sa signature, preuve qu’elle a pris son traitement.
Joyce veut reprendre le contrôle de sa vie, inviter ses amis, sa famille, dans autre chose qu’une petite chambre où il n’y a de place que pour un lit. Mais elle sait aussi qu’elle aura encore besoin d’aide.
Sonny est également impatient. Depuis 2016, il partage sa chambre avec une colocataire au premier étage de La Piaule. Il affirme être sobre depuis 2004. Sa principale difficulté est de devoir se rendre à l’hôpital trois fois par semaine pour sa dialyse.
Ici, à La Piaule, on ne peut pas faire grand-chose. Il faut se lever à 8h, se coucher à 23h. Le week-end c’est un peu plus tard. Je manque un peu de liberté. Je veux pouvoir manger ce que je veux, regarder ce que je veux à la télé
concède l’homme de 49 ans.
Sonny a encore du mal à imaginer à quoi ressemblera son appartement. L’essentiel est qu’il se sente bien.
vies chaotiques
Joyce et Sonny ont grandi sur les routes de l’Abitibi plus que jeté l’ancre. Sonny a été placé en famille d’accueil à Senneterre, dans une famille non autochtone, sa mère de 14 ans étant trop jeune pour s’occuper de lui. Joyce, quant à elle, a grandi pendant deux ans à Lac-Barrière, puis Louvicourt, Kitcisakik, Lac-Simon, Val-dOr…
Nomades des temps modernes malgré eux, ils n’ont pas eu la vie facile.
Ma mère a quitté mon père à cause de la violence. J’ai fait trois familles d’accueil jusqu’à ce que j’aie ma fille, à 16 ans
dit Joyce.
La quadragénaire revit le schéma maternel. Violence domestique. Abus psychologique.
Joyce parle même deesclavage
. Tourner entre différents endroits. Un nouveau partenaire et quatre autres enfants lui donnent l’espoir d’une vie meilleure.
Mais non.
J’ai essayé de me prendre en main, car je vivais de l’alcool, de la drogue… à cause de tout le mal que je vivais avec des hommes violents. Mes enfants ont été placés
, dit-elle calmement, la voix brisée. Elle avoue même avoir dû se prostituer pour vivre.
Sonny est plus discret sur son passé. Il se contente de dire qu’il ne pouvait plus vivre avec ses parents, qu’il a coupé les ponts avec eux, puis que sa famille d’accueil l’a rejeté, du moins son demi-frère. Il lui a acheté un billet pour aller à Val-d’Or.
Les deux font des petits boulots : concierge, plongeur, bûcheron et défricheur…
La prochaine étape pour les nouveaux locataires sera de s’équiper. Mme Boucher indique que son organisme a lancé un appel aux dons et que les meubles seront vendus à un prix dérisoire aux bénéficiaires.
C’est pour qu’ils se disent que c’est vraiment le leur. Et ils pourront aussi les choisir
Elle ajoute.
Un petit pas de plus vers la liberté et l’indépendance.
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