Sur le chemin de l’UE, la Moldavie fait face à des tentatives de déstabilisation du Kremlin

A quelques jours du sommet de la Communauté politique européenne en Moldavie, le politologue Valeriu Pacha fait la lumière sur la situation politique de ce pays au bord de la guerre qui se déroule en Ukraine et soumis aux pressions répétées de la Russie.
« Nous sommes venus dire haut et fort, avec confiance et fierté, que la place de la Moldavie est dans l’Union européenne », a déclaré la présidente, Maia Sandu, dimanche 21 mai, à l’initiative d’un grand rassemblement populaire. au centre de la capitale Chisinau. Selon la police, plus de 75 000 personnes sont venues soutenir l’orientation pro-européenne de leur pays, un afflux rarement vu depuis l’indépendance. L’aspiration est maintenant formulée sans ambiguïté.
Politiquement fragile et économiquement faible, la Moldavie entendait jusqu’ici épargner la Russie, dont elle est très dépendante. Mais en 2022, ce petit pays d’Europe de l’Est a reçu le statut de candidat officiel à l’adhésion à l’Union européenne (UE). Depuis le lancement de l’invasion de l’Ukraine voisine, l’éloignement des nouvelles autorités moldaves de Moscou a été payé par des tentatives répétées de déstabilisation. L’UE a donc envoyé une mission civile d’une durée de deux années pour identifier et déjouer ces menaces russes.
Dans ce contexte, la Moldavie accueillera, le 1euh 47 juin Chefs d’État et de gouvernement à l’occasion du deuxième sommet de la Communauté politique européenne. Lancé en 2022 à l’initiative du président français Emmanuel Macron, ce format vise à renforcer la coopération entre tous les pays du continent (à l’exception de la Biélorussie et de la Russie). Un événement sans précédent pour le pays.
Pour France 24, le politologue moldave Valeriu Pacha, du think tank WatchDog, dresse un état des lieux de la situation politique.
France 24 : Que sait-on des tentatives de déstabilisation orchestrées par l’Etat russe en Moldavie ? ? Comment se manifestent-ils ?
Valériu Pacha : En réalité, il y a toujours eu des tentatives d’ingérence de Moscou dans notre politique intérieure, mais leur intensité s’est nettement accrue. Le Kremlin teste différentes méthodes, y compris agressives, en envoyant des provocateurs, dont des personnes du groupe Wagner. Pour autant que je sache, ils exécutent les tâches autrefois assignées au GRU, le renseignement militaire russe. La première tentative depuis le début de l’agression en Ukraine a eu lieu le 9 mai 2022 : ils pensaient qu’ils parviendraient à provoquer des manifestations de grande ampleur, notamment en aggravant la situation en Transnistrie [région séparatiste de Moldavie, soutenue par la Russie, NDLR]où ils ont organisé des actes terroristes.
Ils ont alors tenté de renforcer les antagonismes dans la société en alimentant un mouvement de protestation contre le gouvernement, financé par l’oligarque en fuite Ilan Shor. Mais encore une fois, la population n’a pas suivi. Les protestations n’ont été rejointes que par ceux qui avaient été payés. En envoyant des groupes de sportifs issus du monde criminel, ils tentent de provoquer des affrontements avec la police afin de polariser la société.
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La finalité recherchée n’est pas claire, mais il est évident que l’objectif est que le gouvernement concentre toute son énergie sur la gestion de ces débordements. Ils testent ainsi la réaction de l’Etat face à ce type de provocation, étudient la manière dont fonctionnent les services de renseignement afin d’en tirer des leçons pour l’avenir. La séquence électorale de l’an prochain sera particulièrement périlleuse.
Au début de l’année, les autorités moldaves, qui privilégiaient jusque-là la discrétion, ont révélé publiquement l’existence de ces manœuvres déstabilisatrices. Pour quelle raison ?
Jusqu’à présent, ils évitaient de provoquer la Russie. En ignorant les diverses actions agressives menées par la Russie, la Moldavie a voulu montrer qu’elle ne cherchait pas le conflit. Ce qui, à mon avis, est une erreur politique profonde, car cette approche ne fonctionne pas avec la Russie. Comme dans une cour d’école, faire preuve de peur et se taire entretient la logique du « harcèlement » [harcèlement, NDLR].
Dès le début des années 2000, la Russie a utilisé cette stratégie d’intimidation avec chantage énergétique : à l’époque, la présidence moldave n’avait pas fait connaître pleinement les résultats des négociations. La Russie a compris qu’elle pouvait agir comme elle le souhaitait. Les pays de l’Union européenne ont peut-être fait la même erreur en essayant d’adoucir la Russie. Au contraire, si Poutine perçoit une faiblesse, il exercera d’autant plus de pression.
Le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine a-t-il changé la perception de la Russie par la population moldave ? ?
D’une manière générale, les électeurs pro-russes sont devenus nettement moins nombreux. S’ils représentaient environ 40 % de l’électorat, cette proportion ne dépasse plus 25 % Aujourd’hui. L’indice de popularité de Poutine, qui était encore très élevé en 2020, a chuté de moitié. C’est un changement très sensible. Et même si un quart de la population entretient des opinions pro-Kremlin, la guerre n’est absolument pas soutenue en Moldavie. Les réfugiés sont très bien accueillis, même dans les régions favorables à la Russie.
Au sein de la population russophone de Moldavie, un certain nombre n’ont pas une connaissance élémentaire du roumain [langue officielle en Moldavie, NDLR], qui permet aux éléments de langage de prendre racine. Les partis politiques épousant l’agenda du Kremlin ne soutiennent pas l’agression militaire, mais ils font écho à la rhétorique russe selon laquelle les Américains et les Européens sont responsables en dernier ressort. Changer cela prendra du temps, car nous ne parlerons pas seulement de la propagande qui s’est déversée ces dernières années. Cela a trouvé un terrain fertile dans la propagande soviétique qui a contribué à l’image encore très négative de l’OTAN en Moldavie.
Quels résultats attendez-vous du sommet de la Communauté politique européenne ?
Il est clair que c’est un grand honneur pour la Moldavie, et que cet événement aura une énorme influence et soutiendra notre programme d’adhésion à l’Union européenne. Aujourd’hui 58 % de la population en Moldavie soutient l’intégration, alors que cette part était de 48 % en octobre dernier. Mais il faut encore aller plus loin, faire de la pédagogie pour toucher au moins les deux tiers de ceux qui vivent dans le pays. La diaspora représente un million d’adultes, soit plus d’un tiers de la population. : la grande majorité de ces émigrés vivent dans les pays de l’Union européenne et au Royaume-Uni, et parmi eux, le soutien aux démarches d’intégration européenne 90 %.
Mais augmenter le nombre de membres ne suffit pas. Nous comprenons parfaitement que nous devons renforcer notre État et mener des réformes. Sinon, nous ne serons jamais admis dans l’UE. Notre plus grande faiblesse est le système judiciaire, qui reste corrompu et fidèle à l’ancien système oligarchique. Ces gens travaillent pour le retour de l’ancien pouvoir, qui travaille aujourd’hui pour les intérêts des oligarques russes. Les autorités de Moldavie appellent les pays de l’UE à sanctionner ces personnalités toxiques qui maintiennent cet ancien système. Il faut leur montrer que s’ils agissent ainsi, ils perdront leurs biens et leur argent à l’étranger.