« Tout le monde devrait pouvoir comprendre ce pour quoi il paie »
La Croix :Existe-t-il un système d’impôt progressif en France ?
Laurent Bach : Si l’on regarde les revenus déclarés, on observe une progression assez nette de la fiscalité depuis ceux qui ne paient pas, ou presque pas, d’impôt sur le revenu jusqu’aux 0,1% les plus riches, taxés à 46%. Mais on observe ensuite une régression à 25% pour les 75 ménages les plus riches.
Comment est-ce possible ?
KG: La question est de savoir ce qui constitue un revenu… La plupart des salariés sont imposés sur leur salaire, qu’ils le consomment ou l’épargnent. Pour les plus riches, même avec un salaire élevé, cela ne représentera qu’une très petite partie de leur revenu disponible.
Ainsi, pour que leurs revenus déclarés ne reflètent pas la réalité de leur revenu disponible, ces contribuables ont pu, de manière tout à fait légale, organiser leur patrimoine, via des sociétés dont ils contrôlent entièrement le capital et la trésorerie. Les dividendes et plus-values sur leur patrimoine ne sont pas soumis à l’impôt, tant qu’ils ne leur sont pas effectivement redistribués.
Ces milliardaires ne finissent-ils pas par être taxés dès qu’ils décident de se débarrasser de ces économies ?
KG: Si tel était le cas, on verrait apparaître des formes fiscales extraordinaires. Or, en travaillant sur les données fiscales anonymisées, nous n’en avons pas vu. D’abord, les impôts sur les plus-values sont plutôt faibles. Surtout, il est possible d’attendre de nombreuses années avant d’être imposé sur ces revenus. Les plus riches ont le temps et les moyens de préparer cette épargne pour échapper à une fiscalité excessive. Le pacte Dutreil, par exemple, permet la donation d’actions avec très peu d’impôts.
Puisque cet argent est en fin de compte de l’épargne, ne sert-il pas l’économie ? Pourquoi voudrions-nous le taxer comme un revenu ?
KG: Ce débat est pertinent, mais il faut de la transparence. On voit que l’épargne des classes moyennes est plus lourdement taxée que celle des plus riches. Mais on peut aussi considérer que cette dernière est investie plus efficacement pour l’économie que celle qui sert à l’État à financer sa dette ou son logement…
Ces 75 foyers fiscaux les plus riches paient 500 millions d’euros d’impôts chaque année. Taxés à 46 %, ils devraient payer 12 milliards d’euros. N’est-ce pas un problème en période de déficit budgétaire ?
KG: Il faut être prudent : ces contribuables ont une organisation très complexe de leurs revenus et de leur patrimoine, qui est extrêmement réactive aux changements fiscaux. Les taxer effectivement à 50% n’aura pas un tel rendement.
L’idée d’une fiscalité internationale, portée par Gabriel Zucman et soutenue par Bruno Le Maire, pourrait-elle empêcher les exilés fiscaux ?
KG: Je ne parlais pas forcément d’exil fiscal. Une fiscalité élevée conduit certes à des départs, mais partir est une décision brutale. Il n’y a jamais eu un nombre massif d’exilés fiscaux, et la plupart d’entre eux ont conservé leur activité économique en France. Le problème principal n’est pas tant que ces contribuables partent, mais qu’ils aient les moyens de mobiliser rapidement des conseils leur permettant de trouver d’autres moyens d’optimisation fiscale.
Ce phénomène n’affaiblit-il pas le consentement à l’impôt ?
KG: Le problème est complexe. Aux États-Unis, un pays très différent, il s’agit davantage de payer moins d’impôts collectivement que de voir les milliardaires payer plus. Pour que les gens paient plus d’impôts, il faut qu’ils en ressentent le besoin. Ils semblent plus sensibles à la manière dont leurs impôts sont utilisés qu’à ce que paient leurs voisins.
Comment pouvons-nous alors rendre le système fiscal plus équitable ?
KG: Notre système socio-fiscal est extrêmement complexe. La plupart des gens n’ont pas une vision globale de ce qu’ils payent. La fiche de paie ne permet pas vraiment de voir qui contribue à quoi. Il existe des milliers de façons de contribuer, avec un amas de systèmes parfois vieux de plusieurs siècles. Il serait utile d’avoir un débat serein si chacun comprenait ce qu’il reçoit et ce qu’il paye.
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