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« Si Trump pense pouvoir arrêter la guerre en Ukraine, il a tort »

La Croix : Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche entraînera-t-il nécessairement un abandon de l’Ukraine ?

Sam Greene : J’en doute fortement, car je ne vois tout simplement pas ce qu’il en retirerait. Donald Trump est certainement un « négociateur » et il souhaite peut-être que cette guerre prenne fin. Mais le but d’un accord est d’en être le bénéficiaire. Que gagnerait-il à abandonner l’Ukraine à la Russie ? Vladimir Poutine peut-il lui offrir quelque chose en échange pour rendre acceptable un accord qui créerait beaucoup de mécontentement à Washington, y compris au sein de son propre parti ? En effet, de nombreux élus républicains au Congrès restent déterminés à soutenir l’Ukraine. Cependant, même s’il peut exister une certaine entente sur le plan personnel avec Poutine, le premier mandat de Donald Trump de 2017 à 2021 a démontré qu’il n’y avait pas de convergence d’intérêts entre la Russie et les États. -Uni. Et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

Ne pensez-vous pas que la réduction de l’aide militaire à l’Ukraine, qui s’élève à plusieurs dizaines de milliards, suffit à justifier cet accord pour Donald Trump ?

SG : Je ne prétends pas avoir une compréhension parfaite de l’analyse coûts-avantages de Trump. Mais cette économie serait à mon avis un gain marginal, disproportionné au coût apparent de laisser la Russie écraser l’Ukraine.

Donald Trump a déclaré qu’il pouvait « résoudre » la guerre en Ukraine en seulement 24 heures. Faut-il prendre cette affirmation au sérieux ?

SG : Donald Trump peut parfaitement décider dans les premières vingt-quatre heures de sa présidence de mettre un terme à l’envoi d’aide à l’Ukraine. Mais cela ne mettra pas fin à la guerre, car les Ukrainiens veulent continuer à se battre. Cela rendra la lutte pour Kiev plus difficile et poussera les Européens à réfléchir à l’importance qu’ils attachent à cette guerre pour leur propre sécurité. Si Trump pense que la guerre entière est entre ses mains, il a tort. D’autant plus que je ne suis pas sûr que Vladimir Poutine ait un quelconque intérêt à négocier.

Parce que la situation militaire lui est désormais favorable ?

SG : Oui, et parce qu’il n’a pas atteint son objectif principal, à savoir l’assujettissement politique de l’Ukraine. Mais il y a aussi le fait que le régime repose désormais sur la guerre, la seule chose qui fait aujourd’hui augmenter le PIB russe. Seuls les secteurs productifs liés à l’armée progressent, dopés par l’augmentation du budget militaire. Tout le reste stagne ou décline. Si les revenus russes ont augmenté, c’est à cause du besoin de main-d’œuvre dans l’industrie de l’armement et de la forte augmentation des salaires et primes de recrutement dans l’armée. Tout cela a grandement stimulé l’économie. Mais si la guerre prend fin, la Russie sera confrontée à une récession et à une inflation très élevée. C’est pourquoi le prix à payer pour arrêter la guerre me semble prohibitif.

Au-delà de l’économie, quels seraient les risques politiques d’une paix négociée pour le régime de Vladimir Poutine ?

GS :Les sanctions ont fortement appauvri les élites politiques russes, mais leurs pertes ont été compensées par de nouvelles opportunités de revenus liées à l’augmentation du budget militaire et à la reprise des avoirs étrangers abandonnés ou saisis après l’invasion. Sans guerre, ces revenus diminueront et les loyautés pourraient changer.

Ce qui pose la question de la répression. Actuellement, le régime le justifie en présentant cette guerre comme « existentiel » pour la Russie. Si la paix revient, cette justification sécuritaire disparaîtra et la répression apparaîtra clairement motivée par des raisons politiques. C’est quelque chose que les régimes autoritaires n’aiment pas du tout. Je ne vois donc pas ce que Poutine ferait avec un ami à la Maison Blanche. Il a besoin que l’Amérique continue à jouer son rôle d’épouvantail.

Au-delà d’une paix durable, un cessez-le-feu temporaire serait-il dans l’intérêt de la Russie ?

SG : Je ne le pense pas, surtout si ce cessez-le-feu s’accompagne d’un élément de dissuasion, comme le déploiement de troupes européennes en Ukraine par exemple. Vladimir Poutine pourrait accepter de baisser temporairement l’intensité du conflit, mais il voudra conserver la possibilité de faire monter la température à sa guise. Et si par hasard cette pause donne à l’Ukraine l’opportunité de progresser rapidement vers l’Union européenne ou l’OTAN, alors elle continuera à se battre. Certains pensent que seule l’OTAN pose problème, mais cela me semble faux : je vous rappelle que la racine de cette guerre est la crise autour de la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne en 2013.

À quoi ressembleraient les relations entre l’Europe et la Russie en cas de cessez-le-feu ?

GS : Pour les raisons de politique intérieure que j’ai évoquées, je pense que la Russie devra maintenir un niveau très élevé de dépenses militaires, ce qui mettra les pays du flanc oriental de l’Europe très à bout et les poussera à accroître leurs dépenses militaires. investissements de défense. Même si un accord conduisait à une réduction de la violence en Ukraine, je ne suis pas sûr que nous sortirions de la confrontation avec la Russie.

Dans le cas où le « deal » promis par Donald Trump n’aurait pas lieu, que se passerait-il ?

SG : Il y a d’autres négociations qui comptent : celles entre les Etats-Unis et l’Europe sur l’aide à l’Ukraine, et celles entre les Etats-Unis et Kiev sur les garanties de sécurité que Washington peut offrir à long terme. Sur ces deux segments, Donald Trump aura un impact négatif. Il cherchera à obtenir une « victoire » en arrachant des compensations importantes aux Européens et aux Ukrainiens en échange de l’aide qu’il accepte d’offrir. Cela sapera leur confiance dans les États-Unis. Les Européens seront contraints de trouver chez eux les ressources que Washington ne voudra plus consacrer à l’Ukraine. Je pense qu’ils en sont conscients. La question est désormais de savoir s’ils parviendront à rester unis ou si les impératifs budgétaires et les contraintes politiques internes finiront par prévaloir.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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