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Théâtre du Nord : N’oubliez pas les banderoles…

Lille (Nord), envoyé spécial.

Le contraste est saisissant entre le décor, une énorme épave d’avion écrasée sur le plateau, un paysage d’apocalypse, et la joie, le bonheur des 20 étudiants (16 comédiens/acteurs et 4 auteurs) qui s’apprêtent à voler seuls dans un quelques jours.

10 jours avant la première de La tragédie, ils répètent dur. Reprenons, attaquons un texte écrit par quatre d’entre eux, sous la houlette d’Eva Doumbia. « Nous ne prétendons pas avoir écrit le texte d’une génération » estime Ilonah Fagotin, auteure. « C’est une tentative d’être au monde, une émotion face au monde. Est-ce qu’on écrit les choses pour qu’elles soient actuelles ou contemporaines ? Nous espérons que dans dix ans, La tragédie continuera à parler. » Clément Piednoel Duval, auteur, mesure combien cette pièce « résonne d’un point de vue politique, intime et écologique avec le monde d’aujourd’hui. Nous avons écrit le texte il y a plusieurs mois, mais la réalité, le monde nous rattrape. Nous savons que la tragédie se termine mal, mais nous avons tenté, à notre échelle, de créer des utopies. »

Retour dans la salle principale du Théâtre du Nord. Une écriture de plateau menée à toute vitesse, des improvisations des comédiens qui enrichissent ou non le texte. Nous avons assisté à deux séances de répétition. Tout le monde est concentré. Le drame se joue sur le plateau, mais aussi à l’extérieur. Ce qu’il faut faire ? Comment se ressaisir ? Défaite, engagement, courage, espoir, désespoir… Vous avez dit contemporain ? Les mots tissent une histoire épique et lyrique dont les ramifications puisent dans le corpus de la tragédie antique pour mieux le démêler. C’est un texte écrit au futur, porteur d’une mémoire, d’une histoire longue de plusieurs millénaires mais qui regarde désespérément, obstinément, vers l’avenir. Le monde est en ruine. Depuis la mort d’Iphigénie et d’Antigone, c’est toujours la jeunesse qui est sacrifiée sur l’autel du pouvoir. Sur le plateau, le compte à rebours vers une mort certaine a commencé. Ce sont les survivants du vieux monde, d’un monde corrompu par l’extrême droite, partout en Europe. Ils trinquent à l’horreur, à l’effondrement, quand l’un d’eux murmure : « Nous avons oublié les banderoles. (…) Pour ne pas perdre notre humanité, n’oubliez pas les banderoles. Nous n’allons plus rien faire comme avant. Nous allons nous inventer, espérer, nous aimer. Je t’aime, je nous aime. »

Nous allons nous adresser à des personnes qui ont pu voter à l’extrême droite

Le théâtre peut-il changer le monde ? La question est posée en grand dans le spectacle. Si Charles Tuyizere, acteur, ne le pense pas – « le théâtre pose des questions mais quand je joue, je ne pense pas changer le monde » –, Ambre Germain-Cartron, comédienne, estime que « Le théâtre seul ne peut pas y parvenir, mais il participe à une réflexion commune. Je viens d’une génération où l’extrême droite a toujours fait partie du paysage. Son score actuel fait peur. La dissolution de l’Assemblée nationale précipite les choses. Il est maintenant temps d’agir. Notre spectacle est nécessaire. Nous savons que nous allons nous adresser à des personnes qui ont pu voter à l’extrême droite. Nous ne pouvons pas voter pour eux mais nous pouvons au moins ouvrir des espaces d’empathie ».

Autour d’un café, avant de reprendre les répétitions, Charles, Ambre et Sam Chemoul discutent. Avec leurs camarades de classe, ils auront passé trois années ensemble, partagé des aventures, rencontré des metteurs en scène d’ici et d’ailleurs, et testé leur envie de faire du théâtre à fond. Sous la houlette de David Bobée, directeur du théâtre, parrainé par Éric Lacascade, ils expriment leur talent, leur énergie, leur singularité sur scène comme dans la vie.

Pour Sam, « Cette promotion rassemble 16 identités et cela ne crée pas de diversité mais de richesse. Tout comme nous ne choisissons pas notre famille, nous ne nous choisissons pas nous-mêmes mais nous nous rencontrons. Nous avons passé trois ans ensemble, parfois soixante heures par semaine et, à ce rythme, nous découvrons la singularité de chacun. C’est une leçon de vivre ensemble, une manière de lutter contre la standardisation des corps et des actes. ». « Nous sommes tous différents et nous avons su sublimer nos différences », ajoute Charles. Et Ambre, de préciser : «Nous ressemblons à nos amis, à ceux avec qui nous traînons, dans ce monde où il n’y a pas que des Blancs hétéronormatifs, beaux et souriants qui ne nous ressemblent pas. »

Il faut réinventer le monde et le théâtre

Cette promotion, baptisée Studio 7, reflète la jeunesse dans toute sa diversité. David Bobée l’a scrupuleusement assuré : « Cette promotion a provoqué un choc générationnel. Elle doit réinventer le monde et le théâtre. Elle a aussi besoin de savoir ce qui s’est passé avant, de remonter à la source. » Transmettre, bien sûr, mais pas seulement. Pour Éric Lacascade, « le spectacle ne rend pas compte d’un état du monde mais il sous-tend une manière de faire politiquement du théâtre dans ce partage. Comment peut-on travailler ensemble?

Dehors, devant le théâtre, à l’appel de la CGT spectacle et du Syndeac, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées pour dénoncer les coupes budgétaires. Les élèves de l’école sont tous là. Il ne s’agit pas d’inventer des chiffres. ils se sentent forts de ces trois années passées ensemble. Beaucoup ont déjà des projets plein la tête. En solo ou en compagnie, en collectif ; des spectacles, des films, des ateliers d’écriture, l’envie de jouer, d’écrire au plus profond de mon cœur et de mon corps. Mais ils ne se laissent tromper par rien, et surtout pas par les difficultés auxquelles est confronté le secteur culturel, et particulièrement celui des arts du spectacle. Il y a un danger à retarder. Miya Péchillon et Ambre Germain-Carton liront chacune un extrait de La tragédie. Leurs paroles concentrent toute l’attention. Autour d’eux, le silence tombe. On mesure le pouvoir des mots, du théâtre aussi quand il ne se contente pas de divertir la galerie…

La tragédie, mis en scène par David Bobée et Éric Lacascade, sera créé du 24 au 28 juin au Théâtre du Nord, à Lille. Visite : à partir de 1euh au 5 octobre, Théâtre du Nord ; les 16 et 17 octobre au Phénix de Valenciennes ; les 16 et 17 janvier, à la Comédie de Béthune ; le 31 janvier à la Faïencerie de Creil ; le 25 mars au MC d’Amiens ; et du 3 au 6 avril à La Villette, Paris.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.

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