« The Bikeriders », la team-up déjantée de Jeff Nichols
Les Bikeriders ***
par Jeff Nichols
Film américain, 1h56
Jeff Nichols (Abri, boue) s’est inspiré du livre d’un photographe, Danny Lyon, qui a suivi pendant quatre ans les membres du Chicago Outlaws Motorcycle Club, pour nous emmener dans une chevauchée trépidante sur les routes du Midwest avec une de ces bandes de motards, figures de l’Amérique rebelle des années 1950 et 1960. Entre L’équipe sauvage (1953) joué par Marlon Brando et Easy Rider (1969) de Dennis Hopper – tous deux cités dans le film –, entre les lendemains désenchantés de la Seconde Guerre mondiale et le déclenchement de la guerre du Vietnam, le cinéaste raconte avec brio la lente dérive de ces groupes de jeunes hommes vers la drogue et le crime.
Une épopée rugissante et flamboyante qui ne cède pourtant jamais à la violence ni à la fascination pour la force virile de ses héros. Au contraire, la grande intelligence du film est d’organiser l’histoire autour d’une figure féminine, Kathy (la formidable Jodie Comer). Ayant rejoint la bande en tombant amoureuse de Benny (Austin Butler), cette jeune femme au caractère bien trempé, qui n’a jamais vraiment partagé le mode de vie motard, raconte l’histoire de son point de vue. De la création du club par Johnny (Tom Hardy), chauffeur routier passionné de motos et leader charismatique du groupe, jusqu’à sa reprise en main assez brutale par une génération de têtes brûlées sans foi ni loi. D’abord touchée par ce groupe de gros durs protecteurs puis peu à peu effrayée par son évolution, elle demande à Benny de choisir entre elle et sa fidélité au club.
Une microsociété avec ses propres règles
A travers ces trois personnages, le talentueux Jeff Nichols, qui n’avait plus tourné depuis le magnifique Aimant (2016), examine le phénomène typiquement américain des motards. Une communauté de motards ralliant les laissés-pour-compte du système, qui exhibent leurs biceps et leurs grosses cylindrées et n’ont que la violence pour affirmer leur différence. Elle constitue une microsociété à part entière, fonctionnant de manière isolée et n’obéissant qu’à ses propres règles. Le film nous y plonge et offre peu d’éclairage sur la société environnante de l’époque.
Le témoignage de Kathy donne le rythme de ce film à combustion lente, ponctué de flashbacks et de balades interminables sur le bitume, sans autre but que de rouler. Le mal-être de ces motards, qui ne trouvent pas leur place dans la société, imprègne toute l’histoire. Et cela devient de plus en plus sombre à mesure que le contexte change et que le groupe échappe peu à peu à la volonté de ses créateurs. À partir des photos de Danny Lyon, Jeff Nichols a soigneusement reconstitué l’esthétique de ces strips et nous propose une belle histoire lyrique et captivante.