TÉMOIGNAGE. « Cela m’a projeté dans un passé violent. » Le film Signalements raconte le combat de Laurence pour sa nièce, violée 300 fois
A l’occasion de la Journée des droits de l’enfant, le 20 novembre, France 2 diffusera « Signaux ». Un film inspiré de l’histoire de Karine et Laurence Brunet-Jambu : l’enfant a été maltraitée par ses parents, violée par une de leurs amies. Sa tante s’est battue pendant des années pour la sauver. Un film inspiré de leur livre, à la fois cri d’amour pour la petite fille martyrisée et cri d’alarme pour la protection des enfants.
Sur la couverture du livre Signalements de Karine et Laurence Brunet-Jambu, on apercevait une petite fille dans les bras du Père Noël. Mais au lieu de sourire, l’enfant semblait terriblement triste, comme absent. Ses yeux semblaient crier à l’aide.
Karine est née à Rennes en 1997. Et aussitôt, sa tante, Laurence Brunet-Jambu, a ressenti quelque chose d’étrange. La mère de l’enfant ne s’est pas comportée comme une mère, elle ne l’a pas tenu dans ses bras, a refusé de lui donner le biberon et n’a pas non plus changé ses couches ni ses vêtements. Elle était comme « incapable de la tenir, incapable de l’aimer… « , écrit-elle.
Dans le livre, Laurence Brunet-Jambu décrit l’un des moments où tout a basculé. Elle a insisté pour qu’elle donne son biberon à sa fille. « Je n’en veux pas, je ne peux pas, l’enlever là où je vais faire la même chose qu’avec l’autre »elle a éclaté un jour. « Et comme l’autre ? « » demande immédiatement la tante de l’enfant. « Oui, j’ai tué ma fille, j’ai tué ma fille avec un couteau, tu comprends, je ne voulais pas ça !
Lorsqu’elle avait deux ans, la nuit, les voisins trouvaient parfois Karine endormie sur le paillasson devant la porte de l’appartement. À cinq ans, elle errait seule, dehors dans son quartier jusqu’au milieu de la nuit.
Dès les premiers jours de son existence, un signalement a été effectué auprès des services sociaux. En vain.
Les choses ont empiré pour l’enfant en 2002, lorsque ses parents ont décidé de loger un ami chez eux. L’homme vient de sortir de prison où il avait purgé une peine pour agression sexuelle. Régulièrement, il donne de l’argent à la mère ou au père de Karine pour qu’ils puissent faire des courses et acheter des cigarettes. Ils quittent la petite fille et lui demandent de se taire.
« La nuit, il venait me chercher à mon lit et m’emmenait dans la salle à manger où il dormait, sur le canapé du salon. Ma mère sortait parfois de sa chambre pour aller fumer une cigarette et elle me voyait nue à côté de lui, dit Karine dans Signalements. J’avais tellement peur… De lui, mais surtout de mes parents biologiques : ils m’ont frappé et insulté, m’ont traité de menteur. «
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Laurence Brunet-Jambu voit l’état de sa nièce se dégrader. Elle a alerté les services sociaux, le procureur, et a fait plusieurs signalements de mauvais traitements et de viols. Tous sont classés sans autre mesure. Elle agace. « La sorcière a encore appelé « , a-t-elle eu des nouvelles de la protection de l’enfance. Elle est même poursuivie pour dénonciation calomnieuse.
Finalement, un jour, les choses changent. « Il a fallu 14 signalements pour que Karine soit retirée de sa famille où elle a été violée plus de 300 fois », dénonce Laurence Brunet-Jambu.
En juillet 2018, son violeur a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine. Ses parents ont été reconnus coupables de subornation de témoin et condamnés à 3 ans de prison (pour le père, dont 30 mois avec sursis) et 2 ans de prison avec sursis pour la mère.
Pour raconter l’épreuve de l’un, le combat de l’autre, Karine et sa tante écrivent un livre, « Signalements ».
« Le livre est sorti en 2019dit Laurence Brunet-Jambu, et très vite, les droits ont été vendus pour une adaptation« .
Catherine Ramberg, Clément Michel et Eric Metayer ont regardé le scénario et l’ont envoyé à Laurence et Karine.« Il y avait des choses où j’étais un peu douteux, mais ils m’ont expliqué que l’histoire était tellement sordide et inimaginable que ça allait être compliqué de tout mettre en film. «
C’était moi. C’était Karine. C’était ma belle-sœur. Avec des visages différents, mais les scènes étaient celles que nous avions vécues !
Laurence Brunet-Jambu a suivi tous les préparatifs du film et du casting. Et puis, un jour, les choses se sont concrétisées. « Le tournage a commencé, Karine et moi y sommes allés. Et là, j’ai reçu comme un boomerang en regardant les scènes dont j’ai été témoin, car cela me projetait dans un passé violent. Mais ça correspondait exactement. C’était moi. C’était Karine. C’était ma belle-sœur. Avec des visages différents, mais les scènes étaient celles que nous avions vécues ! «
« Bien sûr, c’est un téléfilm, l’histoire a été adaptéecontinue-t-elle, mais dans le film, il n’y a rien d’inventé. C’était important parce que je ne voulais pas que quelqu’un ternisse l’histoire de Karine ou ternisse mon combat. »
Éric Métayer, le réalisateur du film, avait déjà coréalisé « Les Chatouilles », l’histoire d’Odette, 8 ans, violée par un ami de ses parents. « Rapports » est interprété par les comédiens Cécile Bois, Odile Vuillemin et Bruno Solo et a été sélectionné pour la 26ème édition du Festival de Fiction de La Rochelle qui a récompensé le prix de la meilleure actrice à Cécile Bois qui incarne Laurence Brunet-Jambu au cinéma.
« Eric Metayer a compris le message, et c’est un cadeau. » se réjouit Laurence Brunet-Jambu. Lors de l’avant-première, elle a été longuement applaudie et remerciée.
« Je n’apprécie pas les remerciements pour avoir mené le combat de Karine, j’apprécie les remerciements en espérant qu’ils apporteront du changement. Je veux que cette histoire soit utile, que ça bouge« .
« On nous dit oui, mais nous avons fait des plans, des plans, enfin oui, mais les plans ne servent pas à grand-chose. Cela ne protège plus les enfants.«
Laurence Brunet-Jambu le constate tous les jours »,les enfants ne sont pas plus protégés qu’il y a 10 ans. J’ai reçu deux appels ce week-end de deux enfants qui vivent la même chose que Karine« .
«Nous n’avons pas de secrétaire d’État à l’enfance fait-elle remarquer. C’est toujours un message. Alors que nous avons un secrétaire d’État aux Anciens Combattants. Je ne dis pas qu’on n’a pas besoin d’un secrétaire d’État chargé des Anciens Combattants, je dis juste qu’il y a 160 000 enfants victimes de violences sexuelles par an en France. »
Selon les chiffres de l’Unicef, toutes les 3 minutes, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle.
Elle en est convaincue »,La protection de l’enfance est morte. Il n’y a rien qui fonctionne. Et tout le monde le sait. Les ministères le savent. L’État le sait. Les associations le savent. Et que faisons-nous ? «
Laurence Brunet-Jambu dénonce un système créé il y a 60 ans, « Mais en fait, c’est mort. Les enfants ont changé. Les familles ont changé. La société a changé. Nous devons donc construire une protection qui réponde aux besoins d’aujourd’hui. »
Elle s’énerve parfois en pensant aux dizaines de signes avant-coureurs qui n’ont pas fonctionné. « Dans notre société, on n’a pas le droit de dire que les travailleurs sociaux ne sont pas bons, on n’a pas le droit ! C’est un message qu’on n’arrive pas à faire passer parce qu’on remet en question un métier. Mais ils ne sont pas bons parce qu’ils ne sont pas bien formés. Ce n’est pas le peuple, c’est ce qu’il représente ! «
« La société est collectivement responsable de chaque enfant victime de violence. Nous sommes collectivement responsables.«
Devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, une procureure générale s’est levée pour présenter ses excuses à Laurence Brunet-Jambu. L’État a même été condamné pour déni de justice.
« Cette condamnation revient à dire que la sorcière, en fait, avait raison » affirme-t-elle. « Je ne suis plus la sorcière, la méchante, la folle. «
» Karine, elle mérite que les institutions lui présentent leurs excuses pour ne pas l’avoir protégée. Elle a souffert le martyre, parce qu’ils n’ont pas fait leur travail. Et il y a des enfants, d’autres enfants qui subissent la même chose. Et il y a 5% d’agresseurs qui sont condamnés. »
Laurence Brunet-Jambu qui est aujourd’hui présidente de l’Association Nationale des Comités de Vigilance Alexis Danan et engagée dans la défense des droits des enfants. Elle espère que le film sensibilisera les gens.
« Et puisconclut-elle, Il est important que Karine puisse dire : « On peut s’en sortir et on peut vivre avec ». Est-ce que je vais bien ? Non, je ne vais pas très bien, mais je vais bien. J’avance. Je construis une vie. »
« C’est aussi le message que nous voulons transmettre. C’est parce que les choses peuvent bien se passer. Et avec un dernier sourire, elle termine la conversation par une question en forme d’affirmation : La vie n’est-elle pas belle ?