Thibaud Hug de Larauze, PDG de Back Market : « Nous souhaitons être l’interlocuteur privilégié des Français pour les produits reconditionnés »
Les Numériques – Vous fêtez les 10 ans de Back Market. En France, cela fait peut-être 5 à 6 ans que les produits reconditionnés ont commencé à gagner en popularité. Avez-vous senti un changement ces dernières années ?
Thibaud Câlin de Larauze – Oui, lorsque nous avons lancé Back Market en novembre 2014, le mot « reconditionné » n’existait même pas dans le dictionnaire, c’était un jargon industriel. Les premières années, on y croyait beaucoup, mais à plus petite échelle. En réalité, le reconditionnement existe depuis des décennies. Les réparateurs exercent depuis longtemps un métier d’artisan, au sens noble du terme.
Rassembler tous ces produits dans les mêmes lieux, c’est ce qui a permis à Back Market d’avoir un impact global. Ensuite, l’effet réseau et le bouche à oreille sont entrés en jeu. En 2014, le marché du reconditionné représentait 5% du secteur mobile. Sur les 12 derniers mois, c’est 30 %. Nous grandissons avec nos collaborateurs.
Vous vous êtes récemment associé à Bouygues Telecom pour vendre des mobiles reconditionnés avec forfaits, mais aussi avec Ecosystem pour encourager le recyclage des smartphones, et avec Ducretet pour les formations diplômantes. Vous êtes désormais loin d’être une simple place de marché. Pourquoi cette diversification ?
THDL – Nous souhaitons être l’interlocuteur privilégié des Français sur les biens reconditionnés et au-delà. Offrez des réponses à des questions telles que : « Que dois-je faire de mon ancien produit technologique? » Ou « Où puis-je acheter un produit technologique remis à neuf de confiance » ? Notre obsession est de sortir le téléphone des tiroirs en trois clics. Le modèle de marché est la bonne solution pour changer les choses à grande échelle.
Ensuite, le partenariat avec Bouygues Telecom est structurel. La majorité des gens achètent leur nouveau terminal et un grand nombre le font en se tournant vers leur opérateur téléphonique, car le modèle de subvention les rend « gratuits ». C’est un énorme coup de pouce financier. Ce modèle n’existait pas sur le marché du reconditionné. En appliquant ce dispositif de subvention à nos terminaux reconditionnés, nous baissons encore davantage le prix des téléphones.
Début 2024, de nombreux témoignages faisaient état de problèmes avec le service après-vente de Back Market. Avez-vous apporté des modifications depuis ?
THDL – La réponse simple est oui. Ce qui s’est passé, c’est qu’en janvier, nous avons connu une augmentation du nombre de clients insatisfaits répartis en deux catégories.
Le premier concernait des problèmes de livraison. Dans ces cas-là, nous avons demandé aux usagers de se rendre au commissariat pour signaler la perte de leur colis. Il s’agissait d’une étape nécessaire en raison d’une énorme augmentation de la fraude qui a coûté des millions à Back Market. Je pense que nous sommes allés trop loin à ce stade. Nous avons donc essayé de réajuster cet équilibre satisfaction/sécurité.
La deuxième catégorie concernait les problèmes de garantie. Il y a eu des produits qui se sont cassés (notamment sur la coque arrière) alors qu’ils n’avaient pas subi de chocs importants. À cette époque, notre processus de service après-vente n’était pas adéquat pour gérer ce type de problème. Nous avons donc changé tout cela, car il y avait des abus de la part de certains commerçants (que nous avons depuis retirés de la plateforme). Aujourd’hui, lorsqu’il y a casse ou casse, 100% des cas sont traités en interne au lab Back Market, où le taux de satisfaction est bien plus élevé.
Parallèlement, les commandes mystères (ou Back Market jauge la qualité des produits en jouant le client moyen NDLR.) et l’algorithme de classement permettent de réduire fortement la présence de produits de mauvaise qualité sur la plateforme.
Vous avez lancé un Pacte Qualité et un nouveau label Premium destinés à garantir la bonne qualité des produits reconditionnés. Pourquoi ne pas rejoindre le label RecQ, déjà mis en place par l’industrie ?
Alexandre Tanay, responsable des affaires publiques chez Back Market – Notre nouvelle offre n’est pas exactement un label, c’est un classement propre à la plateforme. Concernant RecQ, nous n’y avons pas participé car il y a plusieurs labels en compétition et plusieurs projets développés en parallèle (en 2022, le gouvernement a assuré vouloir lancer un label censé assurer le « lisibilité et confiance dans les produits reconditionnés »NDLR.) On ne sait pas encore quelles seront les règles définitives. Il manque également certaines choses dans le label RecQ, à notre avis.
Etes-vous néanmoins favorable à un encadrement plus strict du marché du reconditionné ?
THDL – Bien entendu, nous y sommes favorables. Pour faire de ce mode de consommation un standard, la qualité des produits doit être la même que celle des produits neufs, et cela nécessite d’être strict. Notre philosophie est de partir des attentes des consommateurs, mais nous souhaitons que cela se fasse au plus haut niveau possible, qu’il soit reconnu au niveau étatique et européen ! Nous voulons qu’il soit transparent, reconnu par tous et qu’il soit de meilleure qualité.
Nous avons vu des marques d’électronique prendre un virage (forcé) vers la réparabilité. Pensez-vous qu’ils en font assez ? Y a-t-il encore des défis à relever pour la démocratisation de la réparation et du reconditionnement ?
THDL – Je considère que dans l’ensemble, c’est une très bonne nouvelle. Ils ont finalement compris que les produits pouvaient être réparés. Le mode Réparation d’iOS 18 permet par exemple de supprimer l’alerte anxiogène qui apparaît lorsque vous changez une partie du téléphone par une autre. C’est bien, mais c’est encore totalement insuffisant.
La sérialisation devient moins problématique, mais les problèmes persistent. Nous le voyons par exemple à travers les programmes de relance. Le verrouillage via iCloud est une perte sèche car le reconditionneur ne peut rien en faire. Je comprends les enjeux de sécurité à ce sujet, mais ce n’est pas normal de devoir jeter un produit qui a coûté 150 kg de CO2.