Dans son nouveau livre, paru mercredi, le député de la Somme ne mâche pas ses mots contre le fonctionnement et la stratégie du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon. Les élus insoumis balayent ses accusations.
Le divorce est prononcé. Après avoir officiellement pris ses distances avec La France insoumise (LFI) au moment des législatives anticipées, le député de la Somme François Ruffin continue de marquer sa différence avec la mouvance de la gauche radicale, dans un livre paru mercredi 11 septembre, intitulé Itinéraire. Ma France dans son intégralité, pas à moitié (éditions Les Liens qui Libèrent). S’il évacue tout « règlement de comptes »le journaliste de formation critique ouvertement la ligne du parti politique, son fonctionnement interne, mais aussi la relation avec le peuple de son fondateur, Jean-Luc Mélenchon.
Franceinfo revient sur les critiques qu’il formule, dans son livre construit comme un entretien avec « un complice » dont le nom n’est pas mentionné, et sur les réponses qui lui ont été apportées par les membres du mouvement, mécontents du fond et de la forme des communiqués de Picard.
L’attitude attribuée à Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne législative de 2012
François Ruffin revient longuement sur sa relation avec Jean-Luc Mélenchon, qu’il dit n’avoir vu que deux fois avant son élection comme député en 2017. Il attribue au président quelques propos peu amicaux sur la campagne des législatives cinq ans plus tôt. En 2012, Jean-Luc Mélenchon avait terminé quatrième de l’élection présidentielle (11,1 %), derrière Marine Le Pen (17,9 %), et avait décidé d’affronter la cheffe du Front national (futur Rassemblement national) dans son fief d’Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais. Il avait finalement échoué au premier tour.
« Quand il m’a parlé d’Hénin, C’était presque dégoûtantdécrit François Ruffin. « Nous ne comprenions pas un mot de ce qu’ils disaient… Ils transpiraient l’alcool du matin… Ils sentaient mauvais… Presque tous étaient obèses… » Cela m’a fait mal. Parce que c’étaient aussi des gens de mon quartier dont il parlait. Plus largement, selon François Ruffin, Jean-Luc Mélenchon « met à jour » une forme de « snobisme de gauche ».
Contacté par franceinfo, l’entourage de Jean-Luc Mélenchon dénonce l’ « logique de destruction » OMS « pousser » François Ruffin à « inventer des mots » et déplore cela « Une façon malhonnête de faire de la politique »Dans un long billet de blog bien argumenté publié jeudi, le coordinateur national du LFI, Manuel Bompard, a déclaré : « choqué » par le « accusations » du député de Picardie, qu’il décrit comme « blessant, injuste et dangereux ».
La stratégie rebelle de cibler « les quartiers jeunes et populaires » au détriment du « reste » décriée
Les critiques les plus insistantes, formulées par François Ruffin dans son dernier livre et dans les médias, concernent la stratégie de la France insoumise pour conquérir le pouvoir. Le député de Picardie exprime sa « profond désaccord sur la ligne »A ses yeux, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a « tout est tourné vers la jeunesse et les quartiers populaires » Et « abandonné le reste »comme il l’explique dans Nouvelles observationsà propos des travailleurs, « ouvriers » et les résidents ruraux.
Une stratégie récemment revendiquée par Jean-Luc Mélenchon. « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires. Oublions tout le reste, on perd notre temps. Il y a une masse de gens qui ont intérêt à une politique de gauche. »explique le leader insoumis, filmé par l’émission du groupe TF1 « Quotidien », samedi, dans le cortège de la manifestation parisienne contre Emmanuel Macron et Michel Barnier.
Pour dénoncer ce choix exclusif, François Ruffin revient sur « campagne faciale » qu’il affirme avoir réalisé lors des élections législatives de 2022 : « Quand je croisais un Noir ou un Arabe, je sortais la tête de Mélenchon, en grosses lettres sur les tracts. C’était presque un signe de réussite. (…) Mais dès qu’on croisait un Blanc, pas seulement dans les campagnes, même dans les quartiers, c’était une barrière. Ça ne marchait pas du tout. Alors, je présentais un autre document, sans son visage ni son nom. » Ici encore, l’histoire du fondateur du journal Fakir est invérifiable.
«Quelle formule dégueulasse»dénoncé sur le réseau social X Le député LFI des Hauts-de-Seine Aurélien Saintoul sur le sujet « campagne faciale » évoqué par François Ruffin, qui « n’est pas un camarade ». « François Ruffin est une déception »abondait sur le même réseau social son collègue de l’Essonne Antoine Léaument.
« Prétendre que parce que LFI combat le racisme, ce qui est essentiel, on abandonnerait la question sociale, c’est seulement contribuer à ce que disent nos adversaires et je pense que ce n’est pas digne de François »a réagi jeudi sur France Inter le député LFI de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel. L’élu ne confirme pas les consignes de distribution de tracts sur la base de l’apparence. Il dément également l’absence des insurgés dans la manifestation. « bastions de la classe ouvrière », « réfuté par tous les faits »Il cite en exemple la présence d’élus LFI parmi les salariés de Goodyear à Amiens, terre d’élection de François Ruffin, pour y maintenir l’emploi.
Un mouvement « où règne la peur » et « où il n’y a pas de place pour le débat » dénoncé
Depuis ses débuts politiques en 2016, François Ruffin refuse d’adhérer formellement à La France Insoumise. Bien qu’il ait siégé au sein du groupe LFI de 2017 à 2024, l’auteur du documentaire Merci patron ! Il reste à la tête de son propre parti, Picardie debout. Après les dernières législatives, il rejoint officiellement le groupe écologiste et social. « Depuis deux ans, la vie au sein du groupe LFI était devenue insupportable »le député se justifie dans Le nouvel Obs.
Depuis son départ estival, François Ruffin ne retient plus ses attaques sur le fonctionnement de LFI, « une fête où il y a de la peur, (…) où il n’y a pas de place pour le débat, la discussion, la contradiction, l’échange et le dépassement des contradictions », il l’a souligné sur BFMTVMercredi. Les critiques sur le manque de démocratie interne ne sont pas nouvelles. Elles ont été formulées à plusieurs reprises par des frondeurs historiques, comme Alexis Corbière, Clémentine Autain ou Danielle Simonnet, également membres du groupe écologiste.
S’il pointe le« épouvantail » Ce que représente, selon lui, Jean-Luc Mélenchon aux yeux des électeurs, le Picard s’en prend encore plus violemment à l’entourage de l’ancien candidat à la présidentielle, « apparatchiks »parachutés dans des circonscriptions a priori favorables. « Leur principale bataille se joue dans les bureaux du mouvement, c’est de courtiser Jean-Luc, porteur d’armes, porteur de serviettes, porteur d’eau, pour être investi à la bonne place. »
Déjà dégradées depuis deux ans, les relations entre le député de la Somme et les élus insoumis proches de Jean-Luc Mélenchon sont devenues explosives ces derniers jours. François Ruffin « il fait quelque chose qui ne me convient pas du tout, il commence à marquer un peu trop de buts contre son camp »a réagi le député Eric Coquerel. Pour l’élu insoumis de Marseille, Sébastien Delogu, s’exprimant sur Sud Radio, son attitude est « pitoyable »Au vu des réactions des partisans de Jean-Luc Mélenchon, la rupture semble définitive.