Ces dernières semaines, les coups de gueule des artistes contre les téléphones brandis lors des concerts se sont poursuivis. « Les gens sont anesthésiés, ils sont avec leur téléphone comme ça, ils sont amorphes, complètement morts« , déprimait le DJ Bob Sinclair devant sa webcam en août après un set ennuyeux à Mykonos. Début octobre, c’est Nick Cave qui criait à un public polonais, entre deux chansons, de ranger son « putains de téléphones« . Et dans un registre plus calme mais beaucoup plus radical, Bob Dylan se produira à Paris, les 24 et 25 octobre, dans une salle où les téléphones seront interdits : le spectateur devra placer son appareil dans un coffret fermé qui ne fait que se déverrouiller. à la fin du concert.
L’artiste exploité ?
UN étude récente d’Ipsos et d’American Express indique que 70% des Français de moins de 35 ans qui vont à un concert partagent des photos ou des vidéos sur leurs réseaux sociaux. Si les artistes qui s’indignent contre ce phénomène brandissent l’argument d’une relation moins authentique, le téléphone permet surtout un « réappropriation » de la valeur de l’instant, rappelle le doctorant en sociologie Vincent Timsit, auteur de la thèse « Le selfie devant l’œuvre d’art : les transferts de valeur à l’ère du numérique ». « Au moment où le spectateur vit le concert, il pense déjà à l’après-coup, au partage. »analyse Vincent Timsit. » Alors que pour l’artiste, il y a une forte possibilité de se sentir instrumentalisé« .
« Le spectateur a probablement la sensation d’être doublement présent, à la fois pendant le spectacle et à chaque fois qu’il peut revoir ou attester de sa présence au concert.« , souligne Vincent Timsit. A l’inverse, l’artiste peut avoir le sentiment que le public est « doublement absent« . Là où le public cherche à montrer sa proximité avec un artiste en partageant des vidéos sur ses réseaux sociaux, il crée donc en réalité une distance.
Objet de nuisance et de commercialisation
Dans une étude réalisée en 2020 sur l’expérience spectateur des concerts, le Centre National de la Musique a observé de nombreuses réponses sur les nuisances perçues par les spectateurs liées au téléphone de leurs voisins. Mais le téléphone n’est pas seulement une source d’irritation. « Certains artistes peuvent considérer que quelques images pas trop mal réalisées, diffusées sur les réseaux sociaux, constituent un formidable outil de communication et de marketing gratuit.« , constate le président du CNM Jean-Philippe Thiellay. Et tandis que la lumière du téléphone a remplacé la flamme du briquet, de plus en plus d’artistes misent sur les téléphones de leurs spectateurs pour créer une expérience de concert. La diva Beyoncé a même a décidé de ne plus tourner de clips et de ne sourcer que les images capturées par ses fans.
Quelle innovation pour rassembler tout le monde ?
Satisfaire tout le monde est l’équation impossible sur laquelle travaille l’industrie musicale. Mais la technologie pourrait changer la donne, espère Jean-Philippe Thiellay. « Les entreprises françaises ont-elles des idées pour maîtriser ces usages, pour combiner ce que le spectateur veut faire, mais aussi les contraintes des autres spectateurs, de l’artiste et du lieu ?« , demande le président du CNM. « Il y a probablement un champ d’innovation à explorer pour lequel le Centre National de la Musique peut très bien accompagner les entreprises. »
En attendant, c’est aux spectateurs d’arriver à cohabiter et peut-être à se modérer un peu, semble suggérer Jean-Philippe Thiellay. « Quand vous filmez quelques minutes d’un concert, allez-vous vraiment les réécouter chez vous sur votre ordinateur ou sur votre téléphone ?« , pose le président du CNM dans une question rhétorique.