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Si vous aimez la Grèce, n’y allez pas

Si vous aimez la Grèce, n’y allez pas

La saison a commencé. Certains « font » Paros, d’autres Sifnos. Les plus téméraires tenteront Santorin tandis que les plus malins ne dévoileront rien de « leur » île. Comme si leur secret préservait encore un peu ces lieux des vagues de touristes qui inondent chaque été, plus grandes et plus nombreuses, toute la Grèce.

C’est le paradoxe des touristes qui rêvent de tranquillité, de nature et de produits frais, fantasmant sur une certaine idée de « l’authenticité », mais dont la présence détruit peu à peu tout ce qu’ils viennent chercher en Grèce. Avec 32,7 millions de visiteurs, l’année 2023 a battu tous les records de fréquentation alors que la majorité de la population de 10,5 millions d’habitants ne peut pas partir en vacances dans son propre pays, faute de pouvoir payer des billets de ferry ou des hébergements dont les prix s’envolent.

Le gouvernement conservateur du Premier ministre Kyriákos Mitsotákis continue de saluer le boom du tourisme et s’attend à une année 2024 encore plus réussie, ayant fait du développement de l’industrie du tourisme l’une de ses priorités.

Pas loin du point de rupture

Les revenus de 2023 se sont élevés à 20,5 milliards d’euros, soit une augmentation de 16,5% par rapport à l’année précédente, pour un secteur qui représente près d’un quart du PIB. Essentiel mais volatil et difficile à maintenir.

Car la plupart des îles subissent déjà les conséquences du tourisme et risquent de ne plus pouvoir supporter un tel développement très longtemps. La construction sans limite d’hôtels, de villas et de restaurants ravage les côtes et occupe les plages publiques. Dans une mobilisation sans précédent, les habitants de Paros ont lancé l’an dernier un « mouvement des serviettes » pour tenter de contrer l’expansion des bars et des transats, mais se heurtent au pouvoir des barons locaux et internationaux et à la complaisance des autorités.

Cette même année, un archéologue chargé d’octroyer des permis de construire sur la très célèbre île de Mykonos est tabassé, révélant les violences liées à l’industrie touristique sur une île où les mafias se disputent le contrôle des plus belles parcelles. Un événement médiatisé mais vite oublié, laissant dans l’ombre les menaces et intimidations régulières subies par tous ceux qui dénoncent une exploitation sans limite.

À Rhodes l’été dernier, les professionnels du tourisme ont demandé aux journalistes de minimiser leur couverture des incendies dévastateurs pour ne pas effrayer les touristes, tandis que des images dystopiques de vacanciers fuyant les flammes étaient diffusées sur les télévisions du monde entier.

Les routes, les hôpitaux et les systèmes de collecte des déchets ne peuvent pas supporter une telle augmentation de la population, ce qui conduit à des situations insoutenables.

Les pénuries d’eau touchent chaque année de plus en plus d’îles. Leros, dans l’archipel du Dodécanèse, a été placée en mode urgence en juillet, rationnant les réserves. Les autorités locales multiplient les appels aux citoyens et aux entreprises pour qu’ils limitent leur consommation. A Sifnos, dans les Cyclades, le maire fustige l’approvisionnement des piscines et l’arrosage des jardins, sur des îles où la demande pendant l’été est parfois 100 fois supérieure à celle de l’hiver et alors que le pays connaît des vagues de chaleur chaque année plus longues et plus intenses, provoquant un assèchement dangereux.

A Santorin, île réputée pour sa caldeira et ses couchers de soleil, un conseiller municipal a exhorté les habitants à éviter de voyager alors que des milliers de croisiéristes affluent sur leur île. Plus de 10 000 personnes débarquent chaque jour, envahissant le paysage accidenté.

Partout, les infrastructures sont insuffisantes pour faire face à une telle croissance démographique. Les routes, les hôpitaux et les systèmes de collecte des déchets ne peuvent pas supporter une telle croissance démographique, ce qui donne lieu à des situations intenables.

A cela s’ajoute le cynisme de certains locaux qui expulsent enseignants et médecins de leur domicile au début de la saison estivale au profit des vacanciers, tandis que le secteur agricole est peu à peu abandonné sur l’autel du tourisme. La solution prônée par le gouvernement grec ? Allonger la saison touristique et favoriser les zones moins fréquentées, au risque de transformer définitivement le pays en un parc touristique géant.

Au-delà de la saturation

Ces résultats, visibles à l’œil nu, sont résumés dans une étude publiée en juillet. L’Université Démocrite de Thrace s’intéresse à l’impact du tourisme sur les territoires et ses conclusions sont sans appel : la moitié du pays est « sursaturée ».

Dans de nombreuses régions, d’Athènes à la Crète, du Péloponnèse à la Chalcidique et aux Cyclades, la densité de population dépasse les capacités.

L’université s’appuie sur une méthode d’analyse qualitative en exploitant les données environnementales issues des missions de satellites d’observation de la Terre pour mesurer le niveau maximal d’activité humaine qu’un environnement peut supporter : c’est l’Indice de Développement de la Capacité de Charge (IDCC).

Les quartiers centraux deviennent dangereux, les Athéniens ne trouvent plus de taxis et les monuments archéologiques s’érodent.

Contrairement à une idée reçue, l’étude souligne que le développement des infrastructures n’est pas une solution adéquate puisque la surexploitation des territoires met en danger les écosystèmes et la biodiversité. Il ne s’agit donc pas de développer plus d’infrastructures pour accueillir toujours plus de monde, mais simplement de ralentir si l’on veut encore préserver un pays en danger.

Car outre les questions morales que soulèvent (ou devraient soulever) les vacances en Grèce (le pays vient d’annoncer la semaine de travail de six jours, les garde-côtes refoulent les exilés en mer où des centaines de personnes se noient chaque année, la liberté de la presse est en chute libre, les incendies ravagent chaque année le territoire, etc.), il en va de la survie d’un pays vidé de toutes parts.

La capitale ne fait pas exception. Athènes se transforme en musée à ciel ouvert, où les Airbnb remplacent les résidents, les bars à vin et les concept stores remplacent les cafés et les quincailleries traditionnels, et les habitants ne vivent que pour servir les touristes. Quant aux jeunes Grecs, qui cumulent souvent plusieurs emplois pour survivre et dont le taux de chômage est le deuxième plus élevé de l’Union européenne, leurs perspectives se limitent aux emplois de service.

Identité en danger

Face à cette gentrification galopante produisant des prix inabordables pour les locaux, une majorité de Grecs se retrouve exclue de la « reprise économique » tant vantée par le gouvernement conservateur après une décennie de crises économiques, sociales et politiques.

Les quartiers centraux deviennent peu fréquentés, les Athéniens ne trouvent plus de taxis – qui privilégient les déplacements touristiques plus lucratifs – et les monuments archéologiques s’érodent sous la chaleur et les pas répétés.

Dans un rapport publié par le médiateur grec (l’équivalent de notre défenseur des droits), l’autorité indépendante met en garde contre « l’inachèvement du cadre d’aménagement du territoire et les violations des limites existantes, la construction intensive et la dégradation de l’espace public, la protection du patrimoine culturel, le cadre déficient de protection des zones protégées et du paysage, la pression croissante sur les zones côtières, les risques d’épuisement ou de dégradation des ressources en eau, la mauvaise gestion des déchets et les défis liés au développement du réseau routier et plus généralement des infrastructures de transport ».

L’aveuglement et l’aliénation des gouvernements grecs obsédés par les résultats économiques balayent les notions de tourisme durable et responsable. Face à une telle évolution, la Grèce dont vous rêvez et une partie de son identité sont en danger.

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