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Transferts d’indépendantistes d’outre-mer vers la France : l’histoire se répète

Sept indépendantistes kanak étaient incarcérés dans les prisons françaises. Déjà en 1988, après les événements de la grotte d’Ouvéa, des militants avaient été transférés à 17 000 km de Nouvelle-Calédonie avant leur procès. La pratique fait écho à un usage plus ancien : l’exil forcé des opposants dans le cadre du régime indigène.

L’incarcération en France de sept indépendantistes a ravivé les tensions en Nouvelle-Calédonie. Les violences, initialement localisées autour de Nouméa, s’étendent désormais aux îles, jusqu’ici épargnées. Le symbole est fort : les accusés d’avoir organisé les émeutes de ces dernières semaines ont été, quelques heures après leur mise en examen, envoyés dans des prisons à 17 000 km de leur domicile, à Dijon, Mulhouse et Riom.

L’affaire fait écho au transfert à la prison de Fresnes, en région parisienne, de 18 militants de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de Martinique (OJAM) en 1963, et à celle de quatre indépendantistes guyanais, envoyés en France en juillet 1980 ou à l’incarcération, à la fin des années 1980, de Luc Reinette, leader de l’Alliance révolutionnaire caribéenne (ARC), qui a milité pour l’indépendance de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane.

Unité de coordination des actions sur le terrain (CCAT), dont sont issus les prisonniers transférés, dénonce un « déportation ». Un vocabulaire qui rejoint celui des nationalistes corses, qui se battent pour rapatrier leurs militants incarcérés sur le continent. « Au début des années 2000, la France a imité l’Espagne en mettant en œuvre une ‘politique de dispersion’ à l’égard des détenus indépendantistes basques et corses. L’idée : les disperser dans les différentes maisons centrales de France pour dissoudre le collectif », a expliqué l’Observatoire international des prisons dans un rapport de 2018. Cette « politique de dispersion » n’est pas sans rappeler une autre, plus ancienne, associée au régime indigène.

« Il existe une tradition coloniale d’exil des opposants, pour les extraire de leur environnement social et politique et les déplacer, les isoler dans les prisons métropolitaines ou ailleurs, décrypte Isabelle Merle, historienne spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. C’était l’idée d’exiler les opposants et de les arracher de leurs lieux, de leurs territoires, pour les rendre inefficaces. Cette politique était incluse dans le régime indigène, il était possible que les gouverneurs l’aient« .

Cette pratique réveille un souvenir très douloureux d’une justice administrative centrée exclusivement sur les indigènes, dont faisaient partie les Kanak, dont les dirigeants étaient exilés. C’était une pratique courante en temps de crise, de guerre ou d’insurrection.

Isabelle Merle, historienne.

L’historien met néanmoins en garde contre « parallèles historiques »parfois trompeur : difficile de comparer une décision administrative et une décision judiciaire, comme c’est le cas aujourd’hui pour les militants du CCAT.

« C’est encore une mesure extrême que de faire partir plus de 17 000 d’entre eux km. C’est un mauvais signal. Je ne peux m’empêcher de penser à l’affaire Pouvana’a, à Tahiti », confie Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’Homme. Pouvana’a a Oopa, figure du mouvement indépendantiste polynésien, est arrêté en 1958. Accusé d’avoir donné l’ordre d’incendier la ville de Papeete, il est condamné à 8 ans de prison à purger en France et à quinze ans de prison. interdiction de séjour sur le sol polynésien. Il fut finalement autorisé à rentrer en Polynésie fin 1968 et fut par la suite amnistié. Il n’a été totalement disculpé qu’en 2018, quarante ans après sa mort.


Pouvanaa a Oopa, menotté et encerclé par des gendarmes lors de son arrestation, le 11 octobre 1959 à Papeete


« Récemment, la Cour de révision des condamnations pénales a reconnu qu’il existait un doute fort sur sa culpabilité, dans la mesure où les éléments de preuve démontraient que c’était la France qui avait déposé de fausses preuves chez lui », explique Nathalie Tehio. « Je ne dis pas que c’est la même chose. » elle tient à préciser, avant de préciser que Pouvana’a a Oopa n’a été envoyée en France qu’après avoir été condamnée.

Mais cette fois, les indépendantistes kanak ont ​​été transférés dans le cadre d’une détention provisoire : ils sont présumés innocents. « L’histoire se répète tragiquement » estime François Roux, avocat historique des indépendantistes calédoniens, qui, retraité, a décidé de reprendre la robe pour défendre les militants du CCAT transférés en France. Car en 1988, au lendemain de l’assaut de la grotte d’Ouvéa qui avait fait 19 morts, 26 indépendantistes kanak avaient également été expulsés à 17 000 km de chez eux avant leur procès.

« Les prisonniers ont été immédiatement transférés dans des prisons métropolitaines dans des conditions très dures (…). Ils sont arrivés sans rien. Ils sont arrivés en short et en tongs en France, où il faisait encore assez frais. Cela a suscité un élan de solidarité envers eux », se souvient Isabelle Merle. Libérés quelques semaines plus tard, ils ont finalement été amnistiés dans le cadre des accords Matignon-Oudinot, négociés en 1988 pour mettre fin aux violences qui ravageaient le territoire.

Cammile Bussière

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