Pyrénées-Orientales, envoyé spécial.
Sur les tréteaux dépliés, une bougie allumée et un tabouret vide, mais c’est au pied de la scène, face au public, à une table encombrée de livres que se positionnent les comédiens Valentine Catzéflis et Matthieu Marie. Une image qui parle pour tout le Petit Festival de la Côte Vermeille : surplombant la scène, privilégiant une immédiateté horizontale, et faisant entendre des mots cueillis dans les pages à l’état brut.
« Il faut des artistes de qualité pour atteindre cette immédiateté »« C’est un film qui nous tient à cœur, nous dit Razerka Ben Sadia-Lavant, directeur de la manifestation. Ici, les deux admirables comédiens en font la preuve. Ils portent haut les fragments de Molière, Kafka et Pessoa avec un mélange de profondeur et de malice.
En art et en théâtre, l’évidence cache souvent de petits exploits, et ce festival art et science qui mêle spectacles et conférences sur un territoire miné par l’extrême droite, dans le deuxième département le plus pauvre de France métropolitaine, les Pyrénées-Orientales, pourrait bien en être un.
Une ambiance qui abolit la hiérarchie entre le public et les artistes
A quelques kilomètres de là, Perpignan est devenue, en 2020, la plus grande ville dirigée par un maire RN, et les quatre circonscriptions du département ont bruni lors des législatives de juin. « L’extrême droite fait le travail pour diffuser sa pensée », note Razerka Ben Sadia-Lavant, aux côtés de Delphine Debord, son bras droit à la tête du festival. « Pour nous, il s’agit d’occuper le terrain. Nous n’agissons pas frontalement contre les idées du RN, mais la programmation déploie des valeurs d’ouverture à l’altérité qui sont contraires à son fondement idéologique. »
Pendant cinq jours, sillonnant Collioure, Port-Vendres, Cerbère et Banyuls-sur-Mer dans une ambiance qui abolit la hiérarchie entre public et artistes, le Petit Festival réfléchit et joue, avec impertinence et liberté, imposant son désordre loin de la culture figée voulue par les réactionnaires. Le public passe de la pièce Fin de partiede Beckett, réalisé par Jacques Osinski avec Denis Lavant dans le superbe La nuit du tempsde Pascal Cesari et Liora Jaccottet, enquête sur l’homosexualité supposée d’un oncle disparu.
Nous poursuivons avec une conférence sur la sociologie du désir et une pièce créée spécialement pour nous par Bruno Bouché, dans laquelle deux danseurs du ballet de l’Opéra national du Rhin s’accrochent et se libèrent, perdus et passionnés. Puis, la compagnie perpignanaise Troupuscule corrige le mythe de Blanche Neige dans une parodie déjantée pour désamorcer son sous-texte patriarcal.
Pour clôturer l’édition, Razerka et sa fille, Cham Lavant, réunissent tous les artistes du festival sur scène dans une lecture théâtrale de Jeanne d’Arcd’après le très beau texte de 1925 de l’auteur audois Joseph Delteil.
La Pucelle d’Orléans, devenue un symbole de l’extrême droite, n’est pas une figure anodine, mais elle prend ici de nouvelles couleurs. A l’annonce de sa naissance, on voit Denis Lavant porter sur scène son petit-fils de quelques mois. Sonya Mellah et Inès di Folco chantent en arabe et Mahdokht Karampour joue du santour. Le résultat a des airs de célébration joyeuse et irrévérencieuse. Loin, très loin des récupérations nationalistes : c’est là que mène cet itinéraire le long de la Côte Vermeille.
Avant de partir, une dernière chose…
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