Auteur d’une énorme performance, notamment sur le plan défensif, le numéro 10 international, Romain Ntamack, mesure les progrès réalisés depuis sa grave blessure au genou en août, qui l’a privé de Coupe du monde. Et il sait que son équipe marque l’histoire de son club et du rugby français.
Personnellement, vous avez remporté votre deuxième titre en Champions Cup. Avez-vous vécu l’une de vos plus grandes émotions en tant que joueur de rugby au Tottenham Hotspur Stadium ?
Disons que cela en fait clairement partie en tout cas. C’est vrai que le contexte était assez incroyable et que le scénario était fou. Ensuite, en tant qu’individuel, j’avais à cœur de disputer cette finale et surtout de la gagner. Je sais d’où je viens avec la blessure au genou que j’ai subie il y a neuf mois maintenant. Il y avait tout pour le rendre spécial et cela allait bien au-delà…
Avec un succès au terme d’un match difficile et après prolongations…
Oui, tout était là. Il y avait bien ces extensions. Et puis, quelle magnifique équipe du Leinster ! Je pense que nous n’aurions pas pu rêver d’un meilleur adversaire pour un tel événement. Pour tous ces ingrédients, oui je le répète, cette victoire est véritablement une de mes plus belles émotions.
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LE STADE TOULOUSAIN REMPORTE SA SIXIÈME COUPE D’EUROPE À LA FIN ! \ud83d\udd34\u26ab\ufe0f\ud83c\udfc6 pic.twitter.com/TCOQBU4JlV
– RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) 25 mai 2024
Avez-vous déjà ressenti une telle intensité, notamment physique ? Depuis les tribunes, ça avait l’air fou…
Sur le terrain également (des rires). Encore une fois, c’est évidemment l’une des plus grandes intensités que j’ai vécues dans un match. Franchement, en réfléchissant quelques secondes, je ne me souviens pas d’avoir joué un match comme celui-là… Ce qui m’a surtout frappé, c’est d’avoir si peu de possession du ballon et d’avoir cette impression de défendre toute la rencontre. Même si on a réussi à garder le ballon sur quelques séquences, je pense qu’on a surtout défendu. Il suffit de regarder le nombre total de plaquages réalisés par notre équipe.
Qu’est-ce que cela dit sur ce groupe ?
Déjà, il est capable de faire des efforts exceptionnels en défense et de ne rien lâcher. La solidarité dont nous avons fait preuve lors de cette finale a été décisive. Bien sûr, on peut toujours dire qu’on n’a pas beaucoup vu le ballon. C’est vrai, mais le seul essai que nous encaissons n’arrive que pendant la prolongation. C’est révélateur.
Ces maigres munitions offensives, pendant plus d’une heure de jeu, vous ont-elles généré une certaine frustration ou avez-vous toujours réussi à garder votre calme ?
Forcément, on était un peu frustrés par moments car tout le monde se rendait compte que, dans certaines situations et même avec peu de ballons, il y avait la possibilité de le déplacer et de faire des enchaînements intéressants. Le problème ? C’est parce que les joueurs du Leinster nous ont fait mal sur les rucks, nous ont frappé sur les ballons…
Mais tu as su être patient…
Oui, c’était très compliqué de mettre en place notre jeu mais l’équipe a eu beaucoup de résilience. Tout le monde a serré les rangs, rattrapé son retard. Si le Stade Toulouse a remporté cette finale, c’est grâce à sa solidarité.
Vous parliez d’activité défensive, un secteur sur lequel vous avez encore travaillé personnellement lors de votre rééducation et dans lequel vous avez excellé dans ce match. Vous attendiez-vous à être ainsi sollicité ?
J’ai été bien servi sur ce plan et j’ai été mis à l’épreuve par mes adversaires… Mais oui, je m’y attendais. Nous avions analysé leur jeu et nous avons vu qu’ils combinaient beaucoup dans la zone du numéro 10. J’étais donc préparé à cela.
Et tu as répondu…
J’aime ce genre de match, où il y a beaucoup d’intensité et d’impact. J’aime aussi affronter de grosses attaques adverses. Bon, c’était encore un peu trop ! J’aurais préféré être un peu moins sollicité en défense (sourire). Mais ça montre surtout que Toulouse est une équipe qui sait bien jouer au rugby mais qui sait aussi se resserrer si cela veut dire ne pas voir le ballon de tout l’après-midi.
L’expérience de la finale du Top 14 face à La Rochelle l’an dernier, avec un scénario un peu similaire et votre essai à la fin, vous a-t-elle été utile ?
Je ne sais pas si cela nous a aidé. Mais chacun de nous était conscient que la finale contre le Leinster allait être très serrée. Leurs deux précédentes finales, face à La Rochelle, se sont également jouées dans les derniers instants. On savait qu’il n’y aurait pas une grande différence de score et on avait répété qu’il fallait tenir le bras de fer jusqu’au bout, surtout pour ne pas craquer comme on l’avait fait lors des récentes demi-finales contre cette équipe.
Et le plan a fonctionné à ce moment-là…
Ce qui a changé beaucoup de choses à mes yeux, c’est d’être devant au tableau d’affichage à la mi-temps, contrairement aux demi-finales dont je parlais. Mentalement, cela nous a fait beaucoup de bien et ils ont sûrement réalisé à ce moment-là que l’histoire serait différente de ces dernières années contre nous.
Avez-vous senti le match pencher en votre faveur à un moment donné ?
Oui, je l’ai surtout ressenti en prolongation. Leur carton jaune (James Lowe, à la 82e minute, NDLR) Cela leur a fait beaucoup de mal puisqu’on a marqué trois points d’emblée, puis un essai derrière. Nous nous retrouvions alors avec dix points d’avance. Dans une extension, cela reste un avantage non négligeable.
Mais vous recevez à votre tour un carton rouge derrière, en l’occurrence Richie Arnold…
Oui, j’avais vraiment le sentiment que le match avait basculé en notre faveur mais, avec cette expulsion, j’avais très peur que ça bascule encore dans l’autre sens. J’avoue, je me demandais si on n’allait pas passer à la casserole quand ils l’ont testé. Je savais qu’on finirait à quatorze heures, ce n’était pas rassurant…
Alors comment expliquer cette ultime révolte de votre part ?
Caractère et solidarité, encore une fois. C’est ce qui nous a permis d’aller chercher ces pénalités quand il le fallait, au début de la deuxième prolongation. Avec un grattage au bon moment, et Thomas (Ramos) qui transformé ces coups de pied à merveille.
Ce sacre en Champions Cup était-il un rêve pour vous qui avez été grièvement blessé en août ?
Oui, c’était un rêve. J’avais bien sûr coché cette période des phases finales pour revenir et, depuis mon retour, j’ai la chance de ne jouer que des matchs de haut niveau. Le staff et mes coéquipiers m’ont mis dans les meilleures conditions pour m’exprimer pleinement. Mais, il y a neuf mois, si on m’avait dit que j’allais débuter en finale de la Champions Cup, contre le Leinster, et que j’allais jouer cent minutes, je n’y aurais peut-être pas forcément cru tout de suite. suivant !
Mais tu l’as fait…
Là encore, cela montre l’efficacité du travail que j’ai effectué en amont, avec toutes les personnes qui se sont occupées de moi lors de ma rééducation. J’ai fait les efforts nécessaires pour être ici aujourd’hui et je suis extrêmement heureux que ce travail porte ses fruits. Malheureusement, il n’a pas payé lors de la préparation de la Coupe du Monde et cela m’a empêché de participer à cette compétition. Mais ensuite, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour être présent à cette réunion à Londres.
Vous parlez de cette Coupe du monde que vous attendiez tant et qui vous a manqué. Ce titre sonne-t-il comme une sorte de revanche sur le destin ?
Je ne sais pas mais je vais commencer à croire de plus en plus au destin et au karma au fil du temps. (sourire). Entre la finale de Top 14 la saison dernière et celle-ci, je me dis qu’il y a peut-être une certaine justice, ou du moins un destin qui me est plutôt favorable. J’en suis très heureux. Mais, au-delà de mon ressenti personnel, je suis surtout très fier pour ce groupe et pour ce club.
Êtes-vous capable de vous projeter sur les prochains objectifs, avec un possible doublé comme en 2021 ?
Evidemment, les ambitions sont toujours là, tant que l’équipe reste dans la course au Top 14. Nous sommes soulagés d’être déjà qualifiés pour les demi-finales, ce qui nous fait moins de poids sur les épaules, et nous ferons évidemment tout pour arriver encore au bout… Mais, pour l’instant, l’idée est de profiter un peu de ce que nous venons de réaliser. L’intensité était immense, les corps sont meurtris, donc il faut savourer. C’est une compétition tellement difficile à gagner, derrière laquelle nous courons depuis 2021. Après, nous pourrons planifier l’avenir.
Ugo Mola a déclaré, pour chatouiller un peu votre esprit de compétition, que votre génération n’avait pas encore autant marqué l’histoire du Stade toulousain que les autres. Avec ce nouveau titre, elle prend le chemin…
En tout cas, je pense qu’on peut encore gagner quatre Coupes des Champions et six Boucliers de Brennus, Ugo trouvera toujours le moyen de venir nous chatouiller (sic) pour qu’on se dépasse (sourire). Il est doué pour toujours trouver les mots justes pour nous pousser dans nos retranchements. Cette génération veut marquer son époque, l’histoire du Stade toulousain et l’histoire du rugby français. Depuis plusieurs années, c’est ce qu’elle fait. Et je crois que le mieux est de se donner les moyens de revenir chaque saison avec le plus d’armes possible pour disputer les deux compétitions. Force est de constater qu’on arrive à être régulièrement en tête du Top 14 et de la Champions Cup. Cela prouve que notre génération a encore faim de titres.
Et elle a désormais battu le Leinster, sa bête noire…
Oui, c’était notre bête noire et il était important de la vaincre. C’est quelque chose qui nous préoccupe depuis un certain temps. Nous avons répété, au sein du groupe, que le contexte était cette fois différent. En finale, tout est possible et nous l’avons encore montré.