Toulouse et sa « machine infernale » corrigent Bordeaux – Libération
Au soir de la deuxième demi-finale du Top 14, samedi 22 juin au Matmut Atlantique de Bordeaux, quelque chose laissait penser que les dés étaient déjà implicitement jetés entre un club, le Stade Toulousain, qui s’apprêtait à disputer la 30e finale d’une prestigieuse histoire qui s’étalait sur plusieurs décennies, et un autre, l’Union Bègles Bordeaux, qualifié in extremis face au Stade Français, qui, après avoir buté trois fois sur l’avant-dernière marche de la saison, était juste heureux d’arriver enfin au bout de l’exercice. Car n’y avait-il pas une forme de capitulation, naturellement inconsciente, dans la bouche du capitaine et demi de mêlée de l’UBB, Maxime Lucu, déclarant au coup de sifflet final : « Le simple fait de franchir ce cap est déjà une très bonne chose » ? Naturellement (puis inavouable), ne nous demandez pas l’impossible.
En fait, moins d’une semaine plus tard, c’est l’ogre et le « Petit Poucet » (terme assumé par le pas tout à fait maigre pilier girondin, Jefferson Poirot) qui se présentaient sur la pelouse du stade Vélodrome de Marseille. Une saga de plus d’un siècle et marquée par vingt-deux titres nationaux (plus six européens, un record, à tous points de vue) d’un côté, une vingtaine d’années d’existence à peine (même si les fondements sont bien plus anciens) et zéro titre de l’autre. Et, pour s’en tenir au chapitre 2023-24, plus de dix longs mois d’une saison largement dominée par Toulouse, resté dans le groupe de tête tout au long de la saison régulière de Top 14, malgré l’injustice causée par la Coupe du monde, qui l’a longtemps privé de tous ses meilleurs joueurs qui forment l’ossature du XV de France – une équipe classée 2, voire 3, comme celle qui est allée gagner à Montpellier, attestant d’une suprématie sans ambiguïté. C’est simple, à l’exception d’une mi-temps, la première, en demi-finale face à La Rochelle, le groupe entraîné par Ugo Mola n’a jamais tremblé. Et encore moins que jamais, lors de la finale la plus déséquilibrée de l’histoire !
Cours de rugby
Car, côté aquitain, ils ont voulu se convaincre qu’avec une victoire partout en championnat, le beau jeu n’était pas fatalement plié d’avance. Et qu’avec les ressuscités de dernière minute, Matthieu Jalibert et Ben Tameifuna, il doit y avoir un moyen, même vaudou, de bloquer l’infernale machine à gagner des rouges et noirs (neuf finales d’affilée, France et Europe confondues, empochées depuis 2008). C’est absurde, oui.
Il restait encore trois heures officielles de campagne au coup d’envoi, mais le président Macron a préféré s’épargner l’humiliation des quolibets en se faisant porter (très ?) pâle à Marseille. Les Bordelais, en revanche, n’avaient pas le choix : invités au banquet pour ne grignoter que les miettes, le bien nommé Penaud et d’autres ont dû se rendre à l’évidence, quelques minutes seulement après les faits. d’envoi, une supériorité toulousaine écrasante et même au-delà. A l’image des deux essais marqués rapidement par l’extraterrestre Antoine Dupont, qui a entraîné tous les Willis, Ramos, Roumat, etc., dans son sillage étincelant. 59-3 (malgré plus de dix points perdus par les champions). Une leçon de rugby qui a anesthésié l’émotion pour laisser parfois sans voix un public vite satisfait d’un côté, abasourdi de l’autre.
« À l’infini et au-delà »
« Je ne peux pas m’arrêter » : c’est au riff des Red Hot Chili Peppers que les deux mi-temps ont débuté et, un total de neuf essais plus tard, force est de constater que le Stade Toulousain était tout simplement inarrêtable dans tous les secteurs, meilleure équipe de France et certainement de la planète, que trop souvent l’adversaire semblait regarder jouer, malgré quelques efforts offensifs aussi sporadiques que vains en seconde période. « Un rouleau compresseur », un « Formule 1 », un « machine infernale », un « locomotive », Yannick Bru, l’entraîneur bordelais, n’a pas été avare d’images pour autopsier le « snober », même en présentant « excuses » aux supporters.
Sacré pour la 23e fois, avec un nouveau doublé (son troisième) si l’on ajoute le titre continental face au Leinster, Toulouse jubile. « Le groupe, le club, l’équipe travaillent en profondeur pour que les jeunes puissent s’épanouir dans ce sport incroyable. Ils (ses joueurs, ndlr) ne m’ont jamais déçu dans ce qu’ils s’étaient engagés à faire. Mais j’aime surtout le processus, le chemin, le contenu, et si ça gagne c’est sympa. Cependant, ici on arrive à clôturer une saison remarquable. » savourait Ugo Mola avec un plaisir légitime qui n’interdisait pas une certaine pondération dans l’analyse, quand, en fond sonore, on entendait la musique faire vibrer le vestiaire.
Juste avant, à la télévision, le demi de mêlée Antoine Dupont a fait l’éloge « envie, enthousiasme et calme » Qui autorise « gagner des matches à ce niveau », saluer « l’ampleur » d’un club qui, comme l’a observé Mola, a totalisé pas moins de « trente-sept marqueurs différents » durant la saison. Un record assurément. A l’image des vingt nouveaux points inscrits par Thomas Ramos, qui font de lui le meilleur buteur (1792) de l’histoire de Toulouse. « Et je suis sûr que ce groupe ne va pas s’arrêter là », a prédit l’arrière international, suggérant une variante de la devise de Buzz l’Éclair, « À l’infini et au-delà ».