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« Si la gauche ne parvient pas à prendre le pouvoir, est-ce parce qu’elle n’existe plus ? »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Ce samedi 7 septembre, près de 110 000 manifestants se sont rassemblés pour dénoncer la nomination de Michel Barnier à Matignon. Pour Ophélie Roque, cet événement révèle la rupture entre les élites d’une gauche devenue un agrégat de causes, et son électorat historique.

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Mesa Noire (Robert Laffont, 2023), son premier roman.


110 000. C’est le nombre de manifestants qui ont défilé samedi 7 septembre contre « Le coup d’État de Macron« , selon le ministère de l’Intérieur. Les chiffres sont moins impressionnants que prévu pour ce qui aurait dû être la journée de protestation contre l’arrivée du fascisme qui, très habilement, se cache sous les dehors faussement bonhommes de Michel Barnier. C’est du moins le discours qu’aiment tenir les dirigeants du Nouveau Front Populaire, se rêvant plus grands qu’ils ne le sont et s’imaginant déjà en chefs d’orchestre du malaise social. Eux, et eux seuls, ont accès à la légitimité populaire. Tout le reste n’est que mensonges ! Fraudes électorales ! Manœuvres politiciennes d’une droite toute-puissante. Tant pis si la foule n’est pas au rendez-vous ! Et puisque le NFP en appelle au Front Populaire de 1936, il est peut-être temps de faire le point sur l’héritage des grandes marches initiées par la gauche.

Le NFP, qui se sait chancelant, s’abrite commodément sous l’ombre de son grand frère qui – lui – avait une réelle légitimité pour porter la voix du peuple. Les grèves de 1936 ont rassemblé deux millions de travailleurs, ont abouti aux congés payés et à la semaine de 40 heures. Mais derrière le succès apparent, le ver est déjà dans le fruit et, à partir de 1937, une fracture commence à apparaître entre la gauche institutionnelle et la gauche militante à la suite de désaccords internes concernant le rythme et l’ampleur des réformes à mener. Léon Blum, en décidant de faire une « pause », a déçu l’aile gauche de la SFIO et du Parti communiste.


La « vieille » gauche, ancrée dans la lutte pour la reconnaissance des droits des travailleurs, se heurte à sa « jeune » rivale, la gauche « sociétale », qui élargit de plus en plus le spectre de ses revendications (mouvements identitaires, décolonialistes, écologiques…), tout en négligeant au passage ses militants de base.

Ophélie Roque.

Puis la jeunesse se déchaîne et ce sera Mai 68. Apothéose libertaire pour les uns, source de mal pour les autres. Il n’en demeure pas moins qu’avec ses sept à huit millions de grévistes, Mai sonne le point de bascule d’un monde à l’autre, remettant en cause l’autorité et la légitimité des structures traditionnelles. Mais là encore, derrière le masque glorieux de la victoire, un nouveau coin s’enfonce dans l’unité de la gauche. Les deux ailes, devenues de plus en plus irréconciliables, continuent de se déchirer et la révolte s’achèvera avec le retour au pouvoir de la droite gaulliste.

Car, de plus en plus, la « vieille » gauche, ancrée dans la lutte pour la reconnaissance des droits des travailleurs, se heurte à sa « jeune » rivale, la gauche « sociétale », qui élargit toujours plus le spectre de ses revendications (mouvements identitaires, décolonialistes, écologiques, etc.), tout en abandonnant au passage ses militants de base.

Puis vint le temps des grands démentis lors des référendums populaires européens de 1992 et 2005. Déjà les élites pro-européennes n’écoutent plus la base. Les peuples ont tort, ils se trompent : c’est aux dirigeants de choisir ce qui est bon pour eux. Tous les ingrédients sont réunis pour que le cataclysme de Terra Nova se produise avec la publication du fameux rapport intitulé «Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?« Cela prône l’abandon des travailleurs (de moins en moins nombreux) pour se tourner vers les jeunes issus de l’immigration. en même temps qu’un autre discours s’adresserait aux étudiants branchés, urbains et surdiplômés des centres-villes. La gauche est morte, vive la gauche !

Officialisé discrètement depuis des années, le divorce manifeste des élites de gauche avec une partie de « leur » électorat a été monumentalement acté en 2019 à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes. Soudain, on a senti les dirigeants du parti mal à l’aise à l’idée de se ranger derrière la foule des « petits » blancs néoruraux. Difficile pour une élite soucieuse de bienséance de soutenir les gens des zones industrielles et des centres commerciaux. La masse apparaît terriblement « redneck » et pas du tout télégénique. Ces gens, uniquement préoccupés par leur pouvoir d’achat et leur insécurité grandissante, ne semblent pas du tout sensibles aux discours d’une gauche humanitaire.

Disons-le tout de suite, près des piquets de grève, ça sent le pâté, le vin rouge et le pain sous blister. On est loin du Spritz et des blinis au tarama. C’est la première manifestation d’ampleur à ne pas être directement soutenue et menée par la gauche. Des centaines de milliers de personnes, déclassées socio-économiquement et ne se retrouvant plus dans le discours progressiste du PS, occupent les rues sans l’aval d’un parti. La rupture entre les élites socialistes et la classe ouvrière est désormais actée. Chacun ira de son côté.


La gauche est devenue un tel agrégat qu’elle peine à se rassembler véritablement. D’où cette étrange impression de flou. Quel espoir mettre en avant ? La boussole tourne tantôt autour du pôle woke, tantôt autour de la cause palestinienne.

Ophélie Roque.

Car si l’on regarde la silhouette typique du « marcheur » de rue, on constate – avec un certain vertige – combien son profil a changé. Le militant de 1900 était souvent un journalier, un mineur, un petit ouvrier d’atelier. 40 % de la population française travaillait alors dans l’industrie et constituait le vivier naturel des partis de gauche. Les gens manifestaient pour ne pas mourir dans les usines ou sur les chantiers. La violence des blocages s’expliquait par une réelle urgence.

Ce n’est qu’en 1936 que les personnels des services commencent à se joindre aux cortèges, employés de bureau et petits fonctionnaires manifestant timidement aux côtés des ouvriers en bleu de travail. Mais il faut attendre après la Seconde Guerre mondiale pour qu’un changement majeur s’opère avec l’essor des classes moyennes et l’accès généralisé à l’enseignement supérieur. La présence des étudiants devient monnaie courante et les jeunes intellectuels sont à l’avant-garde du mouvement de contestation.

De nos jours, le portrait type du « marcheur » est difficile à saisir. La silhouette se mélange et se déforme lorsqu’on tente de l’immortaliser. Au fond, il n’y a plus vraiment de point commun entre les différents groupes qui défilent au sein d’un même cortège. La gauche est devenue un si grand agrégat qu’elle peine à véritablement s’unir. D’où cette étrange impression de flou. Tout rassemblement est devenu impossible. Quel espoir faire valoir ? Qui sacrifier entre le CSP+ et le locataire d’une HML située en grande banlieue ? La boussole tourne tantôt autour du pôle woke, tantôt autour de la cause palestinienne. Et si la gauche échoue à prendre le pouvoir, c’est peut-être tout simplement parce qu’elle n’existe plus.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.

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