C’est un samedi de juin au Parc de la Villette, enfin en novembre si l’on se fie à la météo. Il y a des promeneurs, des parents avec enfants, beaucoup d’enfants même et des gens qui sortent de l’ordinaire, comme ce monsieur curieusement maquillé qui fend la foule en VTT avec une sono à plein volume. Et puis il y a Annie Ernaux. Une silhouette un peu frêle, pleine de cheveux, habillée, qui brave la pluie et les attentions de ses admirateurs. Le prix Nobel de littérature 2022 remporte l’auditorium où elle doit s’exprimer à deux reprises samedi 1euh juin dans le cadre du festival MOT pour Mots organisé conjointement, le temps d’un week-end éclair, par Télérama, Le Nouvel Obs Et Le monde.
Qu’elle le veuille ou non, Annie Ernaux ne passe pas inaperçue en pareille circonstance. Les spectateurs la regardent, avides et respectueux, s’il est possible d’être les deux, les organisateurs l’accompagnent, soucieux de ne pas paraître trop obséquieux, et ses éditeurs veillent sur leur auteur. « Il est difficile d’imaginer la pression psychologique qu’engendrent toutes ces demandes. » confie Thomas Simonnet, directeur des éditions Minuit, qui fut l’éditeur d’Annie Ernaux pendant Années (2008), l’un des ouvrages qui, avec Le lieu et son prix Renaudot 1984, ont eu le plus grand impact sur sa carrière.
Sous la pluie de La Villette, il y a Neige Sinno, un peu à l’écart de la foule, mais on la reconnaît elle aussi aux côtés de son éditeur, Jean-Paul Hirsch, dont l’imperméable rouge vermillon est un repère fort commode. Nous ne pouvons pas être l’auteur d’un livre multi-primé en 2023, Tigre triste, et passe inaperçu. Son livre s’est vendu à plus de 150 000 exemplaires depuis sa parution en août 2023. Un phénomène littéraire qui révèle ce qui est là, connu et oublié, la prévalence des abus sexuels, un phénomène « si bien ou si mal caché » comme le résume lumineusement Annie Ernaux lors de leur prochain dialogue.
Tous deux doivent échanger par l’intermédiaire de Nathalie Crom, journaliste littéraire à Télérama. Il s’agit de leur première réunion publique. Et avant de se lancer dans l’exercice, Neige Sinno défie la pluie pour fumer une cigarette, à part. Qui ne ferait pas de même avant de s’adresser à un monument de la littérature ? « J’ai à peine dormi la nuit dernière. » elle se confie à plusieurs reprises à son entourage ainsi qu’à des lecteurs qui demandent une dédicace ou juste un instant pour lui dire un mot, l’entourer, la féliciter. Au risque de l’étouffer.
Il vous reste 73,04% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.