Toulouse – UBB – « Une revanche sur le sort », portrait de Ludovic Cayre arbitre de la finale du Top 14
Ludovic Cayre, qui dirigera la première finale de sa carrière au Vélodrome, doit ses premiers pas dans l’arbitrage à une mésaventure qui aurait pu tourner au drame. Voici son histoire…
La vie de Ludovic Cayre, qui dirigera ce soir et pour la première fois de sa vie une finale de Top 14, a basculé il y a une vingtaine d’années. À l’époque, « Ludo» est un gamin comme les autres du Lot-et-Garonne. La semaine, il est élève de CE2 au collège Lucien-Sigala de Duras, petit village au bord du Dropt, affluent de la Garonne. Le week-end, il joue au rugby sur le terrain municipal, comme la plupart de ses camarades. Il déclare en préambule : «À 15 ans, j’ai été victime d’une grave blessure au cou suite à un plaquage : j’avais placé ma tête du mauvais côté au moment de l’impact…» Immédiatement évacué sur civière, Ludovic Cayre a ensuite été pris en charge par les secours. Il poursuit : « Ai-je eu peur à ce moment-là ? Pas plus que ça, je crois… J’avais 15 ans, j’étais insouciant et au début, je ne me rendais pas compte de la gravité de la blessure. En revanche, mes parents ont enchaîné les nuits blanches.»
En vérité, Ludovic Cayre était à l’époque sur le point de devenir un handicapé du rugby comme il y en a malheureusement des dizaines d’autres : «Après le choc, j’ai été opéré à l’hôpital Pellegrin de Bordeaux. L’intervention chirurgicale a été une arthrodèse C2 (nerf spinal numéro 2, NDLR), C3 et C4. Derrière cela, la convalescence a duré près d’un an. Les cervicales avaient bougé de plusieurs millimètres par rapport à la norme tolérée par un corps humain. Alors j’ai failli sortir du fauteuil roulant. Ce dont je me souviens, ce sont les chirurgiens autour de moi qui me touchaient les bras et les mains toutes les cinq minutes pour savoir si j’avais perdu en sensibilité…»
En parallèle, Ludovic Cayre a d’autres défis à relever. Pour les mener à bien, il se laissera alors porter par l’impensable vent de solidarité soulevé dans son village par sa blessure. Il explique : « C’était l’année du certificat et j’ai eu la chance de pouvoir compter sur une magnifique équipe pédagogique. Les professeurs du collège Duras, en dehors de leurs heures de travail, venaient chez moi pour m’enseigner pendant que j’étais alité. (…) Franchement, les journées étaient assez chargées. Je ne pense pas avoir souffert une seule seconde d’ennui ou de lassitude pendant toute cette période.»
Après sa convalescence, l’adolescent Ludovic Cayre se trouve alors confronté à un choix, qu’il détaille en ces termes : «Je viens d’une famille très passionnée de rugby : ma sœur y jouait et mes parents sont fous de ce sport… Une fois la convalescence terminée, je me suis demandé comment rester dans ce milieu. Former? J’étais trop jeune. Jouer ? Il m’était strictement interdit de le faire. Je me suis ensuite tourné vers l’arbitrage, dans le secteur du Marmandais.« Mais en partant de la base, on comprend : »Mon premier match était une réunion des cadets au Passage d’Agen. Ensuite, j’ai joué dans les séries territoriales, en division fédérale… Petit à petit, je me suis pris au jeu et j’ai gravi les échelons.»
« Je n’ai pas eu des moments faciles… »
Vu d’ici, la trajectoire de cet arbitre que l’on considère aujourd’hui, avec Pierre Brousset et Mathieu Raynal, comme l’un des trois meilleurs « arbitres » du territoire, peut paraître assez linéaire, mais il n’en était rien. pourtant rien. « Au début, se souvient-il aujourd’hui, je n’avais pas que des moments faciles. Ma première année de Fédérale 3, par exemple, a été très compliquée : j’étais très jeune et je participais à des derbys assez chauds. Par exemple, je me souviens d’un match entre Larressore et l’AS Bayonne qui était un peu houleux ; quelques sorties sur le terrain difficiles aussi. Mais tout cela a construit mon caractère, je pense.»
Semi-professionnel depuis 2019 et familier de nos plus grandes soirées de Top 14, Ludovic Cayre (35 ans) consacre aujourd’hui l’essentiel de sa vie à une activité qui est, aux yeux du grand public, néanmoins cantonnée à la temporalité d’un week-end. . « Je suis responsable qualité dans une entreprise de la région mais dédiée à presque 100 % à l’arbitrage. J’ai un excellent patron qui comprend mes problèmes. Au quotidien, je travaille avec un préparateur physique de la FFR : en moyenne, nous avons entre deux et trois séances de cardio par semaine. On passe aussi des tests Bronco (exercices d’endurance et de vitesse, NDLR) tous les deux mois. (…) Cette exigence en préparation est plutôt logique : il faut avoir les idées claires en money time. » Lui, qui, selon les patrons de la DNA (le service national de l’arbitrage), sort d’une saison 2023-2024 presque parfaite, reste néanmoins lucide sur les aléas de son activité. « Quand je suis mauvais, je suis le premier à m’en rendre compte. Je me souviens aussi d’une interview où Mathieu Raynal expliquait que dans un match, on a généralement 90% de bonnes décisions mais que les gens retiennent toujours les 10% d’erreurs. Ceux-ci nous reviennent ensuite en face. Or, nous sommes les premiers à être mécontents lorsque nous commettons une erreur.»
A ce sujet, il a élaboré ainsi : «Via les réseaux sociaux, je reçois malheureusement des insultes après chaque rencontre de Top 14. Cependant, j’essaie de me verrouiller autant que possible. Quand je vois que le début du message n’est pas forcément gentil, je le supprime, je le bloque sans même arriver à la fin de la phrase. Certains sont très courageux derrière un écran de téléphone ou un clavier d’ordinateur. Je n’en fais pas toute une histoire.»
«J’ai passé des heures à regarder des vidéos de mêlée…»
A quelques jours du coup d’envoi de cette finale entre Toulouse et Bordeaux Bègles, Ludovic Cayre confiait qu’il n’était pas outre mesure anxieux, refusant de «faire le match avant qu’il ne soit joué« . Mais aussi serein soit-il, il y a bien une zone de jeu dans laquelle il est mal à l’aise, n’est-ce pas ? Et puisque tous les piliers du monde disent par exemple que les arbitres, n’ayant jamais poussé une mêlée dans leur vie, ne sont pas bons dans leur art, ils doivent sûrement avoir raison, non ?La mêlée, l’admet-il désormais, est l’une des phases du jeu les plus difficiles à juger. Je n’ai jamais joué en première ligne mais j’essaie d’en comprendre les rouages. À un moment de ma vie, j’ai passé des heures à regarder des vidéos de mêlée et à décortiquer les attitudes des premières lignes : leurs supports, leurs connexions ou leurs axes de poussée…»
Considéré comme un arbitre privilégiant le jeu, l’invité surprise de la finale (Mathieu Raynal, qui mettra fin à sa carrière en fin de saison, était encore attendu la semaine dernière pour diriger le dernier match de la saison nationale) ne devrait pas freiner les ambitions. des deux équipes les plus spectaculaires du championnat, à Marseille. Il conclut : «On fait deux cents rucks, quinze mêlées et une trentaine de touches par match. Nous devons être des facilitateurs. Si on arbitrait comme le préconise le règlement, on sifflerait toutes les dix secondes et au bout d’un quart d’heure, tout le monde éteindrait sa télé.» Et sans télé, pas de sport professionnel, semble-t-il…