Dijon (Côte-d’Or), envoyé spécial.
Il y eut, entre Mâcon et Dijon (163,5 km), soit l’une des étapes les plus courtes de cette 111et édition, comme un moment d’aphasie vécu entre chien et loup, sous un plafond bas bordé de plomb dans une palette chromatique assez assombrie. Pluie, éclaircies, sans savoir de quel côté tomberait la pièce, sur un profil dénué de difficultés, promis donc à un nouveau sprint massif.
Autour de nos héros de juillet, le paysage n’avait plus cet air légèrement rapiécé et précaire, mais plutôt, à perte de vue, et assez vivement, des champs et des collines qu’agrémentaient, à chaque passage de villes ou de villages, les murs de spectateurs érigés, autant de barrières humaines aux touches de couleurs sophistiquées.
Les conditions étaient réunies pour une journée électrique. Explication : il était en effet probable que des vents latéraux assez violents puissent offrir des possibilités de bordures qui excluraient, pourquoi pas, une partie du peloton. Dans ce cas, combien d’entre eux seraient encore en jeu pour triompher à Dijon ? Et surtout, des mouvements de ce type seraient-ils susceptibles de faire sombrer dans les rafales des acteurs majeurs du classement général ?
La tentative prévue a lieu à 80 km de l’arrivée, à l’initiative de Visma. Tout explose comme un puzzle dans un beau jeu de manivelle. Pogacar se retrouve isolé dans le premier groupe, et on voit même Vingegaard prendre le dessus à l’avant. Un moment de panique, finalement passager, puisque tout rentre dans l’ordre après la jonction de tous les groupes. Après ces événements sans conséquences, on assiste alors à une sorte de cortège au ralenti vers Dijon. Puis les équipes de sprinteurs prennent leurs marques pour le sprint final, dont sort vainqueur le Néerlandais Dylan Groenewengen (Jay).
Le contre-la-montre de tous les dangers
Qu’on se le dise, tous les suiveurs pensaient déjà au lendemain, deuxième acte de vérité depuis la montée du Galibier. Sans surprise, le Belge Remco Evenepoel est annoncé comme le favori du contre-la-montre « spécial grands crus », vendredi entre Nuits-Saint-Georges et Gevrey-Chambertin (25,3 km), sachant que le Slovène Tadej Pogacar voudra montrer ses progrès réalisés dans cet exercice où il a beaucoup souffert ces deux dernières éditions. En 2022, ce dernier avait tendu l’autre joue.
L’an dernier, c’était le droit à une deuxième claque mémorable qui l’avait poussé à une profonde introspection, irrémédiablement dominé par son grand rival Jonas Vingegaard sur les contre-la-montre. Ce vendredi, Pogacar partira dernier à 17 heures, vêtu d’un manteau jaune, juste après Evenepoel, son dauphin au général à 45 secondes, qu’il attend « voir voler » sur ce parcours très agréable de 25 kilomètres à travers le vignoble bourguignon.
« Le parcours convient parfaitement à Remco Evenepoel, il est le favori », analyse Joxean Matxin Fernandez, le directeur sportif de Pogacar chez UAE, qui garde également un œil sur Jonas Vingegaard, « l’un des meilleurs rollers du monde », pour qui cette rencontre constituera une épreuve encore plus importante que l’ascension du Galibier, où il avait flanché face à son adversaire.
Pogacar, lui aussi, attend beaucoup de ce moment de vérité pour voir s’il peut prolonger son avance de 50 secondes sur le Danois et, surtout, se résigner à cet exercice sur le Tour et se rappeler qu’il avait renversé Primoz Roglic en 2020 lors d’un contre-la-montre époustouflant à la Planche-des-Belles-filles. Depuis l’uppercut reçu l’an dernier entre Passy et Combloux, où Vingegaard s’était imposé avec 1′ 38″ d’avance en seulement 22 kilomètres, Pogacar travaille spécifiquement dans cet esprit, sachant qu’un deuxième contre-la-montre attend le peloton, potentiellement décisif, le dernier jour entre Monaco et Nice (34 km).
« J’ai beaucoup travaillé au chrono et je continue de progresser à chaque entraînement, je suis très satisfait de la direction que nous avons prise avec l’équipe », expliquait le Slovène au départ du Tour, allant jusqu’à changer d’entraîneur cet hiver. « Nous avons tout changé pour travailler différemment, en passant plus d’heures sur le vélo de contre-la-montre, a déclaré Matxin Fernandez, son directeur sportif, cette semaine. Nous avons principalement travaillé sur la position pour trouver le bon équilibre entre confort et aérodynamisme. »
Pogacar s’est voulu confiant, mercredi soir en conférence de presse : « J’ai eu un bon feeling au Giro et depuis nous avons amélioré un peu plus le matériel en allégeant le vélo. J’arrive avec beaucoup de confiance face à Remco, probablement le meilleur rouleur du monde, ainsi qu’à Roglic et Vingegaard. » Cela a également été confirmé par son manager, Mauro Gianetti, qui a souligné la forme physique de son protégé, « Bien mieux que l’année dernière. »
Que les lecteurs se rassurent. Le chroniqueur, qui a une bonne mémoire, ne cite pas Mauro Gianetti par hasard mais plutôt par esprit d’escalier. Un exemple suffit pour comprendre. L’ancien coureur italien (de 1986 à 2022), l’un des acteurs majeurs des « années dopage » devenu depuis le leader d’une des plus grosses armadas du peloton (UAE), a été victime d’un malaise lors du Tour de Romandie en mai 1998, initialement expliqué par une hypoglycémie associée à une gastro-entérite.
Gianetti est resté dans le coma pendant trois jours et en soins intensifs pendant douze jours. L’affaire ne s’est pas arrêtée là : deux médecins ont alors déposé une plainte pénale, sur la base de leurs analyses médicales, suspectant une consommation de PFC (une substance produisant les mêmes effets que l’EPO), qui selon eux était probablement à l’origine de cette grave maladie.
Pourquoi évoquer ce souvenir, ici et maintenant ? Car, depuis le passage du Galibier, ce mardi 2 juillet, l’ère du soupçon s’est à nouveau abattue sur le protégé de Gianetti : Tadej Pogacar. Si ce dernier n’était pas parvenu à semer ses rivaux dans la montée de San Luca, dimanche en Italie, le Slovène a réussi à faire craquer Jonas Vingegaard et ses amis dans les dernières rampes du Galibier, premier grand col de cette Grande Boucle, profitant notamment du travail de sape du surpuissant UAE.
D’ailleurs, comme pour couronner le tout, le dernier vainqueur du Giro s’est offert le record de l’ascension du col mythique, par la piste du Lautaret. Non seulement il a amélioré le record de Nairo Quintana établi en 2019, mais il l’a littéralement pulvérisé, en parcourant les 8,5 derniers kilomètres en 20 minutes et 50 secondes, soit plus d’une minute et demie de moins que le Colombien. De quoi provoquer de nombreuses réactions, c’est un euphémisme.
Ami Antoine Vayer, ancien entraîneur chez Festina et ex-chroniqueur de Humanité, un grand observateur du dopage depuis deux décennies, a ri : « Les 10% de pente finale à 2 600 mètres d’altitude, pendant 2’ 10” pour faire les 900 mètres jusqu’au sommet, le Slovène a pédalé seul contre le vent de face à 25 km/h. C’est du jamais vu dans l’histoire du cyclisme et dans l’histoire des cols d’altitude avec cette pente. C’est bien au-delà d’une performance mutante à 450 watts Étalon. »
Et Vayer ajouta : « Freiner dans les montées entre les pentes à 10%. On l’a vu à Sestrières avec Armstrong en 1999, pour son premier Tour de la Honte. À l’époque, j’étais outré. On l’a félicité. On s’est moqué de moi. » Le chroniqueur, vingt-cinq ans plus tard et les pieds bien ancrés dans la réalité, se demandait s’il s’agissait d’un moment d’aphasie vécu entre chien et loup. Ou d’un plafond bas bordé de plomb ?
Avant de partir, une dernière chose…
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