Les 266 salariés français de l’enseigne, qui a déposé le bilan fin mars, retiennent leur souffle.
Le sort de Body Shop France s’assombrit. La filiale française de la chaîne britannique de cosmétiques, récemment rachetée par le fonds d’investissement allemand Aurelius, a été placée ce jeudi en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris. Cette situation fait écho aux difficultés rencontrées par The Body Shop en Grande-Bretagne, où l’entreprise, en dépôt de bilan, s’apprête à fermer 75 magasins.
La situation n’est guère meilleure dans les 66 magasins que compte l’Hexagone. En situation de cessation de paiements, The Body Shop France a déposé son bilan le 19 mars auprès du tribunal de commerce de Paris. Dans la foulée, son nouveau dirigeant, Martin Rivers, a annoncé aux 266 salariés français son intention de demander la mise en redressement judiciaire de l’entreprise. A l’issue de l’audience tenue ce jeudi, le tribunal de commerce de Paris a confirmé le placement en réorganisation et l’ouverture d’une période d’observation de six mois visant à réaliser un diagnostic de l’entreprise, et préparer un plan de redressement.
Livraison dans les magasins suspendue
Les salariés ont senti le vent tourner en début d’année, lorsque The Body Shop a quitté le portefeuille du groupe brésilien Natura&Co, dont il faisait partie depuis 2017. Aucun géant de la cosmétique n’ayant manifesté son intérêt, il s’agit d’un fonds d’investissement allemand, Aurelius Group. , qui a finalement racheté la marque. « Quand nous avons appris, fin janvier, que The Body Shop avait été racheté, nous avons été choqués. Il y a eu une vague de panique. La direction n’a rien fait pour nous rassurer. »témoigne un ancien salarié. « Nous n’avons eu aucune livraison pendant trois semaines. Nous avons dû faire le point sur d’autres magasins. Les franchises n’étaient plus livrées, ce qui a évidemment déclenché une colère de leur part étant donné que nous sommes obligés de leur fournir du stock. Elle ajoute. Un autre employé, toujours en poste, confirme que les livraisons aux magasins « restent suspendus dans la plupart des magasins à ce jour ».
Les difficultés de la marque ne sont pas nouvelles. « Des fermetures de magasins étaient déjà en cours depuis plusieurs mois, sans forcément être liées au changement de propriétaire », confie l’ancien salarié. « L’entreprise est en mauvaise posture depuis longtemps. Beaucoup de gels de recrutement, jamais d’augmentation ni de prime participative. souligne-t-elle. Secouée par le Covid, la branche française peine néanmoins à renouer avec la croissance. Alors qu’au printemps 2023, les ventes mondiales de la marque ont chuté de 24,3%, l’ancien PDG de The Body Shop, Hugues Laurençon, a annoncé le renforcement de la filiale par le biais de la franchise. L’ouverture de 30 nouveaux points de vente franchisés d’ici 3 ans devait s’accompagner d’une rationalisation de l’ensemble du réseau de magasins. Mais ce volontarisme français n’a pas permis de compenser les déboires du groupe Natura&Co, qui, acculé par les difficultés, a été contraint de « vendre » son atout, Aesop, chez L’Oréal, en août 2023.
« Nous ne savons pas ce qui va se passer. »
Personne ne sait avec certitude ce que prévoit le nouveau propriétaire de The Body Shop dans le cadre de son plan de relance. La vente de certains points de vente ou le licenciement de certains salariés ne peuvent être exclus. « Du côté des équipes, il y a vraiment un climat inquiétant et anxiogène. Nous ne savons pas ce qui va se passer ni quand. », s’inquiète l’ancien employé de la marque. Si certains magasins devaient baisser le rideau, l’ex-salarié suppose que le couperet retomberait sur ceux dont les comptes sont désormais dans le rouge. « Il y en a beaucoup »elle murmure. « Pour l’année 2023, seuls 4 à 5 magasins sur le parc total étaient rentables et certains l’étaient à peine. » L’avenir des quelque 260 salariés est donc plus qu’incertain. « C’est effrayant d’être à l’intérieur et de ne rien savoir »commente un employé actuel.
Une question demeure : comment cette marque à la forte réputation, pionnière à sa création, a-t-elle pu se retrouver dans une telle situation ? Né en Grande-Bretagne en 1976 sous la houlette de la femme d’affaires Anita Roddick, The Body Shop est depuis longtemps un leader mondial de la cosmétique. « naturel ». Dénonciation des expérimentations animales, composition végétale… Le positionnement engagé et éthique de la marque a contribué à asseoir sa notoriété dans les années 80. Certains de ses produits – parfum White Musk, beurre corporel – sont même devenus des produits best-sellers. -vendeurs de la décennie. Le succès du modèle a également dépassé les frontières britanniques puisqu’au moment de sa vente à L’Oréal en 2006, The Body Shop comptait plus de 2 000 magasins dans une cinquantaine de pays.
Ce rachat, qui a fait couler beaucoup d’encre – Anita Roddick avait été accusée de tourner le dos à ses engagements environnementaux – s’est avéré moins concluant que prévu. Malgré ses investissements, L’Oréal n’a pas réussi à faire décoller son actif « Vert ». Sur ses 3 000 magasins, The Body Shop a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires global de 920,8 millions d’euros, en baisse de 4,8 %. En France, la marque britannique a dû composer avec sa rivale de longue date, la marque Yves Rocher, également spécialisée dans la beauté végétale. Mais, au fil des années, d’autres concurrents ont émergé (Lush, Dr Hauschka, Avril…), mettant en péril la marque historique. Alors que le marché de la beauté connaît un dynamisme sans précédent depuis la fin de la crise sanitaire, The Body Shop souffre de sa faible notoriété auprès des plus jeunes et de son positionnement prix devenu illisible. « La marque a du potentiel, mais il va falloir changer complètement de stratégie pour se remettre sur les rails »nous commentons en interne.