Sous le béton, les terres de Saclay

Une foreuse érigée, comme un défi adressé au ciel. Pylônes en béton armé plantés directement dans le sol. Voilà le spectacle désolant qu’offre la construction du viaduc qui, à terme, doit accueillir la station de la future ligne 18 du métro à Saclay, dans l’Essonne. D’ici 2030, il devrait relier l’aéroport d’Orly à Versailles.
Un projet du Grand Paris Express aux conséquences dévastatrices, selon des militants écologistes qui ont mis en place en mai 2021 une ZAD (zone à défendre) pour protéger une partie des terres les plus fertiles d’Europe, appelée Zaclay.
Installé à quelques mètres de la RD 36 et du « pôle techno-scientifique » Paris-Saclay (Essonne), le lieu vise à lutter contre l’appétit de la Société du Grand Paris, qui chapeaute le projet. Un rassemblement y était organisé les samedi 13 et dimanche 14 mai, à l’appel de 50 organisations, dont la Confédération paysanne et les Soulèvements de la Terre. Plusieurs centaines de personnes ont répondu présent, tandis que la ZAD est menacée de démantèlement.
« Un sacrifice irréversible »
Sur la RD 36, quelques voitures passent. Puis le silence reprend ses droits, tandis que le bruit des moteurs s’estompe dans l’immensité des 4 000 hectares de terres du plateau. S’éloignant de l’asphalte, des palettes dessinent un chemin jusqu’à l’entrée du camp, installé sur un terrain privé avec l’accord des agriculteurs.
A l’intérieur, des coups de marteau se mêlent aux sons d’une guitare. Une grange est en construction. « C’est un bâtiment qui symbolise la fonction première de ces terres : l’agriculture ! » précise Ludo (1), menuisier, une scie à la main. Il faut dire que les terres du plateau de Saclay sont très fertiles.
« Les sédiments ont été déposés par le vent pendant des milliers d’années et se sont accumulés sur une couche d’argile, permettant une rétention d’eau optimale »explique Isabelle Goldringer, chercheuse en agroécologie.
Pour preuve : lors des fortes sécheresses de cet été, les agriculteurs du plateau ont eu de bonnes récoltes. « Restituer ces terres pour les bétonner est un sacrifice irréversible », poursuit-elle. Avec une autonomie de trois jours, la région Île-de-France « doit préserver sa souveraineté alimentaire », insiste pour sa part Benoît Biteau, eurodéputé agriculteur et écologiste. Avant d’ajouter ça « la plus-value agronomique de ces terres permettrait de produire localement et de ne pas dépendre de l’agro-industrie ».
A midi, samedi 13 mai, le soleil est au zénith. Un feu crépite doucement dans un récipient en métal, d’où émane une délicate odeur de courgettes et autres légumes grillés. Assis par terre, Pierre (1), 25 ans, urbaniste, fume une cigarette en regardant les nuages. « En termes de résilience alimentaire, ce projet est catastrophique et le métro est largement surdimensionné »il dit.
Les rames pouvaient porter « plus de 50 000 personnes par jour, avec des passages automatiques toutes les deux à trois minutes »ajoute Lucile, membre du Collectif contre la ligne 18. « Une ligne de bus à haut niveau de service le long de la RD 36 là où la rénovation des lignes B et C, déjà présentes, aurait suffi », elle glisse. Les effets de l’étalement urbain, inhérents à la construction de nouvelles gares, sont également pointés du doigt par les militants, au même titre que « le manque de transparence et de démocratie dont a fait preuve la Société du Grand Paris dans la réalisation des travaux »souffle un militant.
Marche festive et déterminée
Vers 15h, une marche festive et organisée commence. Un cortège de près de 600 personnes se déplace à travers les champs, vers le chantier de la ligne 18. Agriculteurs, étudiants, militants, retraités, élus et chercheurs se côtoient.
Arrivés sous le viaduc, les participants enroulent une corde autour d’un pylône et tirent. Une action symbolisant le rapport de force qui s’opère sur le plateau de Saclay. L’espoir et la détermination des militants se heurtent à des monstruosités concrètes. Mais ils ne baissent pas les bras et continuent de se battre. « Qui sème le béton récoltera la dalle », peut-on lire sur une banderole.
Les chansons, quant à elles, résonnent encore plus. Au retour, les manifestants empruntent la RD 36, longeant ainsi le viaduc en construction. A la fin du chantier, là où l’horizon s’étend à nouveau, ils installent un métro en carton construit par eux-mêmes sur la chaussée. Quelques secondes plus tard, il s’enflamme, se consume, puis disparaît, tandis que les manifestants scandent en chœur : « Terminus Zaclay ! »
Une grange paysanne rasée par la police
Rien ne semble arrêter la concrétisation du plateau de Saclay. Samedi 13 et dimanche 14 mai, un rassemblement était organisé à « Zaclay », une ZAD mise en place pour s’opposer au projet du Grand Paris Express et à sa future ligne 18. Le campement avait été installé dans un champ, en accord avec les agriculteurs. Pour symboliser l’agriculture paysanne que défendent les militants, ils ont construit une grange dont la charpente a été levée samedi soir. Un chef-d’œuvre d’artisanat, tout en bois, orné de dessins élégants et de mille et une couleurs.
Le lendemain, les militants déplacent le chantier de l’autre côté de la route départementale, en plein sur le tracé de la future ligne 18, sur un terrain acheté par la Société du Grand Paris, qui pilote le projet. Mardi 16 mai, au petit matin, une compagnie de CRS s’est emparée du terrain pour détruire la modeste bâtisse à la pelleteuse. La ZAD est menacée de démantèlement le 5 juin. Dans un communiqué publié mardi, les militants disent qu’ils n’abandonnent pas et « continuera à défendre les terres du plateau de Saclay ».
Grb2