Ils sont 16 à avoir débarqué tôt le matin au port de Shengjin, en Albanie, sous bonne… escorte italienne. Seize hommes, originaires d’Égypte et du Bangladesh, ont été interceptés en mer alors qu’ils tentaient d’entrer illégalement en Italie. Leur arrivée inaugurera deux camps de migrants, installés en Albanie après un accord signé en novembre 2023 entre la chef du gouvernement d’extrême droite italienne, Giorgia Meloni, et le Premier ministre socialiste albanais, Edi Rama.
Mais que prévoit exactement cet accord ? Est-ce conforme au droit européen ? Georgia Meloni réalise-t-elle en Italie le rêve du Britannique Rishi Sunak, qui voulait expulser les immigrants vers le Rwanda ? Le très à droite Bruno Retailleau pourrait-il être séduit par l’idée ? 20 minutes fait le point.
Que prévoit l’accord entre l’Italie et l’Albanie ?
Le profil des migrants débarquant en Albanie est assez précis. « Cela ne concernera que les personnes secourues en mer par les garde-côtes italiens, parmi lesquelles il y aura un tri selon la vulnérabilité », explique Tania Racho, juge évaluatrice au Tribunal national du droit d’asile et membre du réseau Désinfox-Migrations. Les femmes et les enfants seront donc immédiatement exclus du processus et débarqués en Italie, tout comme « les personnes ayant subi des actes de torture », un critère dont l’appréciation pourrait être floue. « La subtilité est qu’il ne s’agit pas d’un transfert, donc l’Italie ne viole pas le principe de non-refoulement », explique le docteur en droit européen à 20 minutes.
Deux centres ont été construits par l’Italie, pour 65 millions d’euros, soit le double du budget prévu. Le premier est situé directement au port de Shengjin, composé de quelques bâtiments préfabriqués entourés de clôtures. C’est ici que l’identité des migrants sera vérifiée et enregistrée. « Ici, nous accueillerons 200 à 500 personnes maximum et elles ne resteront pas plus de 24 heures », promet l’AFP. Sander Marashi, le directeur du port de cette ville de 4 000 habitants.
Les migrants sont ensuite conduits au camp de Gjader, à 20 km au nord. Jusqu’à 880 personnes peuvent y être hébergées dans des préfabriqués de 12 m², entourés de hauts murs et surveillés par des caméras. La sécurité à l’intérieur du camp est assurée par les forces de l’ordre italiennes. Les demandeurs d’asile sont censés y rester vingt-huit jours au maximum ; Passé ce délai, si la demande n’a pas encore été traitée, ils seront renvoyés en Italie dans l’attente d’une décision. Rome paiera 160 millions d’euros par an pour entretenir les deux centres. «C’est beaucoup d’argent investi pour un projet qui concerne peu de gens», estime Tania Racho.
Peut-on le comparer avec le projet d’expulsion des migrants vers le Rwanda au Royaume-Uni ?
Rishi Sunak en a fait le projet phare de sa politique migratoire. Malgré des débats houleux, l’ancien Premier ministre britannique a fait adopter son projet sur l’envoi de migrants au Rwanda. « C’était similaire, l’idée était de cibler les gens qui arrivent en situation irrégulière et demandent l’asile alors qu’ils auraient pu le faire ailleurs », reconnaît Tania Racho. Mais Rishi Sunak perd les élections quelques mois plus tard et le projet est définitivement écarté par Keir Starmer, le nouveau Premier ministre travailliste.
« Personne n’a été envoyé au Rwanda », se souvient Tania Racho, un avion ayant été immobilisé au dernier moment par décision de justice. Ayant quitté l’Union européenne, le Royaume-Uni n’a pas forcément quitté la convention des droits de l’homme. Cependant, pour poursuivre le parallèle, « il y a une vraie question sur le respect des droits de l’homme au Rwanda, c’est vrai aussi en Albanie ».
Peut-on voir ce type de système se généraliser en Europe, notamment en France ?
« Juridiquement, ce que fait l’Italie est très vague », prévient Tania Racho. Si se concentrer sur les migrants interceptés en mer évite la question du non-refoulement, cette subtilité est inapplicable pour de nombreux pays. En France, la grande majorité des demandeurs d’asile arrivent par la route en provenance d’un autre pays européen. Ainsi, un migrant dans cette situation « ne pourrait pas être envoyé dans un camp dans un pays extérieur à l’UE », explique l’évaluateur de la Cour nationale du droit d’asile.
Et même hors de l’Union, les candidats risquent d’être rares, l’Albanie ayant clairement indiqué qu’elle ne traiterait qu’avec l’Italie. Pourtant, « il y a un problème avec les déplacements constants de personnes uniquement en raison de leur situation irrégulière », explique Tania Racho. En revanche, plus loin dans la demande d’asile, après un rejet, le statut du migrant change. Des « hubs de retour sur le territoire européen » pourraient voir le jour, imagine-t-elle.