Trump et JD Vance font appel aux libertariens de la technologie en prônant une déréglementation totale de l’IA
Donald Trump se serait-il découvert une passion récente pour l’intelligence artificielle ? En tout cas, son camp envoie une série de signaux qui plaisent aux entrepreneurs et investisseurs les plus radicaux spécialisés dans l’intelligence artificielle. Leur soutien est d’autant plus clair depuis la nomination par Donald Trump, le 17 juillet, de JD Vance, sénateur de l’Ohio, comme candidat à la vice-présidence.
Dans la presse, il apparaît d’abord comme un homme de la classe ouvrière, un ancien Marine et un défenseur des droits des travailleurs américains. Une histoire qu’il raconte dans son autobiographie Élégie montagnardeMais le jeune homme de 39 ans est aussi un produit de la tech américaine. Avant d’entrer en politique, JD Vance s’est fait un nom en tant qu’investisseur. D’abord au sein du fonds californien Mithril Capital, cofondé par Peter Thiel, fondateur de PayPal et Palantir, proche de Donald Trump et figure controversée du transhumanisme et de la droite libertarienne. Il a ensuite créé sa propre société d’investissement, Narya Capital, en 2020, épaulé par Peter Thiel et l’ancien président de Google, Eric Schmidt.
Ses années dans le milieu ont permis au jeune homme politique de se construire un réseau. Parmi son cercle intime, on retrouve également Elon Musk. Le milliardaire, dont on connaît les idées d’extrême droite de plus en plus affirmées, a récemment annoncé vouloir donner 45 millions de dollars par mois à la campagne de Trump. Autre ami proche de Vance : David Sacks. Cet investisseur se définit comme un « populiste » et diffuse ses idéaux conservateurs dans le populaire podcast All-In, qu’il co-anime. Donald Trump était d’ailleurs l’invité de l’émission il y a quelques semaines.
Tous ces hommes proches de Vance et Trump ont en commun d’incarner une frange particulière de la Silicon Valley : libertaire et conservatrice sur les questions sociales. Aux antipodes de la ligne apparemment plutôt progressiste des travailleurs du secteur (pour rappel, moins de 25% des habitants de la Valley ont voté pour Trump en 2020).
Accélérer le développement de l’IA à tout prix, sans contraintes réglementaires
JD Vance bénéficie également du soutien du » efficace accélérationnistes » (e/acc). Ce mouvement, né il y a un an et de plus en plus présent au sein du secteur technologique, rassemble les plus fervents défenseurs du développement effréné de l’intelligence artificielle, et plus largement du progrès technologique et du capitalisme. Leur slogan : Accélérer ou mourir (accélérer ou mourir). Ils ont été construits en opposition au contrecoup que la technologie subit depuis plusieurs années. Suite à la série de scandales depuis Cambridge Analytica, l’humeur est davantage au discours et à la réglementation technocritiques. Les e/acc veulent mettre fin à ce contrecoup et revenir à l’optimisme technologique.
Ils se définissent aussi en opposition aux « altruistes efficaces » (AE), des philanthropes qui cherchent à réduire les « risques existentiels » auxquels l’humanité est confrontée, notamment l’avènement de ce qu’on appelle l’intelligence artificielle générale (IAG). Les e/acc, comme les altruistes efficaces, croient que l’IA est capable de surpasser l’humain (ce qui n’est absolument pas un consensus parmi les scientifiques), mais leur réponse à ce postulat diverge. Les AE veulent la contrôler, pour assurer un développement « sécurisé », tandis que les e/acc veulent embrasser sa puissance, convaincus que son accélération permettra un monde meilleur, quoi qu’il arrive.
Dans les rangs d’e/acc, on compte des jeunes, entrepreneurs et ingénieurs spécialisés en intelligence artificielle, mais aussi des personnalités influentes comme Gary Tan, directeur de Y Combinator, l’un des plus prestigieux incubateurs américains, ou Guillaume Verdon, fondateur de la startup Extropic, connu sous le pseudonyme « Based Beff Jezos » sur X où il compte plus de 100 000 abonnés. Ce dernier a publié plusieurs tweets enthousiastes après la nomination de JD Vance.
Il a notamment partagé un extrait d’une audition d’un sénateur sur la réglementation de l’intelligence artificielle, dans laquelle Vance déclare :
« Souvent, les PDG de très grandes entreprises qui ont déjà des positions dominantes dans le secteur de l’IA viennent nous parler des risques et nous demandent de réguler. (…) Je ne peux m’empêcher de craindre que si nous (le Congrès) agissons sous la contrainte des titulaires actuels, ce sera à l’avantage de ces derniers et non du consommateur américain. »
L’open source comme solution à l’IA de gauche, selon JD Vance
Dans un tweet de mars, également mis en avant par la communauté e/acc, JD Vance précise que « Les risques de l’IA sont indéniables. L’un des plus importants est qu’un groupe de partisans fanatiques utilise l’IA pour infecter chaque partie de l’économie de l’information avec des préjugés de gauche ; Gemini produit des aberrations historiques. ChatGPT promeut des concepts génocidaires. La solution est l’open source. »
JD Vance semble vanter l’open source comme un moyen de faire progresser la technologie, mais aussi, et plus étrangement, comme un moyen de se débarrasser des garde-fous qui contrôlent les biais racistes et sexistes dans l’intelligence artificielle (ce qu’il appelle les « biais de gauche »). Mais les chercheurs favorables à l’open source y sont favorables parce que des modèles ouverts et transparents nous permettent d’améliorer notre connaissance des biais et éventuellement de les réduire.
Au-delà des déclarations, la communauté pro-IA s’appuie également sur certains points du programme républicain. Dans un document mis en ligne en juin, le parti affirme vouloir annuler le décret présidentiel signé en octobre par l’administration Biden pour une « IA sûre, sécurisée et fiable ».
Selon les républicains, cet ordre « entrave l’innovation en matière d’IA et impose des idées de gauche radicale au développement de cette technologie ». Ils recommandent donc la « Développer une IA basée sur la liberté d’expression et l’épanouissement humain ». Un document interne consulté par le Washington Post révèle également que les républicains préparent un décret sur l’IA. En plus d’annuler la réglementation prévue par Biden, ce texte prévoit d’importants investissements dans l’intelligence artificielle, notamment pour le secteur militaire.
Marc Andreessen, le « techno-optimiste » qui soutient Trump
Ces derniers jours, un autre soutien de Trump issu de la Silicon Valley fait la une des journaux : celui des investisseurs Marc Andreessen et Ben Horowitz. Ceux qui avaient financé les candidats démocrates lors des précédentes élections ont annoncé avoir choisi cette fois le candidat républicain. Ils estiment que Trump permettrait de rompre avec la régulation à outrance du secteur technologique initiée par Joe Biden et la taxation excessive des startups. Au-delà de cet aspect purement économique, Marc Andreessen promeut un idéal social spécifique, qui n’est pas celui de Donald Trump, mais qui pourrait bien s’accommoder d’un nouveau mandat de l’ancien président. Le cofondateur d’un des fonds les plus influents au monde est également connu pour ses positions radicales sur l’avenir de la tech. En octobre 2023, l’investisseur a publié sur son site un « manifeste de techno-optimisme ». Dans cette lettre d’allégeance au progrès technologique, il écrit que tout ce qui vient de la tech est bénéfique pour l’humanité. Il identifie aussi clairement ses ennemis : les défenseurs de l’éthique, de la responsabilité sociale… qui freinent la technologie. Dans ce même manifeste, il écrit que toute forme de régulation de l’intelligence artificielle est « une forme de meurtre ».
Déréglementer l’IA mais encadrer correctement les Big Tech
Cependant, les positions de Trump et de Vance sur la tech semblent parfois contradictoires. Si Vance s’oppose à la régulation de l’IA, il soutient la régulation des Big Tech. Il a notamment salué les efforts de Lina Khan, l’organisme américain de surveillance de la concurrence, pour limiter le pouvoir des grandes entreprises technologiques. Cependant, les raisons qui poussent Vance à vouloir « briser les Big Tech », comme il l’a suggéré dans un tweet, ne sont probablement pas les mêmes que celles qui poussent les démocrates à agir. Pour lui, les grandes plateformes entravent la liberté d’expression en promouvant des idées qu’il considère, une fois de plus, trop à gauche.
Quant à Trump, il a également estimé dans une récente interview accordée à Bloomberg qu’il considérait les grandes entreprises technologiques comme « trop grandes et trop puissantes » sans vouloir leur « faire du mal ». Il s’est également positionné en faveur de TikTok (après avoir appelé à son rachat par une entreprise américaine), car selon lui, la concurrence que propose la plateforme chinoise permet de diminuer le pouvoir de Meta et donc de Mark Zuckerberg.