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« Si une femme a bu et se sent mal, nous sommes censés l’aider, pas la violer »… Qu’est-ce que la vulnérabilité chimique ?

Un soir, Caroline décide de retrouver l’homme avec qui elle discute depuis une semaine sur une application de rencontres. Il l’invite chez lui. « Le contact a été très agréable, j’étais à l’aise. » L’homme sort alors deux « énormes » verres de vin. La mère explique qu’elle n’en boira qu’un. «J’avais 45 minutes de route pour rentrer chez moi et je travaillais le lendemain, donc j’avais prévu de rentrer à la maison avant minuit. » Ils discutent. Le courant passe bien. « Sans le voir, je me suis retrouvé avec un deuxième verre, aussi plein que le premier. Et puis il m’a embrassé. » Caroline lui demande d’arrêter et commence à se sentir très mal. « J’avais chaud, j’avais mal au ventre et je me sentais opprimé. » Alors tout devient flou. Son seul souvenir : des vomissements répétés.

Le lendemain matin, l’homme lui dit fièrement : « il y a encore la marque de tes fesses sur la table ». Puis : « Heureusement que le voisin n’est pas passé à ce moment-là car je n’avais pas fermé la baie vitrée et tu avais l’air de t’amuser. » Caroline se raidit. «Je n’avais aucun souvenir de ce moment. » La quadragénaire prend ses affaires et s’enfuit. Quelques heures plus tard, elle raconte l’histoire à deux amis qui pensaient qu’elle avait été droguée. Aucune substance psychoactive n’a toutefois été retrouvée dans le corps de Caroline, dont le témoignage a été recueilli par le centre d’addictovigilance de Paris. Elle n’était donc pas a priori victime de soumission chimique, comme Gisèle Pelicot, mais de vulnérabilité chimique.

Dans plus d’un tiers des viols, la victime avait consommé de l’alcool

« La vulnérabilité chimique, c’est lorsqu’une agression survient après la consommation volontaire d’une substance psychoactive par la victime », résume le docteur Leila Chaouachi, pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris et experte dans l’enquête nationale sur la soumission chimique. de l’ANSM. Dans 90 % des cas, la victime consommait de l’alcool ou du cannabis. » Perte de connaissance, nausées, vomissements… Ces substances ont des effets similaires à ceux utilisés pour la soumission chimique. « C’est la raison pour laquelle, très souvent, les victimes pensent qu’elles ont été droguées », poursuit le pharmacien.

Même si la vulnérabilité chimique est très peu médiatisée, les cas sont loin d’être rares**. Laurent Bègue-Shankland, addictologue et professeur à l’université Grenoble Alpes, vient de publier une étude sur le rôle de l’alcool et du cannabis dans les violences sexuelles chez les étudiants. Il en a interrogé 67 000 entre 2023 et 2024. Dans près de la moitié des tentatives d’agressions sexuelles (47,5 %) et plus d’un tiers des viols (37 %), la victime avait consommé de l’alcool. Et les chiffres le montrent : plus les victimes boivent, plus le risque de viol est élevé.

Un mode opératoire de l’agresseur

Ces données ne sont pas anodines. Parce que qu’il s’agisse de soumission ou de vulnérabilité chimique, la logique est la même : l’attaquant va profiter de l’état de la victime pour passer à l’action. « Dans les deux cas, elle n’est jamais responsable de son agression », insiste le médecin. Travaillant pour LeCRAFS, un système de téléconseil spécialisé dans les agressions facilitées par des substances, Leila Chaouachi reçoit régulièrement au téléphone des victimes de vulnérabilité chimique. Et elle a repéré plusieurs modes de fonctionnement.

« Le premier est la vulnérabilité face aux opportunités. Un agresseur voit que la victime est dans un état fragile et passe à l’action, explique-t-elle. Il sait qu’elle n’est pas en état de réagir ou d’exprimer son consentement. » C’est ce qui est arrivé à Solène*, une Parisienne de 30 ans.

Une vulnérabilité d’opportunité ou de prédation

Lors d’une soirée étudiante dans un appartement il y a une dizaine d’années, elle a discuté avec un jeune homme. Ils flirtent un peu, s’amusent, boivent et fument du cannabis. «Quand je me suis couché, il est venu vers moi et m’a violée. Avec l’alcool, les défonces et le choc, je n’arrivais pas à bouger, mais je suis persuadée qu’il a vu mes larmes couler », raconte-t-elle, encore traumatisée dix ans plus tard. « Qui veut baiser quelqu’un inconscient? » Sérieusement ? C’est dégoûtant! » La jeune femme a mis du temps à se souvenir de cette soirée. Mais depuis le premier flash-back, elle n’a jamais pu renouer avec une relation avec un homme. Elle « ne peut plus leur faire confiance ».

Les attaquants peuvent également utiliser la vulnérabilité chimique de manière proactive et préméditée, comme ce fut le cas pour Caroline dont le verre disproportionné a été rempli sans qu’elle le demande. Leila Chaouachi qualifie ce mode de fonctionnement de vulnérabilité de « prédation ». « La personne est fortement incitée à boire de l’alcool par exemple, une stratégie pour faciliter l’acte », explique le pharmacien. C’est notamment le cas des jeux à boire. »

« Si la personne se sent mal, nous sommes censés prendre soin d’elle, pas la violer »

Et les attaquants peuvent mettre en œuvre un mode opératoire encore plus effrayant. « Certains font des rondes, au cours desquelles ils vont chercher le soir la personne la plus vulnérable pour la ramener chez elle », explique Leila Chaouachi. C’est ce qu’on appelle « la voiture balai », décrite dans le livre enquête La nuit des hommes, de Félix Lemaître. »

Au final, la volonté des attaquants est toujours la même : rechercher des « proies » faciles. « Si une femme est ivre, se sent mal, ne tient plus debout, vomit, on est censé l’emmener dans un endroit sûr et prendre soin d’elle, pas la violer », rappelle Leila Chaouachi. Cela semble évident, mais c’est loin d’être le cas.

Cammile Bussière

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