Les 19 mois de guerre au Soudan ont plongé le pays dans la pire crise humanitaire au monde, selon l’ONU. Plus de 13 millions de Soudanais ont été déracinés par les combats. Plus de la moitié des 45 millions de Soudanais sont dans une situation de dénutrition aiguë, parmi eux 8 millions dans un état critique. La faim est l’autre fléau du conflit au Soudan. Si les deux armées sont accusées d’utiliser la faim comme arme de guerre, entravant le passage de l’aide humanitaire, celle-ci reste largement sous-financée et la crise au Soudan oubliée. Notre envoyé spécial s’est rendu à l’hôpital Al-Shuhada à Bahri, la banlieue nord de Khartoum qui vient d’être reprise par l’armée régulière aux paramilitaires des Forces de soutien rapide. A quelques centaines de mètres des lignes de front, s’y déroule une autre bataille, qui fait désormais plus de morts que la guerre.
De notre envoyé spécial à Bahri,
Devant les portes du service nutrition, Selwa Zakaria déambule le regard dans le vide : « Mes deux filles sont mortes de faim. La première à 12 ans, il y a quatre mois. Le deuxième, âgé d’un an et demi, est décédé il y a une semaine. Nous n’avons rien à manger. »
Dans le cabinet de Fatima Haroun, les bébés rachitiques se succèdent sur la balance : « Rien qu’au mois de septembre, nous avons enregistré 20 décès d’enfants de moins de cinq ans. Avant-hier, un bébé est mort ici, on ne pouvait rien faire. Nous sommes confrontés à une famine de niveau 1. Mais personne ne se rend compte de la gravité des cas que nous recevons ici. J’avais une famille qui, lorsqu’elle n’avait rien à manger, diluait la limon du Nil dans une assiette ! »
Des personnages fantomatiques attendent dans le hall de l’hôpital. Un jeune garçon, Fayad, avec la peau sur les os, est entre les mains du docteur Imad : « Quand je l’ai vu aux urgences, il était déshydraté et hypotendu. Il lui manquait du sucre, de l’eau, de tout. Fayad, peux-tu parler ? ? » Aucune réponse. Les lèvres du garçon bougent à peine.
Ceux qui parviennent à fuir les zones entourées de combats arrivent dans des conditions critiques. Azza Hussein vient de quitter le quartier de Samarab, à un kilomètre d’ici : « Il n’y avait pas de nourriture. Les marchés sont vides. Des gens meurent ici et là. Dans notre quartier, il y a eu 150 morts en deux semaines. Mes voisins, par exemple, sont morts d’une dysenterie dévastatrice, et d’autres à cause de l’eau d’un puits. Et puis il y a la dengue. Les enterrements sont effectués dans la précipitation afin que les corps ne propagent pas de maladies. »
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Outre la dengue, le paludisme et le choléra se propagent. Normalement, ces maladies ne tuent pas si elles sont traitées. Mais la faim en fait un fléau, selon le directeur de l’hôpital Hadil El-Hassan : « Ce n’est pas une question de pénurie de médicaments. Ces décès peuvent s’expliquer par le fait que les défenses immunitaires des personnes sont au plus bas. Avec la guerre, toutes les usines et tous les marchés ont été détruits ou pillés. Les citoyens sont assiégés et n’ont pas accès à la nourriture. Et nous ne pouvons pas leur envoyer. Des couloirs humanitaires doivent être ouverts, notamment vers les zones contrôlées par les Forces de soutien rapide. Dans ce chaos, il est impossible de donner des chiffres précis. Mais les morts dues à la faim sont innombrables. Ce sont les restes de la guerre. »
Alors que la faim risque de tuer plus de personnes que la guerre, l’aide humanitaire reste sous-financée et distribuée de manière éparse. Ici, les Soudanais se sentent abandonnés.
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