Des châteaux bordelais ont pu, cette année, ajouter du sucre dans leurs cuves pour augmenter leur taux d’alcool. Du 5 septembre au 7 octobre, la préfecture de la Gironde a signé une série d’arrêtés autorisant cette pratique. Ce procédé, appelé « chaptalisation » qui n’est pas propre qu’au Bordelais, permet de stimuler la fermentation alcoolique des raisins.
Habituellement, le sucre naturellement présent dans les baies est transformé en alcool sans intervention extérieure. Mais face aux intempéries de cette fin d’été, les gérants ont eu la désagréable surprise, après les vendanges, de constater un taux d’alcool inférieur à 12 degrés dans leurs cuves. Cependant, l’alcool participe à la texture du vin ainsi qu’à sa rondeur. Certains châteaux ont donc estimé que ces faibles niveaux n’étaient pas acceptables.
Demande du client
Dans le cuvier d’un domaine de l’appellation Saint-Emilion Grand Cru, la précaution était prise de commander des sacs de sucre avant les vendanges. Le maître de chai, rencontré fin septembre, ne s’en cache pas. « Nous sommes à 11. Pour garantir la qualité du millésime, il faut gagner des diplômes. » Dans le cas de ce château, cette démarche se justifie pour plaire à la clientèle.
Cet été maussade a conduit les appellations (ODG) à introduire des demandes de chaptalisation auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) qui a examiné les dossiers et les a transmis à la préfecture. « Cette méthode correctrice est assez classique », commente l’institut. Ce n’est pas parce qu’il y a une autorisation que tout le monde le fera. Et c’est très limité : on ne peut pas ajouter plus de 1,5 degré. » (1) « L’enrichissement des moûts et des vins est en principe interdit, ajoute la préfecture. Son autorisation exceptionnelle doit être motivée par des conditions climatiques particulières qui la légitiment.
Disparités locales
« Cette année, il y a beaucoup de cas, j’ai vu des cuves monter à 14 degrés, d’autres à 12 degrés auxquelles on n’a pas touché », décrit Frédéric Massie, œnologue chez Derenoncourt Consultants. Il n’est pas nécessaire d’augmenter partout le taux d’alcool. Ce n’est pas le diplôme qui fait la qualité. Mais c’est vrai que pour un cru classé, 11 degrés c’est bas, il y a un déficit de matière. »
Pour les autres vins, le déficit alcoolique n’est pas forcément un problème. « Un degré de 12,5 suffit, qui boit encore des vins très lourds qui alourdissent ? Pas moi, défend Nicolas Piffre, directeur technique du laboratoire œnologique Enosens en Haute Gironde. Avec 2024, nous nous retrouverons exactement dans le type de vin qui se vend depuis des années. »
Paradoxalement, avec moins d’alcool que précédemment, le millésime bordelais 2024 s’annonce très « classique ». « Dans les châteaux de Saint-Emilion, nous avons des cuves un peu limitées en sucre mais, globalement, le degré alcoolique est plutôt bon », observe François Despagne, ancien président de l’Association des Grands Crus Classés de Saint-Emilion. Cette saison n’est pas catastrophique, les raisins sont mûrs. Avec le 2024, on revient au Bordeaux classique, moins ensoleillé, plus frais avec plus d’acidité. »
(1) Exception faite pour l’appellation Moulis autorisée à augmenter le titre alcoométrique de 2 degrés.