Vous n’êtes pas content ? Triplé. Tadej Pogacar a officiellement mis un terme à deux ans de règne du Danois en remportant son troisième Tour de France, dimanche soir à Nice, au terme d’un contre-la-montre dénué de toute la substance dramatique dont les organisateurs avaient rêvé pour cette finale singulière. Pogi aime le spectacle mais préfère quand même l’efficacité du blockbuster très brouillon à l’issue incertaine du film d’auteur primé à la Mostra de Venise. A cet égard, voir le Slovène tuer le Tour à la première occasion – malgré une résistance prometteuse de Jonas Vingegaard en première semaine – était tout sauf une surprise. Et puis, oh, elles n’étaient pas si mauvaises, ces miettes de suspense : le public italien ne leur aurait pas craché dessus pendant le Giro.
La facilité avec laquelle Pogacar réalise le doublé Giro d’Italie-Tour de France, le premier du genre depuis Pantani en 1998, efface presque la grandeur de l’exploit. Pire, il suscite les soupçons et réveille Lance Armstrong qui lui conseillera de « faire profil bas » la 3e semaine plutôt que de chercher une humiliation puérile (insolente venant du Texan). Un avertissement totalement ignoré par le tyran de Komenda le lendemain, dans la montée d’Isola 2000. Que voulez-vous, il n’y peut rien, Pogacar « aime les défis » comme il le confiait après sa victoire au Giro. On lui en réserve un petit : le triplé inédit. Le Grand Chelem Italie, France, Espagne. Oserez-vous ?
Fin mai, il n’en est plus question. « Je peux vous assurer que le triplé Giro-Tour-Vuelta n’est pas au programme cette année. Gagner tous les Grands Tours est un objectif majeur pour moi, mais le faire la même année… Cela serait peut-être un peu fou. » Mi-juillet, il devient « il y a 99 % de chances que je ne sois pas à la Vuelta ». Les plus optimistes y verront une porte ouverte en invoquant un grand mathématicien brésilien qui disait un jour : 1 % de chance, 99 % de foi.
En nous armant de (mauvaise) foi et en mettant de côté les Jeux Olympiques, nous vous dirons sans trembler que les planètes sont parfaitement alignées pour permettre au leader des EAU de réaliser l’improbable.
> Un Giro facile : « Le Giro, c’est en moyenne 50 000 m de dénivelé positif, souligne Steve Chainel, consultant pour Eurosport. Cette année, on était à 40 000, soit presque 20 % de dénivelé positif en moins. C’était donc un Giro facile. »
> Une concurrence moisie en Italie qui lui a permis d’adoucir son effort : Daniel Felipe Martinez, 2ème au général et seul homme à moins de 10 minutes (9’56 derrière Pogi), est-ce vraiment grave ?
> La concurrence est arrivée au Tour en morceaux : « Vingegaard est arrivé avec une blessure assez incroyable qui remontait au Tour du Pays Basque, souligne Chainel. Et à côté de ça, on a un Evenepoel qui est encore complètement novice sur le Tour. C’était l’occasion parfaite de faire ce doublé. »
Sepp Kuss et l’exemple des dégâts d’une année à trois tours
Le coup du chapeau, et c’est là que la blague s’arrête, personne n’y croit vraiment. 20 minutesLilian Calmejane, coureur d’Intermarché-Wanty, y voit même un danger pour le coureur. « J’ose espérer que son staff chez UAE est assez intelligent pour le freiner s’il veut faire la Vuelta. Car il ne faut pas oublier que Pogacar a 26 ans et qu’il peut encore gagner 5 ou 6 Tours de France. Donc il ne faut pas aller le griller pour les trois prochaines saisons. Faire trois grands tours, ça laisse des traces. Il suffit de regarder Sepp Kuss. »
L’Américain a fait preuve de beaucoup de talent l’an dernier. Equipier de choix de Primoz Roglic sur le Giro et de Jonas Vingegaard sur le Tour, il a remporté la Vuelta en fin de saison, devenant ainsi le premier coureur depuis 66 ans à disputer les trois grandes courses de l’année et à en remporter une. Mais il y a un prix à payer pour cela.
« Kuss n’est pas le moteur de Pogacar, mais il a quand même un immense talent », souligne Calmejane. « Et le pauvre, cette année, il court après sa forme depuis le début de la saison, et il a eu beaucoup de problèmes. Trois manches, c’est dur pour le mental et les jambes pour se remobiliser en hiver, s’entraîner dur dans le froid et rester motivé. C’est comme si demain tu ouvrais un restaurant et que tu travaillais de 6h du matin à minuit pendant un an. L’année suivante, tu travailleras peut-être un peu moins. »
Pogacar aime trop les classiques pour mener une vie de grands tours
L’exception Adam Hansen existe (l’Australien a couru 20 Grands Tours d’affilée), mais il y a un monde entre courir dans le confort de son dos et passer des semaines à se frotter et à ronger son stress. Steve Chainel : « La décharge mentale que cela demande, surtout quand on joue le classement général… Répéter trois semaines de concentration dans la même année, trois semaines de nervosité, des risques de chute, des risques de bordures… Cela me paraît très dur. Quand on gagne, c’est toujours plus facile à réaliser, mais je pense que ce serait une grave erreur pour Pogacar d’aller à la Vuelta cette année. Jeux olympiques ou pas, d’ailleurs. »
Le train du triple va donc probablement passer par la gare sans s’arrêter. Et il n’est pas certain qu’il revienne un jour. Car une année avec trois grands tours nécessite une préparation en conséquence. Tadej Pogacar est arrivé au Giro avec dix jours de course, dont deux classiques (Milan-San Remo et Liège-Bastogne-Liège). Un rythme qui ne colle ni avec son caractère ni avec ses ambitions. « Je préfère ne pas courir après les records, mais vers de nouveaux défis, et je suis surtout attiré par les courses que je n’ai pas encore faites », a-t-il déclaré après le Giro. « Il est certain qu’un jour, il voudra gagner San Remo, où il tourne autour de la victoire, et se concentrer sur Paris-Roubaix pour le remporter, parie Steve Chainel. C’est pour ça que cette année était la bonne pour faire le doublé. » La triple couronne restera cependant un rêve inaccessible, même pour Pogacar. Et ce n’est pas un mal.