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un an après sa mutinerie, Eugène Prigojine toujours respecté par de nombreux Russes

Le chef du groupe paramilitaire Wagner, décédé dans un accident d’avion deux mois après la rébellion de juin 2023, reste admiré par une partie de la population russe. A Saint-Pétersbourg, nombreux sont ceux qui viennent lui rendre hommage sur sa tombe.

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La tombe d'Evgueni Prigojine, à Saint-Pétersbourg, en Russie.  (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

Il y a un an, Eugène Prigojine défiait le Kremlin comme personne avant lui depuis la tentative de putsch manquée de 1991. Toute la journée du 24 juin 2023, le chef du groupe Wagner et ses hommes faisaient trembler le Kremlin en remontant l’autoroute depuis Rostov. -sur-le-Don vers Moscou avec une colonne de véhicules blindés. La mutinerie du groupe paramilitaire a fait vaciller le pouvoir de Vladimir Poutine, avant qu’il n’en reprenne le contrôle. In extremis.

Deux mois plus tard, Eugène Prigojine est décédé dans un accident d’avion dont les circonstances restent floues. Depuis, Eugène Prigojine a complètement disparu de l’espace public russe. Il n’est plus jamais mentionné dans les médias ni dans les débats politiques. La consigne tacite semble être d’agir comme si le personnage n’avait jamais existé. Aucun hommage, aucun bilan, voire aucune critique de son action n’ont émergé depuis. Il est cependant un endroit où son nom peut être évoqué : son tombeau, à Saint-Pétersbourg, visité quotidiennement par de nombreux curieux et admirateurs.

Après des funérailles organisées en catimini, le lieu s’est progressivement ouvert aux visiteurs. 1euh En juin dernier, pour l’anniversaire de la naissance d’Evgueni Prigojine, ses proches ont ajouté une immense dalle de marbre et une statue grandeur nature du guerrier de guerre, bombant la poitrine et portant ses décorations de « héros de la Russie ». De quoi rendre la tombe du chef de Wagner un peu moins anonyme, un peu plus à son image aussi, la discrétion n’ayant jamais été le point fort de l’homme d’affaires devenu chef de guerre.

Elena vient parfois y méditer. Ce quadragénaire avoue avoir des sentiments ambivalents pour l’ancien chef de guerre. Elle est plutôt légitimiste, n’aime pas le désordre, mais Prigojine a aussi dénoncé les faiblesses du régime, estime-t-elle. «C’était un patriote malgré tout, l’un des meilleurs fils de sa patrie. La Russie suivra toujours une voie différente, contrairement aux pays occidentaux.»elle juge.

« Ici, nous avons besoin d’un homme avec une main de fer. Peut-être qu’il aurait pu être ce genre de personne. Le pays aurait pris une voie différente. C’est dommage. »

Le cimetière Porokhovksoye où est enterré Eugène Prigojine est situé au bout d’une route, à près d’une heure du centre-ville de Saint-Pétersbourg. Pas très facile d’accès. C’était une volonté du pouvoir qui voulait éviter un culte trop ostentatoire de la mémoire du personnage. Pourtant, Irina, une retraitée qui vend des fleurs depuis l’arrière de sa voiture sur le parking, voit passer des admirateurs tous les jours. « Beaucoup de gens viennent le voir, ils me demandent où aller et comment y arriver, témoigne cette femme qui elle-même ne cache pas une certaine admiration pour le personnage. Il y a beaucoup de Moscovites qui viennent, ils louent des voitures pour venir ici. Les gens ont beaucoup de respect pour lui. »

Parce qu’il a dit tout haut ce que pensent à voix basse de nombreux Russes, notamment de leurs généraux, Eugène Prigojine reste admiré par une partie de la population. Les causes du crash de son avion restent inexpliquées ; l’enquête officielle a exclu un impact externe, a expliqué un jour Vladimir Poutine, mais n’a jamais abouti à un rapport complet. Elena, comme beaucoup de Russes, ne se fait cependant aucune illusion.

« Quand les événements de Rostov ont commencé, j’ai tout de suite été convaincu que cela n’allait pas durer longtemps. Il a été tué par nos services. Le FSB l’a éliminé, j’en suis sûr à 100%, je n’en doute pas. »

Depuis des mois, Eugène Prigojine avait interrogé, parfois violemment, l’état-major et le ministre de la Défense de l’époque, Sergueï Choïgou. Il est allé jusqu’à remettre publiquement en question les objectifs officiels de la guerre en Ukraine, qualifiant l’invasion russe d’« échec ». À l’époque, cette liberté de ton aurait pu laisser croire que le pouvoir absolu du Kremlin était en train de s’effondrer. La rébellion des hommes de Wagner était alors interprétée comme le signe de l’affaiblissement du contrôle de Vladimir Poutine sur le pays. Un an plus tard, face à la tombe de Prigojine, même ses admirateurs tiraient la conclusion opposée.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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