Du ruban adhésif jaune et noir cache mal les impacts de balles sur la porte vitrée. L’entrée de ce petit immeuble collectif de La Virginie Noire, en périphérie de Morlaix, porte depuis mardi les stigmates de deux nuits très mouvementées. Outre les coups de feu tirés deux fois de suite en direction du hall d’entrée, une lettre de menace a été retrouvée dans le hall le matin du 21 octobre. Un mois et demi plus tôt, un autre bâtiment collectif Armorique Habitat, situé à une centaine de mètres, avait été déjà été la cible d’autres tirs. Dans les deux cas, l’hypothèse de la dette liée à la drogue prévaut.
« Le bruit des explosions m’a réveillé »
Dans une ville moyenne de 15 000 habitants, encore loin de régler des comptes sur la voie publique, ces violences soudaines laissent la population locale pantoise. Ce quartier HLM, actuellement en reconfiguration urbaine, a vu « les bagarres et les trafics se multiplier ». Mais selon plusieurs habitants rencontrés, « rien d’aussi visible que ce que les autres quartiers de Pors-ar-Bayec ou de La Boissière, un kilomètre plus loin, ont vécu ces trois dernières années. »
« Le bruit des explosions m’a réveillé. C’était le même déclic que le fusil de chasse qu’utilisait mon père chasseur », raconte Fabienne, une voisine qui vit ici depuis 22 ans. Pour elle, « l’ambiance du quartier a changé ces derniers mois. On se parle encore, il y a de la solidarité. Mais on voit aussi des tensions liées aux personnes aux profils psychiatriques et à la consommation compliqués. Je ne veux pas céder à la peur. Mais même la nuit, une tragédie peut vite survenir.»
Plus exaspéré, cet autre habitant assure, sous couvert d’anonymat, qu’un deal point est installé au rez-de-chaussée depuis trois ans. « Nous avons signé une pétition avec le propriétaire et alerté la police. Rien ne bouge et ça pourrait mal finir », déplore-t-il.
« À Morlaix, les violences liées à la drogue concernent presque toujours des garçons mineurs ou des jeunes adultes, déscolarisés et vivant dans des familles monoparentales. » Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix.
« Garçons mineurs et non scolarisés »
Sonya
qui promène son chien, vit depuis peu dans le quartier. Originaire de Brest, elle se désole de retrouver une insécurité propre aux grandes villes. « Les jeunes qui dealer à La Boissière, à un kilomètre de là, je les vois en allant au travail. Mais on peut les approcher, ils restent polis. Sauf qu’avec les coups de feu, on franchit un cap.»
Le maire Jean-Paul Vermot abonde dans le même sens : « Il n’y a rien de classique dans ces violences. Il faut se rassurer que pour le moment cela concerne les jeunes de notre région. Les individus impliqués dans les derniers incidents ont été rapidement identifiés. Mais le fait qu’ils soient pris dans une spirale de délinquance, avec de plus en plus de cocaïne et la présence d’armes, est le signal ultra-alarmant. Oui, il y a des correspondances en dehors de Morlaix. La mafia du trafic de drogue n’épargne pas notre ville.»
L’élu a appelé, dès lundi, au renforcement des effectifs policiers dans la ville. Il assure être engagé « dans un combat de fond » pour maintenir les moyens d’accompagnement socio-éducatifs et sanitaires, indispensables « si nous voulons que nos enfants ne soient pas entraînés demain dans les réseaux criminels ». Car tous les indicateurs locaux le confirment : « À Morlaix, les violences liées à la drogue concernent presque toujours des garçons mineurs ou des jeunes adultes, déscolarisés et vivant dans des familles monoparentales.
« On a perdu le contact avec les 16-18 ans »
Dans la grande salle de l’animation jeunesse de Morlaix (MAJ), du même côté de la ville, dédiée à l’accueil des 12-18 ans, le directeur Franck Salaün confirme qu’il y a eu « une rupture avec les 16-18 ans » depuis le période covid. « On ne les a pas retrouvés et on n’en voit plus d’autres du même âge prendre la relève. Avant, nous connaissions même ceux qui pouvaient consommer des stupéfiants.
Depuis plusieurs mois, l’équipe associative participe à des sorties sur le terrain et intervient une fois par semaine au collège. « Il faut se concentrer sur les plus jeunes. » Sauf que ces efforts, soupire-t-il, sont faits dans un contexte « macabre » de réduction drastique des aides publiques pour ces quartiers prioritaires. Au centre social Carré d’As, au cœur de La Virginie Noire, la réalisatrice Vanessa Chiron le déplore également. « Désormais, nous autofinançons notre poste de médiateur social, mais jusqu’à quand ? Depuis un mois, nous ressentons autour de nous une accumulation de faits déstabilisants. La semaine dernière, la police a stoppé un règlement de comptes entre jeunes en plein jour, devant l’école de musique Patio. Tout cela accentue la fragilité psychologique déjà présente dans le quartier. Les familles nous disent qu’elles ont peur. Ce n’est pas le moment de les abandonner.
*Le prénom a été modifié