Toussaint Rouge, au début de la guerre d’indépendance algérienne. Dans son édition du 2 novembre 1954, le journal Le monde évoque « la Toussaint à Paris ». Toussaint, jours de mémoire… Dès l’ouverture des portes des nécropoles on voyait d’interminables cortèges de visiteurs s’avancer, les bras chargés de fleurs, le long des allées bien ratissées, entre les cyprès, les ifs et les tombes. , tandis que, poussées par le premier vent de novembre, les feuilles mortes tourbillonnaient. Dans le journal Le monded’autres victimes sont évoquées…
Définir la « guerre » d’Algérie
En France, l’expression « guerre d’Algérie » n’est officiellement reconnue que depuis la loi du 16 octobre 1999. A l’inverse, en Algérie, les organisateurs du soulèvement parlent d’une « guerre de libération nationale » depuis 1954, source de légitimité pour l’Etat algérien. Entre 1954 et 1962, le terme « guerre » est interdit et remplacé par « opérations de maintien de l’ordre ». Après 1962, ce tabou persiste, traduisant un désir d’amnésie.
Une histoire de…
18 minutes
La Toussaint rouge, début du conflit ?
Suite aux attentats du 1er novembre 1954, les populations algérienne et française comptent leurs morts. Au total, ce sont près de soixante-dix attaques réparties sur une trentaine de points du territoire algérien, qui visaient à saboter des installations clés et à attaquer des casernes pour récupérer des armes. Ces attaques, qui devraient épargner les civils, ont fait huit morts, dont un instituteur français, Guy Monnerot.
La réaction fut immédiate : le gouvernement de Pierre Mendès France organisa une répression antiterroriste dite « d’ordre intérieur ». La Toussaint est considérée comme le point de départ d’un conflit armé majeur. Elle constitue un tournant décisif puisqu’elle catalyse la lutte pour l’indépendance algérienne, et met en lumière la violence du colonialisme, les aspirations à l’autodétermination et les questions complexes d’identité nationale.
« Le 3 avril 1955 est proclamée la loi de l’état d’urgence, qui est une loi de pouvoirs spéciaux pour « rétablir l’ordre en Algérie », dans le langage politique français. L’état d’urgence (est) déclaré par décret dans les zones du territoire algérien les plus engagées dans la lutte pour l’indépendance. Cela signifie du point de vue des contemporains, et en tout cas du gouvernement français, l’espoir de pouvoir étouffer (les affrontements) qui commencent » ajoute l’historienne Sylvie Thénault. « Le point de non-retour fut l’insurrection du 20 août 1955. Au nord de Constantine, Zighoud Youcef, le chef local de l’Armée de libération nationale, appela les paysans de Constantine à l’insurrection. La presse française se fera l’écho des massacres d’Européens et une répression décuplée sera déployée.»
LSD, la série documentaire
57 minutes
Bataille d’Alger, FLN et conflits armés
Le Front de libération nationale (FLN), depuis sa création, est marqué par des tensions entre militants aux cultures et conceptions politiques divergentes, souvent séparées par de vieux conflits. Socialement, il reflète la société algérienne, c’est pourquoi il s’est rapidement imposé comme le principal moteur de la revendication algérienne d’indépendance.
« Les fondateurs du FLN, et les forces qui ont commis les attentats dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, ne sont pas très nombreux (…) Dans la matinée du 1er novembre, un tract a été distribué. La proclamation fixe d’emblée l’objectif de l’indépendance et les fondateurs du FLN appellent tous les nationalistes à les rejoindre. » explique Sylvie Thénault, auteur de Ratonnades d’Alger, 1956. Une histoire de racisme colonial (Seuil, 2022). « Le maquis s’agrandit même si Messali Hadj, de son côté, refuse le Front de libération nationale et crée le Mouvement national algérien. Il voit dans ce Toussaint Rouge une forme de coup d’État contre sa personne (car) il considère qu’il est le leader historique et le leader légitime de la revendication indépendantiste..»
Lorsque la bataille d’Alger éclate le 7 janvier 1957, l’armée française tente de juguler le terrorisme du FLN à Alger en démantelant ses réseaux et en menant une répression massive. Le FLN a répondu par une série d’attaques, ciblant des lieux fréquentés par les Européens. La bataille d’Alger s’est terminée par une victoire militaire de l’armée française, mais s’est accompagnée d’un recours massif à la torture, suscitant de vives protestations. L’escalade de la violence, entre terrorisme et torture, conduit à une radicalisation communautaire, rendant impossible toute recherche de compromis. Cette répression intense reste synonyme de terreur pour les Algériens.
Le cours de l’histoire
52 minutes
Les accords d’Evian, vers une résolution du conflit armé ?
Le temps des négociations est précipité par le passage à la Quatrième République en mai 1958. Charles de Gaulle, initialement perçu comme l’homme providentiel capable de préserver l’Algérie française, est néanmoins le premier dirigeant politique français à envisager l’indépendance. . Le 16 septembre 1959, de Gaulle annonce l’autodétermination et organise une consultation proposant aux Algériens la « francisation », « le gouvernement des Algériens par les Algériens » Ou « sécession ». Cette annonce marque un tournant dans la guerre.
Toutefois, la violence des conflits est encore loin d’être terminée. Les accords d’Evian sont signés trois ans plus tard, le 18 mars 1962, et appliqués le lendemain à midi. Là encore, les tensions restent vives, et l’OEA (Organisation de l’Armée secrète) s’engage dans une politique de « terre brûlée », créant ainsi une atmosphère de guerre civile.
Aujourd’hui, la guerre d’indépendance algérienne suscite encore de vives réactions et se retrouve plongée au cœur d’une « guerre des mémoires ». Les ambitions commémoratives, initiées depuis les années 2000, répondent à une nouvelle politique mémorielle dans le champ politique français, et le travail des historiens est plus que jamais essentiel.
Pour en savoir plus
Sylvie Thénault est historien, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la colonisation française en Algérie et de la guerre d’indépendance algérienne.
Publications :
- Les Ratonnades d’Alger, 1956. Une histoire de racisme colonialSeuil, 2022, réédition Points Seuil, 2024
- Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignation à résidenceOdile Jacob, 2012
- Algérie : des « événements » en guerre. Idées reçues sur la guerre d’indépendance algérienne, Le Cavalier Bleu, 2012
- Histoire de l’Algérie pendant la période coloniale, 1830-1962, co-réalisé avec Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou et Ouanassa Siari-Tengour, Barzakh/La Découverte, 2012
Références citées par Sylvie Thénault :
- Mohamed Harbiune des grandes figures de la lutte pour l’indépendance algérienne
- Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLNFayard, 2002
Références sonores
Archive:
- Albert Camus, Tribune de Paris, RTF, juillet 1946
- Charles André Julien, professeur à l’École des Outre-mer, Tribune de Paris, RTF, 31 juillet 1947
- La Toussaint Rouge, journal des Actualités Françaises, 11 novembre 1954
- Opérations militaires dans les Aurès, journal des Actualités Françaises, 2 décembre 1954
Musique :
- « Le Déserteur », chanson interprétée par Mouloudji et écrite par Boris Vian en février 1954
- Crédits : « Gendèr » de Makoto San, 2020