Jannah Theme License is not validated, Go to the theme options page to validate the license, You need a single license for each domain name.
actualité économiqueNouvelles locales

Travailleurs sans papiers : « Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de me cacher »

Actuellement, je suis à la recherche d’un emploi. Avec la grève, j’ai perdu celui que j’avais. C’est difficile, mais ça en valait la peine : maintenant je peux dire que je suis libre, parce que je suis « en règle ». On sent l’émotion dans sa voix quand il en parle. Djebril (1) a participé à la « grève coordonnée » lancée le 25 octobre 2021. Ce jour-là, avec le soutien de la CGT, 250 d’entre eux ont déclenché un mouvement sur 10 sites en Île-de-France touchant plusieurs secteurs d’activité : construction, livraison, restauration, manutention, ordures ménagères, etc. Deux cent cinquante ouvriers surtout avec pour point commun d’être sans papiers.

Depuis plus de quinze ans, les travailleurs « étrangers, irréguliers » – selon le statut juridique utilisé par l’administration – s’organisent avec la CGT pour obtenir leur régularisation. La méthode est toujours la même : après de longs mois d’aménagement minutieux, c’est le piquetage, l’occupation des lieux. Il s’agit de sortir de l’ombre et de créer un rapport de force pour obliger les patrons à négocier un protocole de sortie de conflit et à obtenir les fameux Cerfa, ces formulaires nécessaires à la première étape menant à l’encaissement, puis à la titre de séjour. La clé pour travailler légalement en France.

Six ans d’une vie à peine concevable

Cette fois encore, la grève – qui a duré trois semaines – a été un succès. « J’ai eu mon récépissé, je devrais recevoir mon titre de séjour dans les prochaines semaines, d’ici un mois maximum », lance fièrement Djebril. En effet, hormis quelques dossiers « encore en discussion avec la préfecture du 93 », la quasi-totalité des travailleurs ont été régularisés, explique Marilyne Poulain, secrétaire de l’union départementale de Paris et responsable du collectif des migrants à la CGT. « Plus de 90% des situations ont été traitées favorablement, soit plus de 230 personnes », précise-t-elle. Derrière ces chiffres, des vies ont été changées à jamais.

C’est le cas de Cheick, un Malien arrivé en France en mars 2015. Comme son ancien collègue Djebril, ce géant de Bamako était éventreur depuis 2019 pour le compte du Sepur, l’un des plus grands opérateurs d’Ile-de-France dans la collecte des ordures ménagères et la propreté urbaine. Il était l’un des quelque 60 travailleurs sans papiers de cette entreprise à avoir fait grève en octobre 2021.

« Ce n’est pas l’immigration qui crée le dumping social, mais l’absence de droits, d’où le besoin de régularisation » Marilyne Poulain, CGT

« Fin décembre, on a commencé à recevoir des SMS pour aller à la préfecture, raconte-t-il. J’ai récupéré ma carte le 12 janvier 2022. Je venais de signer mon CDI une semaine plus tôt. « Il a enfin pu se faire embaucher « légalement », comme ouvrier d’entretien dans un office HLM de Seine-Saint-Denis, après avoir enduré six ans d’une vie à peine imaginable. « Lorsque vous êtes sans papiers, vous n’êtes jamais en paix dans votre tête. Pendant tout ce temps, j’étais constamment stressé, se souvient-il. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de me cacher. »

Jusque-là, l’anxiété était son quotidien. Comment vivre sereinement quand un simple contrôle d’identité peut déboucher sur un placement en centre de rétention administrative, antichambre avant l’expulsion du territoire ? Nous avons rencontré plusieurs participants à la grève d’octobre 2021 ; tous expriment le même sentiment d’avoir enfin retrouvé leur liberté, ainsi que leur dignité. « C’est un immense soulagement d’avoir mes papiers », dit Djebril. Maintenant, je peux me déplacer sans problème ; Je suis très heureuse de pouvoir me présenter partout avec mon vrai nom pour chercher un emploi. Et puis, je pourrai enfin revoir mes parents qui sont restés au pays. »

« Les patrons savent qu’on n’a pas de papiers »

Aller et venir librement, se présenter sous sa véritable identité, voyager, etc. Quoi de plus banal pour tout le monde, sinon être un espion ou un braqueur de banque ? C’est pourtant ce qui est interdit à plus d’un demi-million d’êtres humains en France. Ils seraient entre 600 000 et 700 000 « clandestins », selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur.

Djebril y voit beaucoup d’hypocrisie. « Les patrons savent que nous n’avons pas de papiers, alors ils en profitent. Ils abusent de notre situation. Pour moi, c’est de l’esclavage moderne ! il affirme.

Le statut de ces travailleurs offre en effet de nombreux avantages aux employeurs peu scrupuleux, puisqu’ils peuvent rarement refuser et encore moins avoir à se plaindre. « On nous menaçait de nous retrouver au chômage si nous refusions certaines tâches », raconte Mady, un coursier d’origine sénégalaise. Il a expérimenté le système de sous-traitance « en cascade » : il a livré les courses de Monoprix vêtu d’un costume siglé Stuart (filiale de La Poste), employé sous le statut d’auto-entrepreneur pour le compte d’une autre société spécialisée dans la « logistique du dernier kilomètre » . Aujourd’hui en CDI chez un concurrent, Mady n’a rien oublié : « Il fallait tout accepter, sinon on était écarté du planning. Les poids, les distances pour les livraisons n’étaient pas toujours respectés. Et puis on était payé quand le patron le voulait, et le montant qu’il voulait. »

Missions temporaires d’à peine trois heures par jour

Même souvenir pour Minamady, cinq ans au compteur comme manœuvre sur des chantiers. Il a tenu le piquet devant une agence d’intérim près de la gare de Lyon, dans le 12e arrondissement de Paris. « Avant, je travaillais la nuit, mais je n’avais pas le salaire correspondant. Mes patrons savaient que je n’étais pas en règle, je ne pouvais rien faire. »

Les sans-papiers représentent ainsi une main-d’œuvre docile et bon marché, « travaillable à volonté en dehors de toute règle et droit du travail », dénonce la CGT, certains patrons ne se sentant pas obligés, par exemple, de rémunérer toutes les heures travaillées. Leur situation offre une flexibilité quasi absolue dans un système où de nombreuses contraintes disparaissent pour les employeurs. Qui d’autre pourrait accepter des missions temporaires d’à peine trois heures par jour, comme c’est souvent le cas dans le secteur de la construction ? Ou enchaîner des contrats supplémentaires dans la restauration, alors que la législation limite l’usage de ce statut à des besoins spécifiques ?

Se soumettre à l’injustice, supporter les vexations, les brimades racistes, c’est aussi souvent ce que ces travailleurs de l’ombre subissent au quotidien. S’ils sont généralement cantonnés aux métiers les plus difficiles et les moins bien rémunérés – postes « 3D » pour « dégoûtants, difficiles et dangereux » –, ils sont aussi soumis à des conditions de travail dégradées, à l’instar des travailleurs de seconde zone.

« Mettre en valeur notre réalité sociale »

« Les chaussures de sécurité n’étaient pas à ma pointure, j’allais acheter mes propres bottes chez Decathlon, même pas homologuées », se souvient Cheick. « Pendant les confinements, c’est nous qui sommes sortis pour nettoyer la ville, sans protection, sans gants, ni gel, même pas de masques », ajoute Djebril. L’ancien éboueur fait mieux dans un concours sordide de souvenirs humiliants. « Nous n’avions même pas accès au dépôt : nous devions déjà être en tenue de travail lorsque le camion de collecte est venu nous chercher, et une fois la tournée terminée, nous avons été déposés au même endroit. « les employés retournaient au dépôt pour se laver et se changer avant de rentrer chez eux, nous devions prendre le transport avec nos vêtements sales. »

« Pendant le confinement, c’est nous qui sommes sortis pour nettoyer la ville, sans protection, sans gants, ni gel, même pas de masques » Djébril

Les succès des grèves menées par les sans-papiers sont des victoires à plus d’un titre, estime Marilyne Poulain. « D’abord et avant tout pour la dignité de ces travailleurs, bien sûr. Mais aussi pour l’ensemble de la classe ouvrière, car ils contribuent à la lutte contre la précarité de la société. En mettant en lumière, par exemple, certaines situations irrégulières subies par des personnes pourtant « en règle ». « Avec la question des figurants, des ouvriers français qui se trouvaient aussi dans cette situation sont venus nous voir », précise le syndicaliste. Plus largement, ces grèves « mettraient en lumière notre réalité sociale ». Selon elle, il est clair que « des pans entiers de l’économie ne pourraient pas fonctionner sans les travailleurs sans papiers, qui occupent souvent les métiers les moins valorisés ». Cela souligne la nécessité de « protéger ces travailleurs et de les régulariser, mais aussi d’améliorer les conditions de travail dans ces secteurs », dit-elle. Ce n’est pas l’immigration qui crée le dumping social, mais l’absence de droits, d’où le besoin de régularisation ».

« Un vrai travail d’alerte avec l’inspection du travail »

Pour la CGT, il est impératif de mettre l’Etat devant ses responsabilités. « Certaines entreprises ont tout intérêt à voir perdurer ce système. Face aux patrons voyous, l’État doit se positionner, plaide Marilyne Poulain. C’est pourquoi nous réalisons un véritable travail d’alerte avec l’inspection du travail. Car les contrôles permettent de reconnaître – dans certains cas complexes – des situations de vulnérabilité, d’exploitation ou de recours abusif à l’intérim. Les situations, parfois alarmantes, mises au jour par la CGT semblent avoir influencé le ministre de l’Intérieur. En novembre 2021, Gérald Darmanin dénonce les entreprises qui profitent de l’immigration clandestine. « Le ministère a publiquement assumé la régularisation des grévistes et la nécessaire protection de ces travailleurs, ce qui est une victoire », note-t-elle.

Plus de deux mois après la fin de la grève, Cheick se sent désormais en sécurité. « Un citoyen comme les autres », résume-t-il. Très lucide sur la situation des travailleurs « surexploités », que lui et ses camarades sans-papiers vivent depuis plusieurs années, il pose des questions qui dérangent. « Si on ne s’était pas organisé, si on n’était pas allé voir la CGT, ça aurait pu continuer comme ça toute une vie ? Depuis combien de temps ces entreprises fonctionnent-elles ainsi ? L’État devrait se demander comment il fait autant de profit et remporte des contrats publics. Les gens devraient se demander. »


Grb2

Toutes les actualités du site n'expriment pas le point de vue du site, mais nous transmettons cette actualité automatiquement et la traduisons grâce à une technologie programmatique sur le site et non à partir d'un éditeur humain.
Photo de Cammile Bussière

Cammile Bussière

One of the most important things for me as a press writer is the technical news that changes our world day by day, so I write in this area of technology across many sites and I am.
Bouton retour en haut de la page