TÉMOIGNAGE « Nous sommes dans un siècle de résilience, de survie », selon le psychologue Damien Scolari, spécialiste des psychotraumatismes
L’an dernier, il a publié aux éditions Ovadia « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort », une série de témoignages pour nous apprendre que si l’on s’en donne les moyens, nous sommes tous capables de nous relever. Il revient sur la scène littéraire avec, cette fois, un roman « Hors connexion » qui aborde la violence du XXIe siècle. Un livre qui donne aussi des clés subtiles pour y résister et se reconstruire.
C’est un petit livre d’à peine 160 pages qui se dévore plus qu’il ne se lit. Et pourtant, on y trouve une multitude de petits trésors qui vous accompagnent pour faire du bien aux cœurs blessés.
Hors ligne, Paru aux éditions Le lys bleu, raconte l’histoire de Jean-Baptiste, un trentenaire qui tente de se tenir à l’écart de la violence de son époque pour s’en protéger. Toute la tragédie du XXIe siècle va lui revenir à travers sa rencontre avec un réfugié syrien.
Le roman est basé sur l’histoire de Khaled Asaad, 83 ans, ancien directeur du Département des antiquités et des musées du site archéologique de Palmyre, qu’il dirigeait depuis 1963.
L’homme a été enlevé, retenu captif pendant un mois, puis décapité en public à Palmyre. C’était le 18 août 2015, et l’État islamique exécutait une danse infernale.
« Il a dit : Je meurs avec mes trésors... pour moi, explique l’auteur,
Le fait que des héros meurent sans que personne ne soit choqué et n’en parle est une aberration.
Damien Scolari est psychologue EMDR (Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, Ed.)spécialisée dans la prise en charge des psychotraumatismes et du stress post-traumatique.
Il intervient lors de crises majeures. Après avoir longtemps travaillé à la Maison d’accueil des victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Il a retrouvé une forme de liberté en travaillant, dans son Centre de Reconstruction et de Bien-être, aux côtés de 4 avocats, pour permettre, si besoin, une prise en charge globale des personnes ayant vécu un traumatisme ou un stress intense.
En plus de son travail, il écrit, utilisant divers genres littéraires pour explorer les paradigmes et les limites de notre époque.
Depuis les attentats à répétition sur le sol français, le mot traumatisme est entré dans le quotidien sans que l’on sache vraiment ce qu’il signifie. Le livre « « Tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort » a eu l’immense mérite de donner la parole à ceux qui ont traversé cette épreuve et d’enseigner comment chacun peut être résilient.
Avec Hors ligneDamien Scolari élargit le spectre des ecchymoses et présente des pistes à suivre pour conjurer la déshumanisation.
Layanne son 1euh Le roman paru en 2017 avait posé les bases de cette réflexion. On y retrouvait déjà l’inertie d’une plage niçoise, la Syrie blessée, la destruction de Palmyre, les assauts de Daesh et consorts.
« C’était une ébauche, un squelette de ce qui est concentré Hors ligne » il explique.
« Un peu comme si, comme Dionysos, le livre était né deux fois. Il y a quelque chose dans le traumatisme du XXIe siècle dont on parle rarement. Nous sommes dans une ère postmoderne, voire hypermoderne, et nous assistons à l’effondrement d’une forme de civilisation. Quand les structures disparaissent, l’impression qui revient est celle d’une immense fragilité.
Le 22e siècle est angoissant et parce que l’être humain a perdu ses valeurs, son histoire, sa foi, sa capacité d’aimer, il perd aussi les ressources dont il disposait pour faire face à l’existence. Il se sent de plus en plus seul, les liens sociaux s’effritent… Quand on voit disparaître de grands sites architecturaux, cela montre symboliquement cette perte.
Jean-Baptiste s’efforce de se tenir à l’écart des nouvelles dramatiques qui l’assaillent sans cesse dans l’espoir de se préserver des tragédies de notre époque. La position du psychologue est en espalier ;
« Palmyre n’est pas seulement Palmyre. C’est aussi le symbole des croyances, de l’histoire, d’une certaine grandeur que possèdent les lieux sacrés où l’on puise de l’énergie, des ressources, où l’on se connecte pour avancer. C’est à ça que sert l’histoire, la grande, et la nôtre, personnelle, car nous avons tous une histoire et nous puisons de la force dans l’histoire familiale. Ce sont les grandes histoires que l’on se raconte. Cependant, si l’on lâche ces symboles, on se retrouve déconnecté et on ne sait plus à quoi se connecter lors d’un traumatisme majeur », d’après l’auteur.
Certaines personnes portent le poids de leur temps et ont l’impression que cela ne finira jamais.
« Il est très difficile pour eux de se sentir guéris car ils développent une hypersensibilité. Quand on a vécu une grande douleur, on se projette dans les lieux de souffrance. Le sentiment dominant est que tout le siècle sera comme ça. Beaucoup sont fatigués et essaient de se protéger de leur époque. Mais c’est une erreur et un cercle vicieux. En se coupant des événements, en se déconnectant, on s’isole et cela nous impacte. Nous ne pouvons comprendre l’Autre en ignorant notre histoire individuelle. Elle est le résultat de l’histoire de notre culture, et notre culture est liée à l’histoire de l’humanité. En nous individualisant, nous nous coupons des autres, nous perdons de l’émotion, de l’intensité, de la profondeur, et, à l’image de notre époque, nous sommes plus qu’une simple surface…
En accompagnant les victimes de traumatismes, la psychologue constate que les ressources utilisées pour surmonter les événements ne vont pas vers la technologie, qui ne rassure pas du tout l’être humain, ni vers la science. Beaucoup de patients refusent les médicaments. Ils recherchent la foi, l’espoir, la douceur, la poésie car toute sensibilité est utile au partage avec l’Autre.
Hors ligne c’est, pour l’auteur, le climat qui a plané et conduit au 14 juillet à Nice en résumant la question du traumatisme avec l’insécurité, Vigipirate etc.
Nous n’arrivons pas à en sortir, nous peinons à gérer les traumatismes, même si je crois fermement que nous sommes dans un siècle de résilience, de survie, de reconstruction plutôt que de victimisation et de déconstruction.
Le titre du roman joue sur les mots : « Vol hors ligne 1 en mode avion ». Une suite, un prochain volume est déjà en préparation.
Ce tome 2 racontera l’histoire de Jean-Baptiste 10 ans plus tard.