« tout cela pourra, un jour ou l’autre, être connu »… quand l’Église prônait le « grand effacement » d’Henri Grouès
Que l’Église ait protégé des prêtres prédateurs, y compris à l’époque contemporaine, n’est plus à prouver. De l’affaire Preynat (prêtre lyonnais condamné pour agressions sexuelles sur mineures en 2020) à celle des frères Philippe (deux religieux dominicains accusés de multiples violences sexuelles) en passant par les révélations de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, en 2021, il y a Les illustrations ne manquent pas du silence maintenu par l’Église catholique sur les crimes sexuels commis par ses clercs. Mais comment cette omerta a-t-elle été concrètement déployée ? Avec quels acteurs ? Quelles méthodes ? Les archives de l’épiscopat français concernant Henri Grouès, dit abbé Pierre, ordonné prêtre en 1938, lèvent une partie du voile qui entoure ces questions.
Après la publication par Emmaüs, le 6 septembre, d’un deuxième rapport l’accusant de violences sexuelles (24 femmes, au total, témoignent de viols ou d’agressions, dont trois mineures au moment des faits), la Conférence des évêques de France ( CEF) a ouvert le 13 septembre ses archives nationales, situées à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Elle a mis à la disposition des journalistes et des chercheurs un dossier, constitué par ses équipes d’archivistes, de documents – des lettres pour l’essentiel – concernant le curé, décédé en 2007. Deux semaines plus tard, jeudi 26 septembre, c’était au tour de la diocèse de Grenoble, où Henri Grouès avait été incardiné comme prêtre, d’ouvrir les siennes : les archives du diocèse, mais aussi celles attachées à l’évêque – la distinction est importante, puisque les documents relatifs aux affaires sexuelles des clercs relèvent du second catégorie.
Ces différents documents, consultés par Le monde, illustrent la prise de conscience progressive par la hiérarchie ecclésiale de la nécessité d’encadrer ce prêtre pas tout à fait comme les autres. Dès 1942, alors qu’Henri Grouès servait comme auxiliaire (chargé entre autres de l’éducation religieuse) à l’orphelinat de La Côte-Saint-André, en Isère, un L’archiprêtre, alors chargé de le surveiller, se plaint auprès de l’évêque de Grenoble, Alexandre Caillot, de son caractère. « insaisissable et échappant à tout contrôle ». « Son zèle, sa piété et sa vertu sont incontestables mais gâtés par un manque de bon sens, par imprudence et une grande vanité, car il se croit toujours appelé à des choses extraordinaires et grandioses. (…) Il faut qu’il parte le plus vite possible”écrit le curé, qui menace de démissionner si Henri Grouès reste en fonction, dans une lettre conservée à Grenoble.
Il vous reste 84,55% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.