Ces molécules ont été découvertes lors d’analyses toxicologiques réalisées sur 70 enfants de la plaine agricole de l’Aunis, où le nombre de cancers pédiatriques est en augmentation. Selon les informations de franceinfo et du journal « Le Monde », de nouveaux cas de cancer chez les jeunes ont été enregistrés.
C’est en février que Mathilde reçoit un diagnostic de lymphome de Hodgkin. Cancer des ganglions lymphatiques, à 17 ans. Depuis, la jeune fille, qui n’a pas pu passer son baccalauréat, a subi 65 séances de chimiothérapie, et une opération qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant, avec interdiction stricte de rester debout. « Cancer, tumeur… Ce sont des mots que nous n’imaginons jamais pouvoir entendre à propos de notre enfanttémoigne à franceinfo Sonia, sa mère. On se dit que ça n’arrive qu’aux autres. Pas pour nous. Mais maintenant que ma fille est atteinte, j’ai découvert que dans les villages autour de nous, il y avait de nombreux cas de cancers infantiles. Mais nous ne savons pas d’où cela vient.
Déterminer l’origine des cancers infantiles est depuis des années le combat des habitants de la plaine de l’Aunis, vaste zone agricole et céréalière de l’agglomération de La Rochelle, où aurait pu se produire un excès de risque de cancers pédiatriques. être observé grâce à une étude réalisée par le Registre général des cancers de Poitou-Charentes, laboratoire Inserm du CHU de Poitiers, comme le révélait en 2021 la revue Le monde.
« Nous avons commencé à réaliser cette étude en 2018, lorsque Pauline, une adolescente décédée des suites de la maladie à l’âge de 15 ans, a reçu un diagnostic de cancer »explique Jean-Marie Piot, président de la Ligue contre le cancer en Charente-Maritime, qui finance entièrement les travaux de l’Inserm. « Cette étude est réalisée sur deux communes voisines : Saint-Rogatien et Pérignypoursuit Jean-Marie Piot. Elle est mise à jour annuellement, et chaque année on arrive à la même conclusion, à savoir que le nombre de cas de cancers infantiles pour la seule commune de Saint-Rogatien est plus de quatre fois supérieur à la moyenne attendue. C’est énorme ! Cette commune ne compte que 2 000 habitants.
Selon nos informations, le nombre de cas est passé de six lors de la première publication de l’étude, qui couvrait la période 2008-2015, à dix cas pour la période 2008-2020. « On sait qu’il y a d’autres enfants malades, mais ils n’apparaissent pas encore dans nos statistiques, car il faut avoir au moins deux ans de recul pour pouvoir les prendre en compte »précise le président de la Ligue contre le cancer en Charente-Maritime.
Le monde et franceinfo ont pu identifier au moins cinq autres cas de cancer pédiatrique, dont deux à Périgny : un garçon de 4 ans, décédé en juin, et un adolescent de 13 ans, également décédé en mars 2022. les autres communes ne sont pas épargnées. À Bourgneuf, où habite la famille de Sonia, une autre jeune fille, âgée de 19 ans, a également développé un lymphome de Hodgkin. « Le même cancer !s’exclame Sonia, la mère de Mathilde, diagnostiqué au même moment, en février.
Une situation qui inquiète les habitants, et face à laquelle les élus, comme le maire de Bourgneuf, Paul-Roland Vincent, se sentent impuissants : « Quand je reçois des familles dont les enfants sont malades, franchement c’est dur. J’ai le sentiment de ne pas pouvoir répondre à leurs attentes. J’ai trois cas de lymphome de Hodgkin dans ma ville, deux jeunes filles et un homme de 40 ans seulement. années ! On m’a dit plusieurs fois : ‘M. Maire, qu’allez-vous faire ?’ Mais que veux-tu que je réponde ? Les pouvoirs d’un élu local sont limités. C’est à l’État de se saisir de ce sujet.
Pour mobiliser les pouvoirs publics, les parents se sont regroupés en association. Dans leur ligne de mire : les pesticides utilisés dans les champs entourant leurs communautés. « On sait que les cancers peuvent avoir une cause environnementale »explique Franck Rinchet Girollet, président de l’association Avenir Santé Environnement, dont le petit garçon a lui-même été touché par un cancer. « Nous avons eu plusieurs épisodes de pollution des eaux avec des pesticides, de nombreux points de collecte ont été fermés. Et nous trouvons beaucoup de pesticides dans l’air de nos communautés. Certaines molécules ont même été retrouvées à des concentrations records. Tout cela a fini par accroître notre inquiétude.
Après avoir organisé plusieurs manifestations, et publié, sans résultat, une tribune pour demander des actions concrètes aux autorités, les parents de l’association ont décidé il y a quelques mois de récolter des fonds pour réaliser des tests sur les cheveux et les urines de 70 enfants. Âgés de 3 à 17 ans, les enfants dont les cheveux et les urines ont été collectés habitent dans six communes de la métropole, dont Saint-Rogatien, Périgny et Bourgneuf. « Il ne s’agit pas d’une étude scientifique à proprement parler, mais d’un projet de recherche citoyen »précise Franck Rinchet-Girollet, chauffeur de bus professionnel, qui a récemment accepté de devenir attaché parlementaire auprès du député écologiste de la circonscription, Benoit Biteau. « On sait qu’il y a trop de cancers chez nos enfants, mais les pouvoirs publics ne font rien, alors on le fait à leur place, avec les moyens qu’on a, en espérant que ça finira par les faire bouger. »
Le monde et franceinfo ont eu accès aux résultats de ces tests, réalisés par le laboratoire public d’un centre hospitalier universitaire agréé pour ce type d’analyses. Nous avons découvert que 14 molécules différentes étaient retrouvées dans l’urine des enfants, 45 dans leurs cheveux. Parmi elles, des substances interdites depuis longtemps mais connues pour leur persistance dans l’environnement, comme le PCP, cancérigène avéré. « D’autres molécules pourraient convenir à un usage domestique, comme le DEET, que l’on retrouve notamment dans les anti-moustiques »explique Laurence Huc, directrice de recherche à l’Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) qui a analysé les résultats pour l’association.
D’autres substances correspondent à un usage agricole. « On retrouve notamment le phtalimide, qui est un dérivé du folpel, un fongicide utilisé sur les principales cultures céréalières, et soupçonné d’être cancérigène pour l’homme par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Plus de 15 % des enfants en ont dans leurs urines. C’est également la pendiméthaline, un herbicide à large spectre, que l’on retrouve dans 20 % des échantillons de cheveux testés. Cette molécule est classée comme cancérigène possible par l’EPA, l’agence de protection de la santé « de l’environnement et de la santé aux États-Unis ».. Ces deux substances, le folpel et la pendiméthaline, font partie des principales molécules détectées lors des dernières mesures de l’observatoire de la qualité de l’air en Nouvelle-Aquitaine (Atmo).
Plus surprenante, la présence dans les cheveux et les urines des enfants de pesticides interdits, de la famille des néonicotinoïdes, notamment l’acétamipride et un de ses produits de dégradation. La molécule mère et son métabolite ont été retrouvés dans les cheveux de 17 % des enfants. Selon Jean-Marc Bonmatin, chimiste et toxicologue au CNRS d’Orléans, spécialiste des néonicotinoïdes, « Cette molécule est interdite depuis 2018, c’est inexplicable de la retrouver dans les urines. »
« S’il y a cette molécule, cela signifie que les enfants ont été exposés dans les jours précédents, et je ne connais aucun produit vétérinaire à base d’acétamipride. Pour moi, cela signifie probablement qu’il y a eu une utilisation illégale de ce pesticide, qui est un puissant neurotoxique.
Marc Bonmatin, chimiste et toxicologue au CNRS d’Orléanssur franceinfo
Tous les résultats des tests seront présentés aux familles samedi soir lors d’une réunion publique. Reste à savoir quelle valeur les autorités accorderont à ces tests. « citoyens ». Selon un expert de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), interrogé par franceinfo, « L’interprétation sanitaire de ce type d’informations est difficile, car il n’existe malheureusement aucun seuil de résidus de pesticides dans les urines ou les cheveux. Pourtant, ces données sont intéressantes, et il faut aller les chercher, car elles permettent de dresser un état des lieux de l’exposition des populations à toutes ces molécules ».