Tir d’un missile balistique intercontinental russe, « ces armes appartiennent aux forces nucléaires »
En quelques jours seulement, une deuxième ligne rouge aurait pu être brisée en Europe de l’Est. Le premier, qui est avéré, est l’œuvre des Ukrainiens. La seconde serait imputable aux Russes. Premièrement, ce sont les Ukrainiens qui, après avoir obtenu le feu vert de Washington pour utiliser des missiles américains à longue portée, les ont utilisés mardi pour frapper le territoire russe ; alors que ces dernières heures, la Russie – en réaction ? – aurait utilisé une nouvelle arme qui conforte le scénario d’une escalade aux conséquences potentiellement vertigineuses.
Kiev affirme en effet que Moscou a tiré un missile balistique intercontinental sur la ville de Dnipro. Si le Kremlin n’a pas encore réagi, si ce tir devait se confirmer, cela signifierait très clairement que la guerre serait entrée dans une phase des plus dangereuses. « Ces missiles balistiques intercontinentaux sont des forces nucléaires, en bref des forces stratégiques », souligne le général Jean-Marc Laurent, titulaire de la chaire Défense & Espace à Sciences Po Bordeaux. C’est pourquoi ce tir marquerait une nouvelle rupture dans cette guerre.
Missiles à hypervitesse
Avec ces missiles, on entre dans une autre catégorie d’armes. Ce qui n’a rien à voir avec celui des missiles atmosphériques tirés par les avions de combat. « Les missiles balistiques intercontinentaux sont des fusées », explique-t-il. Après le décollage, ils perdent leur premier étage, puis le deuxième et enfin il ne reste que la tête qui, contrairement à une fusée, n’abrite pas un satellite mais des chargements. Ce qui arrive au but est donc très différent de ce qui décolle. » « Ces missiles sont conçus pour aller très loin, jusqu’à 8 000 km, parfois plus », poursuit-il. Pour ce faire, ils traversent l’espace puis rentrent dans l’atmosphère à très grande vitesse. Ce sont des missiles à hypervitesse. »
«Le tir d’un tel missile sans sommation crée beaucoup d’incertitude (…). Vous ne savez pas s’ils contiennent une charge nucléaire ou non. »
Dans le cas présent, même si ce missile n’emportait que des charges conventionnelles, pour le général Laurent, Vladimir Poutine a pris « un risque considérable. » « Tirer un tel missile sans sommation crée beaucoup d’incertitude », explique-t-il. Comme les fusées, ces missiles décollent verticalement, donc on ne sait pas où ils vont, on ne sait pas la folie qui se déroule. Vous ne savez pas s’ils contiennent une charge nucléaire ou non. »
A ses yeux, ce tir a dû provoquer « un grand coup » côté américain : « L’agence anti-missile américaine dispose d’une constellation de satellites qui détectent tous les lancements de missiles en repérant leurs signatures infrarouges. Ce tir aurait pu provoquer une réaction violente. Poutine joue avec le feu. »
« Il est prêt à aller plus loin »
Ce tir pose d’autant plus de questions que ces missiles sont, en théorie, réservés à des cibles stratégiques : « Ici, le gain tactique ne semble pas évident. Ces missiles coûtent très cher, explique le général Laurent. Mais ces dernières années, la Chine et la Russie ont développé des missiles balistiques intercontinentaux pour la guerre conventionnelle. Parce que cette technologie a gagné en précision. Désormais, un porte-avions pourrait être détruit par un tel missile… »
Au vu des informations disponibles à ce stade, l’attaque servirait principalement d’avertissement. « Poutine ayant menacé à plusieurs reprises d’utiliser l’arme nucléaire, ce tir ressemble davantage à une démonstration de force », observe le général Laurent. Poutine indique qu’il est prêt à aller plus loin. Nous sommes toujours dans une guerre conventionnelle, mais nous faisons un pas de plus vers le nucléaire. »