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« Il y a une erreur d’analyse lorsqu’on parle de sentiment antifrançais »

La Croix : Derrière ses revendications souverainistes et panafricanistes, Bassirou Diomaye Faye a-t-il un véritable projet politique ou n’est-ce qu’un slogan de campagne ?

Caroline Roussy : Non, je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est juste un slogan de campagne. Il a proposé un véritable programme en faveur de la souveraineté économique, monétaire et agricole du pays. Beaucoup de propositions sont le fruit de plusieurs années de travail mené en collaboration avec Oussmane Sonko, et sans doute élaboré grâce à l’implication d’universitaires. La question est de savoir si cela est réaliste et si cela peut être mis en œuvre.

Nous savons qu’il existe un décalage entre les propositions programmatiques et la réalité du pouvoir. D’autant que Faye arrive à la présidence sans expérience de fonction gouvernementale, et avec une nouvelle équipe. Il découvrira l’état réel du pays : les budgets, les recettes, les dépenses, le contenu des contrats, notamment pétroliers et gaziers, qu’il souhaite renégocier… Mais ne l’accusons pas d’emblée d’inefficacité. Il a déjà nommé Ousmane Sonko premier ministre, pour voir quelle sera la composition du gouvernement et s’il fera appel à des personnalités politiques expérimentées dans l’exercice du pouvoir.

Diomaye Faye est le président mais qui sera réellement aux commandes ? Lui ou Sonko ?

CR : Conformément à leur slogan de campagne « Diomaye moyy Sonko, Sonko moyy Diomaye » (« Diomaye c’est Sonko, Sonko c’est Diomaye »), les deux hommes ont confirmé leur volonté de travailler ensemble. Le 24 mars, les Sénégalais ont voté pour Ousmane Sonko, par la voix de Diomaye Faye, pour mettre fin à la période Macky Sall, mais il n’y a qu’un seul poste de président de la République au Sénégal. Et ce poste est occupé par Diomaye Faye.

Après de nombreuses spéculations, Ousmane Sonko a été nommé Premier ministre. Les deux hommes réaffirment leur tandem au plus haut sommet de l’Etat. De nombreuses Cassandres prédisent ou mettent en garde contre de futures tensions entre les deux hommes. Ne cédons pas à des conclusions hâtives, même s’il est clair que l’évolution de leurs relations peut s’avérer décisive pour la stabilité du pouvoir.

Par rapport à l’ancien président Macky Sall, en quoi cette élection peut-elle être considérée comme une menace pour les relations franco-sénégalaises ?

CR : Il ne faut pas céder au catastrophisme. Cette élection ne signe pas la fin des relations avec la France. Il existe une forte diaspora sénégalaise en France et à l’inverse une forte diaspora française au Sénégal. Le premier message de Diomaye Faye a été de rassurer ses partenaires occidentaux.

Mais il les a prévenus qu’il voulait « une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ». Le message est clair : renégocier les bases du partenariat. En ce sens, la réaction d’Emmanuel Macron est de bonne volonté. Il a dit qu’il avait hâte de travailler avec le président Faye.

Cette élection s’inscrit-elle dans un mouvement anti-occidental global, et plus particulièrement anti-français en Afrique de l’Ouest ?

CR : Il y a là une erreur d’analyse quand on parle de sentiment anti-français. Cette notion alimente un récit très éloigné de la réalité. Derrière cette expression se cache une tendance à dépolitiser les revendications sénégalaises, en les plaçant du côté de l’émotion. Mais il y a des luttes politiques. La situation est très différente de celle du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Au Sahel, il s’agissait généralement de revendications en faveur de la souveraineté militaire.

Dans le cas du Sénégal, le discours porte davantage sur la souveraineté économique et monétaire. Je ne pense pas qu’il faille tout lire à travers ce prisme anti-français. Pour l’instant, il n’y a pas eu de déclarations claires de la part des nouvelles autorités du pays. Les priorités des Sénégalais sont le pouvoir d’achat, l’employabilité des jeunes, la lutte contre l’immigration clandestine, mais certainement pas la France pour le moment.

En réalité, les perceptions sénégalaises sont plutôt celles d’une tutelle économique française, d’entreprises françaises ne payant pas d’impôts et empêchant le développement des PME sénégalaises, favorisant l’instauration d’un environnement concurrentiel déloyal. Les entreprises françaises ont sans doute bénéficié de facilités conformes au code des investissements en vigueur, mais au même titre que les entreprises chinoises par exemple.

De toute évidence, la très grande proximité du président Macky Sall avec la France a fait naître des soupçons selon lesquels la France était favorisée par rapport à d’autres partenaires. Il y a aussi la vision de l’encadrement économique qui se perpétue à cause du franc CFA, qui est un acronyme certes revisité mais hérité du «Franc des colonies françaises d’Afrique». Aujourd’hui, force est de constater qu’une page se tourne et qu’il existe une volonté de banaliser les relations avec la France.

Faut-il craindre un renforcement de la présence russe et chinoise dans le pays ?

CR : L’influence russe est minime. On ne peut pas dire que les Russes investissent beaucoup au Sénégal. La situation est très différente de celle du Sahel. Au Sahel, ce sont essentiellement des enjeux sécuritaires, alors que les enjeux sénégalais sont essentiellement économiques. On peut émettre l’hypothèse, puisque la question est posée, que Poutine souhaite un rapprochement avec Diomaye Faye, d’autant que ce dernier se définit comme un « panafricaniste de gauche », de tendance souverainiste ; un discours largement soutenu par Moscou. Mais il y a du discours et de la pratique. En fait, il existe plus de liens entre le Sénégal et la France qu’entre le Sénégal et la Russie.

Du côté chinois, force est de constater que les investissements augmentent fortement. Un supermarché China Mall a même été ouvert à Dakar. Comme Auchan en 2021, il a été la cible de plusieurs manifestations, dont le mouvement Frapp (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine). Anciennement appelé Frapp-France Clears, le mouvement cherche désormais à se démarquer de son image anti-française. Ses revendications portent sur la souveraineté du pays, ce qui implique de ne pas créer de nouvelles formes de dépendance, y compris vis-à-vis de la Chine.

Il faut prendre en considération qu’un changement est en train de s’opérer au Sénégal. Le peuple recherche la justice et l’équité envers la France, il n’est pas dans une démarche de rupture des relations mais de rééquilibrage et de recalibrage.

Quels seront les principaux défis que devra relever ce jeune président, qui n’a jamais été confronté à l’exercice du pouvoir ?

CR : Son principal défi reste de réduire le coût de la vie. Par exemple, le salaire minimum est de 65 000 francs CFA alors qu’un cravate (plat typique sénégalais) est à 1 000 francs. L’un des défis majeurs de son mandat sera également la renégociation des accords de pêche. Les eaux territoriales ont été laissées aux chalutiers battant pavillon européen, mais aussi chinois et russe, tandis que les pêcheurs sénégalais voient leur activité entravée et se retrouvent dans une situation très précaire. Beaucoup d’entre eux sont candidats à l’exil.

L’employabilité des jeunes est un autre défi à relever. Ils sont 300 000 à entrer chaque année sur le marché du travail. Certains sont très qualifiés mais ne trouvent pas de travail… Le président Faye a insisté dans son programme et ses engagements sur la sortie du franc CFA et la renégociation des contrats pétroliers et gaziers. Pour le franc CFA, quels sont les délais prévus ? Quelle zone géographique est concernée : la CEDEAO, la zone franc ou tout simplement le Sénégal ? Dans quelle mesure peut-on renégocier les contrats avec les multinationales ? Entre attentes très élevées, engagements de campagne et réalité du pouvoir, le gouvernement devra choisir ses priorités.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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