Divertissement

Sylvia Kristel, l’actrice au destin tourmenté qui a été hantée toute sa vie par le rôle d’Emmanuelle

En 1974, elle est la première actrice à incarner ce personnage sulfureux, dans le film éponyme de Just Jaeckin. Cinquante ans plus tard, une nouvelle adaptation du long-métrage vient de sortir en salles avec Noémie Merlant dans le rôle-titre.

Le scandale qu’il provoqua fut aussi retentissant que son succès. En 1974, le long-métrage sulfureux Emmanuelleadapté du roman éponyme d’Emmanuelle Arsan – un pseudonyme – a conquis le public français. Et emmène son héroïne, la jeune actrice Sylvia Kristel, au firmament de sa carrière. Cinquante ans plus tard, une nouvelle adaptation, co-écrite par Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski, est sortie en salles mercredi 25 septembre. Noémie Merlant succède ainsi à Sylvia Kristel, dans le rôle de cette femme multipliant les expériences sensuelles. A une différence près : le premier incarne un contrôleur qualité en quête de plaisirs perdus, travaillant pour une chaîne d’hôtellerie de luxe. La seconde s’est glissée, quant à elle, dans la peau d’une épouse oisive, que son mari invitait à assouvir ses fantasmes auprès de parfaits inconnus. Un rôle qui hantera l’actrice néerlandaise tout au long de sa vie.

« Je voulais m’enfuir »

Née le 28 septembre 1952 à Utrecht, Sylvia Kristel semblait destinée à un destin plus conventionnel. Fille aînée d’un couple d’hôteliers, Jean-Nicholas Kristel et Pietje Hendrika Lamme, elle a grandi aux côtés de sa sœur dans cette famille bourgeoise des Pays-Bas. Et se souvient dans ses souvenirs Nusorti en 2007, d’une enfance pour le moins morose. « Une éducation stricte », écrit-elle. Je voulais m’enfuir. Une période qui est aussi marquée par un premier traumatisme. Elle révèle dans son autobiographie, dont le Courrier quotidien en a récemment inclus quelques extraits, ayant été agressée sexuellement, à l’âge de 9 ans, par le gérant de l’établissement tenu par ses parents. Surpris par la tante de Sylvia Kristel, l’employée sera immédiatement licenciée. Mais laissera à sa victime un souvenir douloureux.

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Trois ans plus tard, la petite fille, qui a commencé à fumer à l’âge de 11 ans, entre au pensionnat chez les religieuses. L’adolescente brille alors par ses résultats scolaires, et parle couramment anglais, français, néerlandais et italien. Au point de sauter plusieurs cours. Une gymnastique intellectuelle qui lui permet de s’évader, l’espace d’un instant, de l’atmosphère pesante de la maison Kristel. La jeune fille avait 14 ans lorsque ses parents ont divorcé. Dans ses mémoires, l’auteure évoque un autre traumatisme : le départ de son père. A son retour, Jean-Nicolas Kristel se retrouve au bras de sa maîtresse. Et chasse sa femme et ses deux filles de leur hôtel. « C’est la chose la plus triste qui me soit jamais arrivée », a écrit Sylvia Kristel.

Un coup de foudre cinématographique

Sylvia Kristel, immortalisée à Paris. (27 janvier 1976.)
ARCHIVES / Forum AFP

Deux ans plus tard, elle quitte l’école. Et multiplie les petits boulots, devenant tour à tour secrétaire, infirmière ou vendeuse. Très vite, son teint de porcelaine, ses traits fins et ses yeux translucides lui ouvrent les portes du mannequinat. A 21 ans, elle remporte le concours Miss TV Europe. Plusieurs tournages de spots publicitaires ont suivi. C’est en poussant la mauvaise porte qu’elle décroche le rôle de sa vie. A l’époque, Sylvia Kristel envisageait de passer une audition pour une publicité dédiée à la lessive. Mais il se rend vite compte de son erreur lorsque le réalisateur Just Jaeckin lui demande de se déshabiller devant la caméra.

« J’ai fait des tests vidéo pour lui », se souvient l’actrice dans ses mémoires. Je devais juste dire: « Je t’aime, je t’aime. » Au lieu de cela, je dis : « Je m’appelle Sylvia Kristel, j’habite à Utrecht… » en donnant des détails sur ma vie. Il l’a adoré et a trouvé cela frais et sensuel. Le cinéaste l’a choisie pour incarner Emmanuelle dans son tout premier film. « J’ai vu un certain nombre de très belles filles, puis j’ai vu passer cette jeune femme aux cheveux courts et blonds », a-t-il déclaré. J’en suis immédiatement tombé amoureux cinématographiquement.

Malédiction

Sylvia Kristel officie dans L’amant de Lady Chatterley. (10 octobre 1980.)
Abaca

Mais la jeune femme a décliné le rôle. Le salaire qui lui est proposé s’élève à seulement 18’000 francs. Et puis, le mannequin craint la potentielle réaction de sa mère, en découvrant cette histoire d’initiation sexuelle. Sylvia Kristel finit néanmoins par céder, sous la houlette de son compagnon Hugo Claus, romancier belge de 23 ans son aîné, avec qui elle donne naissance à son fils Arthur en 1975. Le long-métrage Emmanuelle arrive dans les salles parisiennes le 26 juin 1974. Le film a beau faire polémique, son succès est colossal. A tel point que le cinéma Triomphe, sur les Champs-Élysées, le maintiendra à l’affiche douze années de suite. Emmanuelle rassemblera, au total, 350 millions de spectateurs à travers le monde.

Sylvia Kristel ne le sait pas encore, mais le personnage d’Emmanuelle ne cessera de lui coller à la peau. Au point de devenir un fardeau. « J’étais habillée, mais les gens préféraient que je sois nue », déplore-t-elle dans son travail. J’ai parlé, mais ils ont préféré que je me taise ou que je sois rattrapé. Une malédiction qu’elle ne parviendra pas à briser. Au cours des décennies suivantes, la Néerlandaise ne connaîtra plus une telle popularité. L’actrice travaille certainement pour de grands réalisateurs. Elle officie notamment dans Un linceul n’a pas de poches (1975), de Jean-Pierre Mocky, Une femme fidèle (1976), de Roger Vadim, ou encore Alice ou la dernière évasion (1977), de Claude Chabrol. Francis Girod lui a même proposé le rôle principal dans son film René la canne (1977).

Mais rien n’y fait, Sylvia Kristel peine à se détacher de son image sulfureuse. Elle se voit également obligée d’honorer son contrat – et jouera dans diverses suites deEmmanuelle. Elle apparaît ensuite dans des productions plus modestes, revenant au registre érotique. Et trouve Just Jaeckin pour L’amant de Lady Chatterley, adaptation du roman de DH Lawrence. Elle officie également dans Mata Hari (1985), La veuve de Dracula (1988), ou même Sang chaud (1990). Ou même dans des productions américaines comme Aéroport 80 Concorde (1979), aux côtés d’Alain Delon. Avec le recul, l’actrice reconnaît qu’elle a fait une série de mauvais choix dans les années 1980 – y compris sur le plan émotionnel.

Passion destructrice

Sylvia Kristel et Ian McShane, immortalisés ensemble en 1978.
Steve Wood/Popperfoto / Popperfoto via Getty Images

En 1977, l’actrice quitte Hugo Claus. Avant de vivre une brève idylle avec Michel Polnareff, comme l’a révélé le chanteur dans les colonnes de Paris-Match en 2016. « Notre histoire a duré un an, ce qui pour moi à l’époque était un record », raconte l’artiste. C’était une personne merveilleuse, bouleversée par ce qui lui arrivait. Ce n’était pas une fille facile, au contraire, elle était plutôt intellectuelle, elle était aussi une très grande peintre. Sylvia Kristel a ensuite rencontré l’acteur britannique Ian McShane, sur le tournage de Le cinquième mousquetaire (1979). Elle entretient avec lui une passion destructrice, qui perdure jusqu’au début des années 1980.

Durant cette période, le couple se désagrège. Les épisodes de violence se multiplient. Dans une interview accordée à La norme l’actrice évoque les crises de son compagnon, agacée par le fait que sa carrière d’acteur ne décolle pas. « Cette réalité le frustrait et le faisait parfois exploser de rage », analyse-t-elle. Avant de poursuivre : « Après avoir été brutal, il m’a traité avec une douceur féminine. Il pleurait parfois et regrettait ses excès. Puis, sans aucune provocation, nous nous sommes retrouvés à nous battre à nouveau. À cette époque, Sylvia Kristel commençait à consommer de la cocaïne. «Je reniflais, je courais, je tombais, je reniflais de plus en plus», raconte-t-elle. Une spirale vicieuse dont elle peine à sortir, malgré sa rupture avec Ian McShane.

Problèmes de santé

Sylvia Kristel participe à une séance de dédicace pour son livre Nu. (Londres, 5 juillet 2007.)
Abaca

En 1982, l’actrice scelle son union avec l’homme d’affaires américain Alan Turner. Un mariage qui durera cinq mois. Elle épouse ensuite le producteur belge Philippe Blot. L’actrice investit à perte dans ses films, puis leur relation se termine en 1991 par un divorce houleux. Une bataille judiciaire au cours de laquelle Sylvia Kristel perd ses propriétés à Los Angeles, Paris, le sud de la France et les Pays-Bas, acquises grâce à ses honoraires liés à la saga Emmanuelle. Cette fois, c’est décidé : Sylvia Kristel retourne aux Pays-Bas. Là, elle a suivi une cure de désintoxication, mais s’est vite retrouvée en proie à de nouveaux problèmes de santé.

En 2001, les médecins lui ont diagnostiqué un cancer de la gorge. Petit à petit, la maladie se propage aux poumons. Sylvia Kristel peut cependant compter sur son dernier compagnon, le producteur radio belge Fred de Vree, pour la soutenir dans cette épreuve. Lorsqu’il s’éteint en 2004, l’actrice poursuit seule le combat. Parallèlement, elle continue de jouer dans de petites productions européennes. Mais en juin 2012, le sort frappe à nouveau : Sylvia Kristel est victime d’un accident vasculaire cérébral. Quatre mois plus tard, elle décède dans son sommeil d’un cancer du poumon et de l’œsophage à l’âge de 60 ans. L’actrice sera enterrée à Utrecht, aux Pays-Bas. L’endroit même où elle est née – et qu’elle avait, pendant un temps, eu envie de fuir.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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