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Total et EDF au centre d’une décision judiciaire aux implications « potentiellement immenses »

TotalEnergies, EDF et une ancienne filiale de Suez. Trois géants du capitalisme français ont été accusés par des ONG et des collectivités locales de ne pas respecter la loi sur le devoir de vigilance, adoptée en France en 2017. (lire les benchmarks). Mardi 18 juin, la cour d’appel de Paris a jugé recevable, au moins dans deux dossiers sur trois, les plaintes de certains des requérants, alors même qu’ils avaient été déboutés en première instance.

A priori aucun lien entre ces trois cas. TotalEnergies a été accusé de ne pas avoir respecté les engagements de l’Accord de Paris, EDF de ne pas avoir consulté les populations locales dans un projet éolien au Mexique, et l’ancienne filiale de Suez d’avoir contaminé un réseau d’eau. ‘Osorno au Chili par les hydrocarbures. Elle sera la seule à échapper à un procès sur le fond.

Une double victoire

« C’est une double victoire, d’une part pour la justice climatique, puisqu’elle obligera le juge à prendre position sur les obligations des multinationales en matière climatique, mais aussi pour l’efficacité du devoir de vigilance, puisque jusqu’à présent la plupart les litiges sur cette base se sont heurtés à des obstacles procéduraux »» accueille Théa Bounfour, chargée de contentieux et de plaidoyer au sein de l’association Sherpa.

En 2020, une coalition d’ONG et de 17 collectivités (dont Paris et New York) ont mis en demeure puis convoqué TotalEnergies pour l’obliger à aligner sa stratégie climat sur l’Accord de Paris. Mais le tribunal judiciaire de Paris a jugé en juillet 2023 que cette coalition n’avait pas respecté l’exigence d’une phase de dialogue avant d’assigner l’entreprise en justice.

Clarifier les obligations environnementales des multinationales

Si la coalition était rejetée dans sa demande d’ordonner à TotalEnergies de « suspendre les projets d’exploration et d’exploitation de nouveaux gisements d’hydrocarbures n’ayant pas fait l’objet d’une décision définitive d’investissement »un procès pourrait cette fois avoir lieu sur le fond. « Aujourd’hui, l’enjeu est de savoir dans quelle mesure le devoir de vigilance, qui sanctionne les entreprises pour leurs violations du droit de l’environnement, les oblige à respecter l’Accord de Paris et à tout faire pour rester sous 1,5 degré de réchauffement climatique »explique Théa Bounfour.

« Le total représente 1 % du les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Cela constitue un dommage écologique. Le tribunal devra décider si la stratégie de Total est suffisante pour y remédier.»expliquent Sébastien Mabile et François de Cambiaire, avocats représentant la coalition requérante dans l’affaire Total, chez Seattle Avocats.

Selon eux, le tribunal judiciaire de Paris va désormais devoir fixer un calendrier pour le procès sur le fond. Cela peut prendre entre un et deux ans. De quoi laisser le temps aux entreprises d’affiner leur défense. « TotalEnergies démontrera en justice que l’entreprise élabore, publie et met en œuvre chaque année un plan de vigilance conforme aux exigences de la loi sur le devoir de vigilance »l’entreprise a réagi.

Des implications potentiellement énormes

Au-delà du procès contre Total et EDF, c’est une très grande victoire pour la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance, largement critiquée pour son imprécision et son inefficacité. « Actuellement, une dizaine de litiges sont en cours sur ce fondement, mais les entreprises utilisaient ces obstacles procéduraux pour éviter d’avoir à répondre sur le fond. Désormais, ils seront contraints de se défendre sur la question du respect des droits environnementaux, sociaux et humains. »estime Théa Bounfour. « Les implications sont potentiellement immenses »ajoutent Sébastien Mabile et François de Cambiaire.

Jusqu’à présent, en France, une seule entreprise a été condamnée sur le fondement du devoir de vigilance : La Poste, arrêtée en décembre 2023 dans une affaire concernant l’emploi de travailleurs clandestins dans ses filiales. Pour Sébastien Mabile, « C’est la preuve que cette loi peut être efficace en obligeant les entreprises à adopter une démarche d’identification et de cartographie des risques, et en leur demandant de prendre des mesures pour y répondre, y compris dans leur chaîne d’approvisionnement. ».

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La loi sur le devoir de vigilance

La loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des sociétés donneuses d’ordre est entrée en vigueur le 27 mars 2017. Elle a été décidée après l’effondrement de l’usine textile Rana Plaza au Bangladesh en 2013, qui a mis en lumière le manque de contrôle sur les conditions de travail dans les pays tiers.

Il pose le principe de la responsabilité juridique des entreprises de plus de 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 dans le monde. Ils ont l’obligation de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance afin de garantir le respect des droits de l’homme, de la santé et de la sécurité des personnes et de l’environnement tout au long de leur chaîne de valeur, y compris au sein de leurs filiales à l’étranger et chez leurs sous-traitants et fournisseurs.

Le Parlement européen a adopté, mercredi 24 avril, sa propre loi sur le devoir de vigilance inspirée du texte français. L’obligation vise les entreprises de 1.000 salariés ou plus et réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 450 millions d’euros. 5 400 entreprises sont concernées.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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