Top 14 – Ronan O’Gara (La Rochelle) : « J’ai fait une énorme faute en regardant deux quarts de finale, en foot… »
S’il jure d’assumer la responsabilité de l’élimination « honteuse » de La Rochelle en quart de finale de Coupe des Champions samedi dernier face au Leinster (40-13), Ronan O’Gara avait aussi des messages à faire passer à ses joueurs en se présentant au Conférence de presse d’avant-match à Castres (samedi, 15h, 21e journée de Top 14). Les mots du manager irlandais – « dans un autre monde cette semaine », dit-il – sont forts et cinglants.
Ronan, vous avez dit samedi soir à Dublin : « on digère ce soir, on tourne la page demain ». Ce timing a-t-il été « respecté » ?
Non pas du tout ! C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui. Je suis encore en train de le digérer mais c’est de pire en pire, de jour en jour. Je suis soutenu par mes adjoints, je suis complètement pris par la défaite. Ou plutôt la manière. Cela entre dans la catégorie « honteux ». Je suis très perturbé… Ce fut une journée sombre pour le club et pour moi. Je dois en assumer la responsabilité. Quand on joue comme ça, il faut se poser les bonnes questions. Quel jour est-il?
JEUDI…
J’ai fait une énorme erreur en regardant deux quarts de finale, en football… En regardant l’état d’esprit d’une équipe de France (le Paris Saint-Germain en quarts de finale de Ligue des champions, NDLR) qui est battue contre Barcelone. Hier soir, j’ai vu un grand manager : Ancelotti (entraîneur du Real Madrid, qualifié contre Manchester City). Quand je compare ce qu’il a fait et ce match à l’extérieur à ce que nous avons fait… je suis dans une situation difficile. En même temps, c’est mon histoire depuis 25 ans. J’ai dit aux joueurs : « Vous avez le bon entraîneur pour parler de résilience. » Quand on tombe, il faut se relever. Ce n’était pas nous samedi. Mais peut-être que c’était vraiment nous ? C’est la question…
Vous sembliez beaucoup plus distant samedi soir, concernant cette défaite…
Parce que j’étais capable de gérer mes émotions directement. Je dois le faire avec mon passé en termes de discipline, ici (sourire). Mais, même en live… regardez les occasions manquées, ce n’est pas possible à ce niveau. Oui, certains joueurs ne sont pas confiants, mais dire que le retour des leaders résoudrait tout… On n’a pas changé, c’est un peu l’histoire de cette saison. C’est à moi dans les jours ou semaines à venir de montrer si nous pouvons faire quelque chose cette saison.
Est-ce l’état d’esprit affiché qui vous inspire le plus de regrets ?
Non, l’état d’esprit est la plus grande arme de ce club. Mais l’état d’esprit fonctionne s’il y a un travail sans ballon, une capacité à analyser les espaces et à communiquer quand on court, une envie d’avoir le ballon, une envie de prendre des décisions et des responsabilités… La défense précipitée du Leinster est une arme formidable mais nous ne l’avons pas testé. Qu’avons-nous fait? Nous n’avons fait sortir le ballon qu’une seule fois en 80 minutes… Mais ce ne sont pas les joueurs, c’est moi. Ils jouent selon ma vision des choses. Donc c’est ma faute et ça me pèse énormément. Je dois me regarder dans le miroir et revenir plus fort.
Vous trouvez votre équipe trop lisible, offensivement ?
Avant de pouvoir le lire, vous devez prendre une décision. Quel est notre jeu ? Qui a pris la décision ? Vous savez que j’aime mes joueurs, je ne vais pas cibler un joueur mais qui a pris la décision ? (Il cache un œil) Bien sûr qu’on est trop lisible si on joue comme ça ! Et en ce moment, on joue comme ça… (Il se couvre les deux yeux). Je dis cela avec beaucoup de respect pour mes joueurs. Ils ont changé ma vie d’entraîneur. J’espère avoir changé leur vie en tant que joueur. Mais « stop », maintenant !
Quel est le niveau réel de La Rochelle ?
Nous ne savons pas ! Quand on regarde les matchs contre le Stade Français et Clermont, c’était impressionnant. Mais contre Bayonne, Oyonnax, Perpignan et les 40 premières minutes chez les Stormers… Maintenant – et c’est très bien – nous ne sommes pas doubles champions d’Europe, c’est fini. Nous sommes un club qui n’a jamais remporté le Bouclier. Ce sera peut-être super facile de se concentrer mais j’ai besoin d’un match pour confirmer notre envie de faire quelque chose. Nous n’avons aucune idée de notre niveau, c’est la vérité…
Votre capitaine Grégory Alldritt, déprimé à vos côtés samedi soir, a déclaré : « On a encore en tête l’échec en finale du Top 14 l’an dernier (défaite contre Toulouse) donc la motivation est là »…
Rappelez-vous, c’est la dernière action qui nous a tué en finale. Ce n’était pas le cas samedi contre le Leinster, c’était complètement différent. Je peux accepter la défaite sans problème mais pas le manque de précision des décideurs impliqués. A 23-13, je ne suis pas malade, le match était à notre portée. En marquant les prochains, Leinster aurait douté, c’est sûr. Les grands joueurs et dirigeants ne peuvent pas rater cette opportunité et donner le match deux minutes après le retour des vestiaires, ce n’est pas possible. Nous n’avons pas respecté le maillot. Peut-être que je suis le seul parmi mille autres à penser cela, mais c’est mon opinion, je ne vais pas changer, c’est comme ça que j’ai réussi dans le passé. J’ai besoin d’être super motivé pour l’avenir. Il y a certaines normes quand on est dans ce club, le staff a travaillé dur pour les créer.
Cette élimination vous inquiète-t-elle sur la capacité de votre équipe à rebondir ?
Non, c’est super personnel, je pense. On n’a pas le droit de parler du passé ici mais on oublie vite le passé (sourire) et ce que cette équipe a réalisé. Dans ce contexte, comment ne pas profiter des émotions partagées sur le Vieux-Port ? Nous étions à trois matchs de changer à jamais l’histoire du Stade Rochelais. Ça doit être important, tu ne peux pas tout gâcher comme ça ! Une défaite, oui, mais pas comme ça… 40-13, pfff… Eh bien, le Leinster a fait pareil à Toulouse l’année dernière et Toulouse a remporté le Bouclier. Alors peut-être que je m’inspirerai de Toulouse.
Quand on est éliminé comme ça en tant que double champion d’Europe, on perd beaucoup de respect, on est d’accord ? Je n’ai pas pris une gifle mais cinq gifle à l’arrière de la tête
Vos joueurs semblent-ils aussi touchés que vous ?
Je suis dans un autre monde cette semaine. Je suis honnête, je ne suis pas conscient de tout ce qui se passe autour de moi. J’ai un bon staff qui m’aide à avancer. Mais si vous avancez trop vite, vous êtes un menteur. Il y a des leçons très importantes à en tirer. Peut-être que la dépression s’aggrave avec l’âge et les années (rires) mais c’est comme ça…
Vous avez eu sensiblement le même discours sur la digestion post-finale après celui de la Champions Cup perdue en 2021. Voyez-vous des similitudes entre ces deux périodes ?
Non, mais je suis fasciné par la mentalité du sport. Et la mentalité de gagner. J’imaginais une centaine de résultats en faisant mon footing samedi matin à Dublin mais je n’avais jamais pensé à un 40 à 13 ! Peut-être que mes attentes sont trop élevées ? Quand on est éliminé comme ça en tant que double champion d’Europe, on perd beaucoup de respect, on est d’accord ? Je n’ai pas reçu une seule gifle mais cinq claques à l’arrière de la tête. On ne peut pas récupérer tout de suite après une gifle comme celle-là. 40-13… ce n’est pas nous.
Cependant, votre 5e Une place en Top 14 ne vous laisse que peu de temps pour changer. Ce déplacement à Castres samedi est d’une importance cruciale dans votre démarche…
Le switch est super simple : soit on joue avec rapidité et précision, soit pas. Si vous faites la même chose et attendez un résultat différent, c’est la définition de la folie ! Je ne suis pas fou, je suis un compétiteur. Beaucoup de choses s’amélioreront si nous courons davantage, si nous avons l’appétit de travailler davantage sans le ballon. Certains joueurs n’ont pas confiance, à nous de trouver leurs points forts. Pour ce faire, ils doivent être capables de jouer rapidement avec un ballon.
Vos joueurs ne font pas assez d’efforts sans ballon ?
Contre le Leinster, oui. En général, non. Mais le match où nous étions jugés était le quart de finale. Je suis convaincu que nous pouvons tirer les leçons de ce match pour les orienter dans un sens positif. La prochaine étape est de le montrer samedi.