TÉMOIGNAGE. « Bonjour Samu ? Au secours ! », je vous raconte ma crise cardiaque, à l’occasion de la Journée mondiale du coeur
Ce dimanche 29 septembre, c’est la Journée mondiale du cœur. Pour une fois, l’article est écrit à la première personne. Cette journée résonne en moi comme un son qui dure depuis qu’un soir de décembre, j’ai décroché le téléphone pour appeler les secours.
Journaliste à France 3 Rhône-Alpes depuis une vingtaine d’années, je peux en témoigner. J’ai eu une crise cardiaque. Je suis revenu. Et si on en parlait ?
– « Samu, bonsoir »…
– « Je ne peux plus respirer… Au secours »
– « Nous arrivons »…
Obscurité totale et silence absolu. Je ne sais pas si mon cœur bat encore. Une chose est sûre : je suis inanimé. Peut-être même déjà mort.
Depuis quelques semaines, une toux persistante me gêne. Saleté de bronchite. Râles, crépitements dans les poumons, fatigue écrasante et maux de tête constants. Mon médecin traitant est dubitatif. Allergie? Asthme? Vous devrez arrêter de fumer. Je vais devoir ralentir mon rythme frénétique au travail. Et pensez sûrement à faire un peu d’activité physique. Sale fatigue.
Mes nuits sont difficiles, m’allonger est douloureux pour moi. Je ne parviens à dormir qu’un semblant de sommeil en position assise. C’est l’hiver. Il fait froid. Le brouillard enveloppe toute la ville. Sale brouillard. Cela me fait tousser encore plus. Ma respiration est saccadée, de plus en plus difficile. Mais la veille, j’avais encore trouvé la force de sortir pour une soirée bien arrosée entre collègues. Je n’ai rien vu venir. Emportés par le tourbillon du quotidien, nous minimisons ces signaux que nous envoie notre réacteur. Le cœur a ses raisons. Encore faut-il les détecter pour anticiper. « Le SAMU, bonsoir »…
Après deux heures passées à me retourner et à me retourner, dans l’espoir de trouver un sommeil réparateur, j’ai dû me rendre à l’évidence. Il y a un gros problème. On dirait un petit chien qui vient de chasser des lapins. Langue pendante, gorge sèche, quelques hallucinations. Je ne vais pas bien. Je trouve de la force. Je prends mon téléphone et compose le 15 avec difficulté. Sans le savoir, à ce moment-là, ils m’ont sauvé. « Je ne peux plus respirer… Aide »…
L’obscurité s’est installée. Le silence avec. Un silence jamais connu auparavant. Je n’entends même plus les battements de mon cœur. C’est la fin des souffrances. Je n’ai plus de douleur, je ne ressens plus rien. Et s’il y avait de la plénitude là-bas ? « Nous arrivons »…
Des silhouettes blanches tournent autour de moi avec attention et délicatesse. D’autres, ces noirs, tentent de m’attraper sans y parvenir. Je m’échappe. Je pars. Je vole. Soudain, au fond d’un tunnel sombre, une lumière. Elle est vive, puissante. Les sons résonnent. Ils sont réguliers. Des voix se font entendre, dont une plus forte, grave et presque sévère, celui d’un homme : « Es-tu avec nous? »
J’ouvre entrouvert les yeux, la lumière est celle d’une lampe torche placée juste devant ma pupille. Les sons proviennent d’un appareil ou tremblent courbes légères. Les silhouettes blanches sont celles des médecins du SAMU, les noires celles des pompiers qui m’ont déjà placé sur une civière. Je ne peux pas parler. Un masque à oxygène m’arrête. Je suis entouré de fils et de tuyaux. Mais je respire. « Nous l’avons récupéré » dit la même voix sérieux sur un ton moins sévère, presque soulagé.
Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Je suis emmené hors de la maison sur la civière. En traversant mon petit jardin, je ne peux m’empêcher d’attraper la branche d’un arbre, mon arbre de Judée. Un des sauveteurs me demande pourquoi. Je lui réponds, du mieux que je peux : « J’emporte un peu de vie avec moi ».
Dans l’ambulance qui m’emmène à l’hôpital, sirène hurlante, je sens les larmes couler sur mes joues. Je n’ai pas de sanglots, mon souffle est encore trop court. Tout est flou, mais je suppose que le docteur assis à côté de moi. Il me regarde avec un gentil sourire. Il m’a expliqué que j’étais en train de mourir asphyxié, noyé par mon propre sang entrant dans mes poumons. Je mesure à quel point je suis bon. Reviens à moi, à la vie, comme une renaissance. Je n’ai plus de douleur.
je serai pris en charge « œdème pulmonaire aigu suite à une rupture valvulaire ». De quoi, un jour, écrire cette histoire. Il doit être partagé. Cette nuit-là, il n’y avait plus de plan, sauf celui instinctif de survivre. Alors oui, écrivez. Pour rassurer ceux qui ont peur. Pour expliquer à ceux qui ont peur. Pour remercier également ceux qui s’en soucient. Ce l’histoire est la mienne, elle m’a appris à revivre. Elle m’a fait grandir. Mais chaque année, en France, des milliers de personnes en font l’expérience. Même si on ne revient pas indemne d’une telle aventure. Je n’ai plus peur de la mort. Je reviens à la vie grâce au monde hospitalier. Tant de gens, tant de héros.
Mattéo m’a sauvé la vie. Juste ça. « Mon Dieu, c’est mon travail. » Mon chirurgien, d’origine italienne, est un cardiologue réputé. « Mon »ça, je le découvrirai plus tard. Certains de ses collègues parlent de lui en disant qu’il est un artiste. Grandchâtain, cheveux coiffés en arrière et toujours des mots qui font du bien. Lorsqu’il est entré dans la pièce, j’ai tout de suite aimé son accent. Sa voix fait rouler les « r », ses formules sont brèves, efficaces et ses propos sont rassurants. Selon lui, la seule solution pour me sortir des appareils de respiration artificielle est la chirurgie. Une opération d’urgence. Il prendra cependant le temps de m’expliquer, malgré le contexte. « Je suis le cardiologue. Ce que vous allez vivre est exceptionnel, la la, je fais ça tous les jours ».
Je vais devoir ouvrir ta cage thoracique pour voir ton cœur. Je travaille à sec, donc je vais arrêter ton cœur et tes poumons. Mais rassurez-vous, une machine prendra le relais.
Mattéo Pozzi, chirurgien cardiologue.
En entrant dans la chambre sur une civière froide, dure et inconfortable, je craignais le pire. La salle d’opération m’a impressionné. La pièce est immense et noire. Mais je vais découvrir un autre univers. Les brancardiers me rapprochent du centre, où la lumière devient intense et puissante. J’ai l’impression d’être un acteur marchant sur scène. La civière est encore froide. Probablement en tôle d’acier. Une dizaine de personnes, vêtues de blouses blanches et masquées, s’affairent. Je suis la star. Des mains puissantes me font glisser de la civière jusqu’à un lit au cœur de la pièce. Mon corps finit sur un matelas. c’est chaud. C’est doux. C’est accueillant et confortable. C’est une joie. Difficile de comprendre ce matériel rassurant. C’est comme si j’étais bercé par l’eau chaude. Je me sens bien. Quel paradoxe. L’opération à cœur ouvert durera plusieurs heures.
Des bips incessants, des voix calmes, une machinerie digne des grands théâtres m’entourent. Tout aurait pu me surprendre. Mais ce matelas m’interroge encore plus. De quoi est-il fait ? La sensation est celle du toucher d’un bébé sur une peau si douce. Velours? Pas à l’hôpital. Satin? Aucun moyen. Plastique? Pas n’importe qui donc. « Mais où suis-je ? « Autant être à l’aise, non? »répond une douce voix d’infirmière.
La mémoire du bloc reste celle de ce matelas en matière inconnue. Je n’avais même pas réalisé que j’étais piqué partout. Le masque à oxygène a été placé sur mon visage. La femme à la voix délicate me demande combien d’enfants j’ai. Je ne pouvais pas compter jusqu’à trois.
Je me suis endormi. Bercé par le matelas du bloc, sans savoir de quoi il était fait. Je ne m’en étais jamais posé la question. Lors de ma prochaine visite, je devrai poser la question.
Après cette opération à cœur ouvert, quatre jours de « rééducation » et des semaines de rééducation, est venu l’heure de la guérison.
Je pense toujours à ce chirurgien qui m’a opéré, à ces infirmières qui m’ont soulagé, à ces soignants qui m’ont rassuré. Et à tous ceux qui y sont restés. Parfois, dans la salle d’à côté, en cardiologie, les bips alternés des machines se transformaient en un long sifflement aigu qui animait soudain tout le service.
Aujourd’hui, mon aventure continue. Les visites chez mon médecin généraliste alternent avec celles chez mon cardiologue. Ma vie professionnelle a évolué. Fini les reportages, caméra en bandoulière. Ma position a évolué, elle est devenue plus stable. C’est toujours aussi excitant. D’un traumatisme, j’ai créé une opportunité. Et j’ai retrouvé la petite branche que j’avais récupérée ce fameux soir, il y a trois ans maintenant. Elle s’est fait une coupure. Un nouvel arbre de Judée pousse.
Comme lui, je suis revenu. Je suis toujours là. Je me souviens des gentils mots de mon cardiologue : « Marchez, c’est bon pour le cœur, au moins une demi-heure par jour ». Mon cher Docteur, je vous écoute, je continue mes activités qui font battre mon cœur, à chaque instant.